Nouvelles Questions Féministes Vol. 36, No 2
Nouvelles formes de militantisme féministe (II)
Chaponnière, Martine, Roux, Patricia, Ruault, Lucile,
2017, 160 pages, 32 chf, 25 €, ISBN:978-2-88901-139-1
Qu’est-ce qui fonde aujourd’hui la légitimité d’agir pour les jeunes féministes? Cette question traverse l’ensemble des articles de ce numéro. Les réflexions proposées rendent compte non seulement du sens féministe donné au fait de militer, mais aussi de la manière dont se construit la légitimité du type de militantisme que les militantes interrogées ou côtoyées par les auteures promeuvent et dans lequel elles s’engagent.
Description
Qu’est-ce qui fonde aujourd’hui la légitimité d’agir pour les jeunes féministes? Cette question traverse l’ensemble des articles de ce numéro, qu’il s’agisse des collectifs autonomes au Brésil, des mouvements pour l’avortement libre et gratuit au Québec, des cours d’autodéfense féministe en France, des parcours individuels de militantes genevoises ou enfin des pratiques au sein de la blogosphère.
Les luttes ne sont estimées légitimes que si elles prennent en compte la diversité des discriminations vécues par les femmes: il s’agit de s’attaquer à la fois à ce qui fait le socle de l’oppression commune des femmes, le patriarcat, et aux spécificités de leurs conditions de vie, différenciées selon des critères de division hiérarchique comme la classe sociale, la nationalité, la sexualité, l’âge. La force du mouvement féministe tient alors à sa capacité à mobiliser sur plusieurs fronts: antisexistes, anticapitalistes, antiracistes, contre l’homophobie, l’âgisme, etc.
Table des matières
Edito
- Légitimité du féminisme contemporain (Martine Chaponnière, Lucile Ruault et Patricia Roux)
Grand angle
- Continuités et ruptures dans le mouvement féministe québécois francophone pour des droits sexuels et reproductifs (Caroline Jacquet, Geneviève Pagé et Magaly Pirotte)
- Les nouvelles formes de féminisme autonome au Brésil (Mirla Cisne, Telma Gurgel et Héloïse Prévost)
- L’autodéfense féministe: entre travail sur soi et transformation collective (Anne-Charlotte Millepied)
- Vers un militantisme virtuel? Pratiques et engagement féministe sur Internet (Armelle Weil)
- Deux figures de l’engagement féministe à Genève (Raphaelle Bessette-Viens)
Champ libre
- De la responsabilité historique des États: le cas des « femmes de réconfort »
Parcours
- Yanar Mohammed, militante irakienne. Un engagement féministe pour les femmes en Irak (Entretien réalisé et traduit par Yasmin Labidi)
Comptes rendus
- Sabine Masson, Pour une critique féministe décoloniale (Aline Acevedo Katagiri Ito)
- Ginevra Conti Odorisio, Linguet e i philosophes: illuminismo e terrore (Flora Vern)
- Jules Falquet, Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence (Valérie Pouzol)
- Dominique Fougeyrollas-Schwebel et Florence Rochefort (dir.), Penser avec François Collin. Le féminisme et l’exercice de la liberté (Ginevra Conti Odorisio)
- Farinaz Fassa, Filles et garçons face à la formation (Martine Chaponnière)
Collectifs
- « Au boulot jusqu’au tombeau ? »: le Collectif féministe contre PV 2020 (Michela Bovolenta)
Notices biographiques
Résumés
Presse
Compte-rendu de Karina Soucy de l’Université de Laval au Québec, paru dans la revue Anthropologica
Comme son titre le laisse deviner, ce numéro de Nouvelles questions féministes dresse un portrait du militantisme féministe contemporain. La légitimité constitue l’enjeu transversal de la section « Grand angle », et sans surprise l’intersectionnalité teinte l’ensemble des textes publiés. L’éditorial avec lequel s’ouvre l’ouvrage offre une première clé pour répondre à la question de la légitimité au cœur de l’engagement féministe actuel dont les articles publiés font écho. Pour les coordonnatrices de l’ouvrage, les pratiques et les luttes estimées légitimes se situent en fonction des trois niveaux suivants : 1) d’abord, au nom de qui la parole est-elle prise, 2) ensuite comment l’imbrication des formes de pouvoir participe à légitimer l’action et 3) enfin la manière dont l’attention portée à l’estime de soi assure la composition d’une légitimité individuelle puis potentiellement collective. Il s’agit d’un rapport fondamental pour les autrices, puisqu’il s’inscrit en filigrane de l’ensemble des réflexions proposées sur le militantisme féministe contemporain. Dit autrement, en prêtant attention aux luttes féministes actuelles une diversité de formes, de principes et de pratiques émergent, ainsi que l’émergence d’un point commun soit l’inter-influence entre la pratique et la théorie. Les textes proposés dans ce numéro défendent exclusivement une posture empirique et soulignent le rôle du militantisme comme apport à la théorie. Mais ce choix éditorial ne devrait pas éclipser les empreintes théoriques retrouvées tout au long des tableaux brossés, comme l’intersectionnalité ou l’autonomie. Cet aspect apparaît nécessaire à la compréhension des parties subséquentes de l’ouvrage.
Les pratiques et ancrages territoriaux des terrains à l’étude varient : des collectifs autonomes brésiliens, des cours d’autodéfense féministe en France, des pratiques et engagement féministes sur Internet, l’exploration d’une division entre un militantisme féministe de la Cause et un féminisme du Quotidien et des mouvements pour les droits sexuels au Québec. Cette dernière recherche achevée par Caroline Jacquet, Geneviève Pagé et Magaly Pirotte ouvre la marche et s’attaque aux transformations du mouvement féministe et à l’adaptation des concepts associés aux luttes pour la santé et les droits reproductifs et sexuels dans les dernières décennies. À l’origine de la réflexion se trouve l’expérience étatsunienne qui témoigne de l’émergence dans les années 1990 d’une mobilisation de femmes racisées et autochtones pour une justice reproductive. Au cœur de leurs revendications se dégagent des enjeux liés à l’oppression reproductive comme les stérilisations forcées ou l’enlèvement des enfants par les services sociaux ou les agents frontaliers, problématiques ignorées par le mouvement pro-choix dominant qui se concentre principalement sur le droit à l’avortement. De la sorte, le mouvement pour la justice reproductive vise à entraîner les femmes blanches de classe moyenne à se débarrasser de leurs œillères afin de dresser un portrait plus juste de la complexité des droits sexuels et reproductifs. Les chercheuses ont vérifié l’existence d’un phénomène similaire au Québec. Or, il s’avère qu’au fil des décennies l’écart entre les revendications et les pratiques des mouvements féministes québécois s’est révélé moins net qu’aux États-Unis. Pour les autrices, « on ne peut pas parler d’une rupture claire entre les luttes du passé et du présent, mais plutôt de transformations et d’adaptations conceptuelles non linéaires. Le modèle étatsunien, en ce sens, ne peut être généralisé pour comprendre la situation québécoise. » (31) La force du mouvement féministe québécois tient ici à sa capacité à lutter sur plusieurs fronts dès les années 1970 – anticapitalistes et antisexistes – en incluant des luttes structurelles qui dépassent le simple droit à l’avorte-ment. N’empêche que la présence de revendications s’inscrivant au-delà du droit à l’avortement ne devrait pas occulter la manière dont l’enchevêtrement des oppressions vécues par les femmes autochtones et racisées a longtemps été ignoré dans le contexte québécois.
Une réflexion inscrite dans l’expérience féministe brésilienne d’aujourd’hui est ensuite offerte avec « Les nouvelles formes du féminisme autonome au Brésil » de Mirla Cisne, Telma Gurgel et Héloïse Prévost. Les autrices se reportent à différentes théories féministes, dont les savoirs intersectionnels du black feminism à la suite desquels elles s’appuient sur une épistémologie de l’expérience des individus et des groupes dont la position sociale est modelée par plusieurs formes de rapports de pouvoir. L’intérêt principal de leur recherche tient à la mise en évidence des contradictions inhérentes à la construction d’un projet politique qui comporte des ambitions émancipatoires d’une part et la participation des organisations non gouvernementales (ONG) féministes à l’opérationnalisation de poli-tiques publiques pour les femmes brésiliennes d’autre part. Les organisations internationales de développement sont critiquées par une portion importante du mouvement féministe brésilien. La tendance à récupérer des outils conceptuels féministes est particulièrement reprochée aux ONG internationales, notamment en raison des conséquences de cette instrumentalisation qui entraîne, au mieux, une version édulcorée des concepts, au pire, une dénaturation du sens politique des concepts mobilisés.
Quant à elle, Anne-Charlotte Millepied donne corps à une réflexion qui met en lumière un militantisme du quotidien via des cours d’autodéfense féministe. La chercheuse défend que l’appropriation effective de la violence par des femmes via l’autodéfense leur permet de transgresser un ordre de genre implicitement reconnu voulant que traditionnellement l’usage de la violence agisse comme marqueur de la différence entre le masculin et le féminin, dont l’usage cristallise la domination masculine. La pensée de Colette Guillaumin sur le « corps construit » et la conscience individuelle qui en découle rejaillit par la démonstration de l’asymétrie des pratiques corporelles fortement différenciées selon le sexe créant des corps forts et des corps faibles, tendance fortifiée par un sentiment de « peur sexuée » intériorisée par nombre de femmes via leur socialisation. Pour le dire simplement, une femme qui ne se défend pas ou peu face à une agression n’agit pas par incapacité, mais par faute de moyens. En renversant cet automatisme, les femmes expérimentent un processus émancipatoire qui leur permet d’appréhender leur corps comme un espace de prise de conscience. Pour Millepied, les cours d’autodéfense féministe portent le potentiel d’offrir des outils concrets procurant les moyens de construire une force réellement ressentie par les participantes.
Dans un contexte où les mobilisations féministes se font de plus en plus rares en une des médias traditionnels, Armelle Weil livre une étude au cœur d’un militantisme féministe virtuel. Son terrain est composé de blogues féministes, de groupes Facebook, de campagnes menées par le biais de hashtags ou de sites Internet. Son incursion au centre du cyberactivisme féministe lui donne accès à une variété d’engagements sur le Web. Surtout, sa recherche met en lumière un objet encore peu documenté, soit le féminisme en ligne. La démocratisation de l’accessibilité à Internet constitue certes un avantage au militantisme, mais entraîne des limites inévitables. Ainsi, des tensions émergent dans certains groupes féministes au sein desquels une légitimité stricte est attendue de la part des participantes. Autrement dit, et sans remettre en question la nécessité de reconnaître la priorité de la prise de parole des personnes opprimées, Weil note que des critiques virulentes sont faites à l’endroit des personnes qui interviennent dans des groupes d’échanges féministes alors qu’elles ne sont pas perçues comme première concernée par le thème au centre des discussions. Cette violence interpersonnelle n’est certes pas étrangère à la dynamique d’échange propre à Internet, mais la chercheuse observe que cette situation provoque un effet éteignoir chez bon nombre de militantes. En outre, pour Weil bien que l’engagement virtuel soit parfois perçu comme un investissement plus faible qu’une mobilisation en présence – comme l’est une manifestation par exemple – d’autres actions strictement virtuelles constituent aujourd’hui une fin en soi.
Afin d’éclairer le caractère particulier de l’engagement féministe genevois, Raphaëlle Bessette-Viens propose deux types de figures tirées d’une division entre un féminisme de la Cause et un féminisme du Quotidien. Bien que le féminisme fasse partie de la quotidienneté de toutes les personnes rencontrées dans le cadre de la recherche terrain de la chercheuse, les militantes de la Cause vont tracer une ligne stricte entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle où elle situe leur engagement féministe. Les féministes dites du Quotidien adoptent un rapport plus flexible entre leurs pratiques et leur vie intime. Par exemple, ces dernières tiennent leurs choix de consommation pour des éléments de leur engagement, et estiment que leur choix professionnel peut découler de leur féminisme. Certains points communs se détachent entre les deux types étudiés : toutes réfutent une vision essentialiste des genres et épousent une approche constructiviste. À terme, Bessette-Viens pose l’hypothèse que les deux groupes s’inscrivent dans des paradigmes d’interprétation du sexe/genre à l’ancrage temporel (et possiblement générationnel) différent. En effet, le groupe de la Cause s’associe davantage à un paradigme radical matérialiste, tandis que les engagements des militantes du Quotidien relèvent surtout d’une conviction que le sexe et le genre résultent de catégorisations sociales.
Les textes de Weil et Bessette-Viens dressent la table aux défis soulevés par ce numéro de Nouvelles formes de militantisme féministe (II). La difficulté inhérente à la formation de solidarités féministes nouvelles et le dépassement de certains clivages théoriques prennent forme. Sans renouveler la théorie autour de l’enjeu de la légitimité, l’analyse d’une variété de terrains donne accès aux dimensions propres au militantisme féministe actuel. Surtout, ce numéro révèle la persistance d’un problème qui n’a rien d’inédit : l’homogénéité des groupes féministes, en termes de classe sociale ou de couleur de la peau, rappelle que le rapport du militantisme féministe à l’altérité n’est pas chose du passé.
Karina Soucy, Anthropologica, Volume 61, Numéro 1, 2019, pp. 173-174
DANS LA REVUE EN LIGNE LECTURES/LIENS SOCIO
Ce numéro de la revue Nouvelles Questions Féministes sur les « Nouvelles formes de militantisme féministe » complète son précédent paru en avril 2017. Alors que le premier volet abordait des questions comme la non-mixité des collectifs féministes, l’articulation entre théorie et action ainsi que les liens intergénérationnels, celui-ci réunit un ensemble d’articles qui s’interrogent sur ce que représente la légitimité de l’engagement féministe. Qu’est-ce qu’un militantisme féministe légitime? C’est la question à laquelle essayeront de répondre les différentes contributrices, chacune à sa manière. Lire la suite.
Nessrine Naccach, Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2018, mis en ligne le 27 janvier 2018, URL: http://journals.openedition.org/lectures/24099.
Mettre en œuvre un processus critique qui repense le monde, la réalité et la culture
Dans leur Édito: Légitimité du féminisme contemporain, Martine Chaponnière, Lucile Ruault et Patricia Roux reviennent sur le précédent numéro de la revue, Nouvelles formes de militantisme féministe (I), chroniqué sous le titre: Nous ne voulons pas 50% de l’enfer capitaliste, mais nous voulons 100% du paradis féministe, et de trois axes développés:
- La (non-)mixité des collectifs féministes, question indissolublement liée à celle de leurs alliances avec d’autres groupes, de leur autonomie et de l’entrelacement des luttes sur lesquelles les féministes s’engagent.
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La question de l’articulation entre théorie et action, les grilles explicatives des processus de domination prenant une place de plus en plus importante dans les luttes féministes, voire dans les formes d’organisation des collectifs.
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Les liens intergénérationnels les changements marquant le militantisme contemporain se fondent en bonne partie sur une prise en compte des succès et des échecs que les mouvements féministes ont connus par le passé.
Les éditorialistes parlent des autrices présentes dans ce numéro-ci, « Leurs conceptions de l’engagement, leurs modalités d’organisation et d’action, ainsi que l’ancrage social de leurs revendications rendent compte non seulement du sens féministe donné au fait de militer, mais aussi de la manière dont se construit la légitimité du type de militantisme qu’elles promeuvent et dans lequel elles s’engagent ». Elles questionnent, entre autres, les bases de leur légitimité, « 1) au nom de qui parle-t-on, 2) comment l’imbrication des pouvoirs fonde-t-elle la légitimité pour agir et 3) comment le travail sur l’estime de soi construit-il une légitimité individuelle d’abord, peut-être collective ensuite? »
Martine Chaponnière, Lucile Ruault et Patricia Roux abordent la blogosphère, la multiplication des sites féministes, l’expression de chacune, « il convient de s’exprimer sur la base de son expérience personnelle, celle que l’on vit dans ses tripes, et c’est celle-ci, allant de pair avec l’écoute bienveillante ou empathique qu’elle reçoit, qui confère la légitimité pour parler ou agir », du souci de la prise en compte de l’imbrication des oppressions, « les luttes ne sont estimées légitimes que si elles prennent en compte la diversité des discriminations vécues par les femmes », du socle commun et des spécificités, du rapport aux institutions et à l’État, d’une certaine approche de l’égalité réduite à l’aménagement des « rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes ainsi qu’aligner les droits des femmes sur ceux des hommes » ne posant pas – ou refusant – la transformation radicale des « structures sociales fondées sur d’autres principes hiérarchiques tels que la méritocratie, le capitalisme, le néocolonialisme ou le racisme ».
Les autrices soulignent différentes thèmes, « théorie intersectionnelle » (je préfère pour ma part le terme d’imbrication), l’exclusion et l’inclusion, « une grande différence entre ne pas exclure l’Autre et l’inclure » et « l’inclusion de l’Autre reste la tache aveugle de la pratique militante féministe » (je souligne que cette dimension ne concerne pas que le mouvement féministe, il reste le point aveugle de bien des mouvements classistes – syndicats, partis politiques-, ou antiracistes), le travail sur l’ »auto-estime » (« La confiance en soi est alors un outil de lutte politique, en ce sens qu’elle permet d’articuler sa propre libération à celle de toutes les femmes. »; l’ »estime envers sa propre classe de sexe »).
Martine Chaponnière, Lucile Ruault et Patricia Roux présentent les différents textes en insistant sur la pluralité des formes de domination subies et sur la multiplicité des expériences.
Je n’aborde que certains articles et certains points traités, des choix subjectifs.
Le mouvement féministe québécois francophone, la santé et les droits sexuels et reproductifs non réductibles au seul droit à l’avortement. Caroline Jacquet, Geneviève Pagé et Magaly Pirotte analysent l’histoire du mouvement « afin de faire ressortir les continuités et les ruptures, les avancées et les zones négligées dans la prise en compte de la diversité des oppressions, tant dans les idées dans la pratique de lutte ». Elles abordent, entre autres, le mouvement pour la justice reproductive (JR), les réalités diversifiées des femmes, l’intégration limitée de l’imbrication des rapports de pouvoir, le mouvement pour le droit à l’avortement libre et sa place centrale « pour la constitution d’un mouvement féminisme radical », le journal « Québecoises Deboutte! », l’inscription du mouvement dans « une perspective critique du « système capitaliste et patriarcal », le « droit de choisir » à sa tendance à « individualiser les luttes pour l’autonomie collective des femmes », la critique des stérilisations forcées, le réseau féministe d’ »inspiration libérale » RAIF et ses accents malthusiens. Les autrices soulignent les angles morts des discours, l’oubli des femmes marginalisées, la reconnaissance tardive des Amérindiennes du Canada, l’enlèvement systématique des enfants autochtones, la mise de coté des femmes autochtones, racisées ou migrantes.
Caroline Jacquet, Geneviève Pagé et Magaly Pirotte reviennent sur la Coalition « Avortons leur congrès! » (CALC) contre le mouvement auto-mal-nommé « pro-vie », en réaction au rassemblement de la droite religieuse conservatrice contre l’avortement, la mise en avant des revendications de la coalition: autonomie et liberté de notre corps, refus de l’imposition de modèles et des rôles sociaux sexués, soulignage des aspects racistes et homophobes dans les discours conservateurs, soutien à certaines luttes « queer et trans »… Puis les autrices analysent les actions de La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), le recentrage sur les expériences et les vécus traditionnellement marginalisés, l’éducation sexuelle, les problèmes de structuration et de fonctionnement… Elles présentent et interrogent enfin les discours de Riposte féministe, la défense de l’autonomie corporelle, l’accès à l’avortement et aux soins de santé sexuelle et reproductive, les voix de toutes les personnes opprimées « par le genre »…
Des combats pour l’autonomie des femmes, la transformation du système de genre et des conditions de vie et non leur simple aménagement, l’intégrité physique des femmes…
Sur les femmes autochtones, en complément possible:
Ginette Lewis: 4 octobre: Commémoration pour les femmes autochtones disparues; Les Autochtones et la société québécoise: Combattre ensemble; Cherry Smiley: Le véritable changement pour les femmes autochtones commence par l’abolition de la prostitution; Deux Communiqués de l’AFAC – Association des femmes autochtones du Canada; Emmanuelle Walter: Soeurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada; Comprendre la position de l’AFAC sur la prostitution; et parmi, les nombreuses contributions de féministes: Marie-Eve Surprenant: Manuel de résistance féministe.
Brésil, les nouvelles formes d’autonomie, l’oppression de sexe appréhendée « dans sa relation directe à la classe, la race ou l’ethnie, la sexualité, entre autre » (édito), l’usage du « genre » édulcorant ou niant « le sens politique, radical et transformateur du féminisme » (édito), l’importance de l’auto-estime – « la découverte de soi comme sujet » – des femmes et sa construction à travers des pratiques collectives, l’auto-désignation, l’auto-gouvernement, la Marcha das vadias (Marche des salopes), le collectif Vadias (Salopes), le collectif Diadorim, le groupe Tambores de Safo, le collectif Leila Diniz…
Mirla Cisne, Telma Gurgel et Héloïse Prévost analysent l’institutionnalisation sous le poids – entre autres – des organismes internationaux, la naturalisation des inégalités hommes/femmes, l’utilisation du terme « genre » pour « éviter le terme ‘féministe' », l’édulcoration du « caractère radical et transformateur de l’usage politico-analytique » des outils conceptuels élaborés par les féministes, les effets des politiques d’ajustement structurel et des programmes d’austérité en particulier pour les femmes, les liens passés entre mouvement et gouvernement…
Les autrices discutent des expressions critiques autonomes, de la « conscience militante », des rapports de pouvoir imbriqués, des femmes comme groupe hétérogène et des effets de la socialisation, du caractère systémique de l’oppression, de la nécessité de rompre avec la « restriction de mobilité », de la visibilité des femmes, de questionnement de l’assignation naturalisée d’un rôle reproductif, d’articulation entre « luttes concrètes et formation politique permanente », des liens avec les secteurs organisés par ou autour de la Théologie de la Libération, de la sororité « entendue comme alliance féministe entre les femmes » et non une donnée a-historique, de la construction de l’autonomie…
Le titre de cette note est un extrait d’une « Declaración de feminismo autónomo» de 2009, citée dans cet article.
Travail sur soi, transformation collective, le privé est politique, le caractère ordinaire des violences envers les femmes. Anne-Charlotte Millepied aborde l’autodéfense « comme objectif de donner aux femmes les moyens – physiques, émotionnels, mentaux – de se défendre », l’inclusion de la confrontation aux violences « au moment où elles se produisent », la construction de la confiance en soi, les techniques du corps, les techniques de soi, les parties du corps vulnérables, riposter versus se débattre, les ruptures avec les cadres normatifs de « la féminité », l’imbrication des violences dans les différents espaces de la vie quotidienne, la diversité des violences de genre, l’opposition aux acquis de la socialisation, la non-mixité comme espace de partage ou espace bienveillant, le développement « de nouvelles manières de voir, se penser, de se comporter », l’usage politique du corps et de la violence, la légitimité de se défendre…
Armelle Weill discute des pratiques et engagements féministes sur internet, de nouvelles formes de militantismes (qui à mes yeux ne peuvent être considérées comme « virtuelles »), de la potentialité toxique et des violences sur le réseau web, de la censure et de l’auto-censure, des dynamiques engendrées par les fonctionnements d’internet, de la légitimité à se considérer comme légitime, de « la non-négociabilité de la critique féministe, nécessaire au changement social », des injonctions et des moyens de s’en libérer, d’ »identité publique politisée », de partage et de l’importante des relations de face-à-face, de l’usage et de la « réappropriation des moyens de production de l’information », de réécriture de l’information en ligne, des nouvelles tonalités…
Je reste plus que réservé sur la reprise a-critique ou l’utilisation de certains termes. Ceux venant des activistes « trans » (mais ne disant rien ni sur les oppressions spécifiques ni sur les moyens de les combattre) comme « cis » (centré sur une « identité » pensée comme pré-existante et détachée des rapports sociaux, sans oublier l’invisibilisation des femmes qui sont ainsi renommées, par d’autres qu’elles-mêmes, comme des cis-femmes), « personne qui ont un vagin »… ou d’autres comme « classes moyennes » à la définition (catégorie sociologique réductrice passée dans le langage courant) probablement liée aux revenus et non à la place dans les rapports sociaux de production et reproduction, « pro-sexe », « malléabilité » des catégories…
Je souligne l’article sur la responsabilité historique des États: le cas des « femmes de réconfort ». Annie Jisun Bae parle d’esclavage sexuel, de la terminologie « de réconfort » exprimant le point de vue de l’État japonais et méprisant envers les femmes, de la société coréenne les appelant communément « grands-mères » et participant à la fois à l’enfouissement du crime et à l’a-sexualisation des femmes, des connexion entre colonialisme-patriarcat-sexualité, de vérité historique et de mémoire, d’idéologie de la chasteté (réservée aux femmes), de la responsabilité du Japon en termes de crimes de guerre – dont ces crimes de guerre contre les femmes, du silence narcissique des hommes coréens (« pendant longtemps, les Coréens ont considéré que l’existence de ces femmes anéantissait leur virilité, estimant qu’elle constituait une preuve de leur incapacité à contrôler leurs biens, ici les femmes coréennes »).
L’autrice insiste à juste titre sur les mouvements actuels de déni ou de réécriture de l’histoire au Japon, de falsification de l’histoire et de responsabilité. « Les survivantes n’ont d’ailleurs jamais été sollicitées pour être entendues »…
Et qu’en est-il de la responsabilité des hommes qui ont utilisé le corps de ces femmes, qui ont pratiqué ces viols?
Je signale aussi le bel entretien avec Yanar Mohammed sur l’engagement féministe en Irak, la création des centres d’hébergement pour les femmes victimes de violences, le souvenir de sa grand-mère et de son viol lors de la nuit de son mariage (une réalité sordide et passée sous silence des mariages arrangés), le machisme des compagnons, les femmes captives et réduites en esclavage, les manifestations et l’engagement, la vie où « tu ne peux pas marcher librement », les menaces émanant des membres des milices islamistes, la critique ouverte du voile, le combat pour la laïcité…
Didier Epsztajn, Entre les lignes entre les mots, 21 décembre 2017.