Nouvelles Questions Féministes Vol. 31, No 2
Métiers de service
Benelli, Natalie, Le Feuvre, Nicky, Rey, Séverine,
2012, 159 pages, 21 €, ISBN:978-2-88901-079-0
La dimension relationnelle des métiers de service féminins est souvent mise en exergue par les salariées et dans les recherches scientifiques. Mais le travail d’une éducatrice de la petite enfance ou d’une assistante sociale est-il vraiment plus relationnel que celui d’un surveillant de prison ou d’un facteur? A partir de l’étude de métiers féminins, masculins et mixtes, ce numéro met au jour le biais sexué qui structure l’analyse des métiers de service et leur perception par les professionnel·le·s.
Description
Les métiers de service, qui impliquent une interaction entre un·e prestataire et un·e bénéficiaire, représentent aujourd’hui la forme majoritaire d’emploi dans les sociétés occidentales, surtout chez les femmes. La dimension relationnelle des métiers de service constitue un objet d’étude privilégié pour appréhender ces emplois, en comparaison à ceux de l’industrie, plus masculinisés.
Mais les métiers de service sont-ils vraiment plus «relationnels» que les autres types d’activité professionnelle? Et pourquoi la dimension relationnelle est-elle si souvent mise en exergue lorsqu’on parle des métiers de service féminins peu qualifiés, alors qu’elle est généralement passée sous silence dans le cas des professions prestigieuses? Ce questionnement constitue un enjeu majeur pour les recherches féministes sur le travail.
A partir de recherches portant sur les assistantes sociales, les physiothérapeutes, les éducatrices de la petite enfance, les surveillants de prison et les facteurs, les auteures du présent numéro tentent d’approcher ces questions à travers trois interrogations : la place du relationnel dans l’œil des chercheur·e·s; la place du relationnel dans les récits des salarié·e·s; le sens du travail relationnel au sein des métiers féminisés. Leurs textes mettent au jour les processus insidieux qui amènent les salariées à survisibiliser la dimension relationnelle de leur travail, souvent perçue comme «positive» et enrichissante, alors que cette dernière est ignorée, minimisée, voire invisibilisée dans les activités masculines. Ces articles montrent, en outre, que ce n’est pas tant la nature du travail qui détermine la perception de son caractère relationnel, mais plutôt les rapports sociaux de sexe entre les professionnel·le·s et leurs client·e·s.
Table des matières
Edito
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Relationnels, les métiers de service? (Nicky Le Feuvre, Natalie Benelli, Séverine Rey)
Grand angle
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L’agencement hiérarchique de l’égalité. Discours de physiothérapeutes face à des situations thérapeutiques potentiellement sexualisées (Hélène Martin et Céline Perrin)
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Vous avez dit « relationnel »?
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Comparer des métiers de service peu qualifiés féminins et masculins (Marie Cartier et Marie-Hélène Lechien)
Travail social et rapport aux familles. Les effets combinés et non convergents du genre et de la classe (Delphine Serre)
Champ libre
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Feminist Semiotics. Pour une sociologie politique du cul féminin dans les publicités italiennes (Laura Corradi)
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L’encrage du genre. Le rôle des professionnel·le·s du tatouage dans le façonnage des corps genrés (Valérie Rolle)
Parcours
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Largesse et créativité féministe au service de l’éducation publique. Entretien avec Barrie Thorne, professeure en études genre et en sociologie à l’Université de Californie, Berkeley (Laurence Bachmann)
Comptes rendus
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Anne Cova (éd.), Histoire comparée des femmes. Nouvelles approches (Anne-Françoise Praz)
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Caroline Ibos, Qui gardera nos enfants? Les nounous et les mères (Marianne Modak)
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Danièle Kergoat, Se battre, disent-elles… (Françoise Messant)
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Pascaline Mourier-Casile, La Fente d’eau (Ghaïss Jasser)
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Le 34e Festival international de films de femmes de Créteil (France) (Ghaïss Jasser)
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Marie-Pierre Moreau, Les enseignants et le genre. Les inégalités hommes-femmes dans l’enseignement de second degré en France et en Angleterre ( Farinaz Fassa Recrosio)
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Feminist Studies, vol. 37 No 2, 2011, Race and Transgender Studies (Martine Chaponnière)
Collectifs
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Sisters in Islam: un collectif féministe conteste l’autoritarisme étatique et religieux en Malaisie (Olivia Killias)
Presse
Dans la revue en ligne Lectures / Liens Socio
À l’heure où les travaux sur le genre se consolident dans le monde de la recherche, et dans une période où les problématiques de genre se font entendre de manière plus ou moins audible dans la sphère sociale, le dernier numéro de la revue Nouvelles Questions Féministes propose de renouveler le regard scientifique.
Coordonnée par trois féministes et chercheures engagées, Nicky Le Feuvre, Natalie Benelli et Séverine Rey, cette publication rassemble une grande diversité de contributions condensées en 159 pages. La richesse des points de vue ainsi rassemblés permet une prise de recul essentielle à la réflexion sur le genre et la place des femmes dans la société.
Il comporte, un éditorial exposant les cheminements et perspectives scientifiques de l’étude des métiers de services – un dossier « Grand angle » constitué de trois articles traitant des questions féministes liées à la composante relationnelle de ces métiers – une partie « Champ libre » dont les deux articles démontrent la construction sociale genrée des corps – un entretien réalisé par Laurence Bachmann auprès de la renommée théoricienne du genre, Barry Thorne – sept comptes rendus de lectures et enfin un article d’Olivia Killias sur le combat du collectif Sisters in Islam pour un système politique et social « juste » à l’égard des deux sexes.
L’éditorial intitulé « Relationnels, les métiers de service? » nous interpelle sur la question des enjeux rattachés à la dimension relationnelle et à la division sexuelle du travail au sein de la vaste nébuleuse des « métiers de service ». L’ensemble des articles par ailleurs exemplaire en terme de description et d’apport méthodologique nous révèle toute la difficulté de rassembler sous le terme « métiers de service » un ensemble large et hétérogène d’activités. Le trait commun de ces dernières se situe dans le rapport interactif entre les « salarié.e.s et les bénéficiaires ou destinataires de leur travail » (p.4). C’est l’observation de cette interaction, croisée avec les facteurs de « race, de genre et de classe » (p.127), qui permet de réfléchir collectivement aux rapports sociaux de dominations. L’objectif à terme étant d’élaborer puis de diffuser un savoir théorique, ainsi que des leviers d’action en faveur de l’égalité. Retraçant brièvement l’émergence de la notion de « métier de service » dans la sociologie, et la cécité d’antan sur la présence de femmes dans le monde du travail (due au caractère masculin des chercheurs), les coordinatrices de la revue nous fournissent alors la genèse évolutive de la problématique du relationnel dans ces métiers et l’intérêt de dépasser cette approche.
Le dossier « Grand angle » fait la lumière sur les motivations du choix de focale thématique. Pointant l’effet pervers de la tendance à analyser sociologiquement les activités féminisées du secteur tertiaire via le prisme relationnel, les chercheures sont alors invitées à poursuivre la correction de leurs grilles de lecture. Cela, afin d’éviter l’enfermement dans une croyance manichéenne qui considère « le caractère relationnel » (p.6) comme le critère spécifique de définition des professions hyperféminisées. Le relationnel ne doit donc plus être envisagé comme l’apanage des métiers de services féminins. Dès lors, les dimensions techniques, cognitives et manuelles, souvent occultées ou réservées aux activités davantage masculines doivent être intégrées à leurs analyses. Les trois articles suivants, centraux dans la revue, donnent spécifiquement à voir ces aspects. Hélène Martin et Céline Perrin révèlent « l’asymétrie structurelle » (p.154) des conditions d’exercice chez les Physiothérapeutes. Celle-ci est mise en lumière à travers l’analyse des entretiens de ces professionnels décrivant des situations thérapeutiques évaluées comme porteuses du risque de sexualisation. Quantitativement plus présent dans le rapport soignante/soigné, cette menace est jugée comme une dérive potentielle banale, un comportement non pathologique de la part du soigné. Moins grand dans le rapport soignant/soignée, ce risque est considéré comme anormal et symptomatique d’une pathologie de la part de la soignée. Érigée au rang de compétence professionnelle, d’aucuns diraient de prouesse, l’attitude de repoussement de la part du soignant, est, pour la soignante, vu comme le résultat d’une incompétence dans la mise en place de « stratégies préventives » (p.24), d’un manque d’anticipation du dérapage.
L’article rédigé par Marie Cartier et Marie-Hélène Lechien développe une approche comparative « des métiers de services peu qualifiés » (p.32). Il illustre le fait que la dimension matérielle soit gommée dans les métiers féminins tandis que c’est la dimension relationnelle qui est annihilée dans les métiers masculins. La recherche de la valorisation de la tâche professionnelle quotidiennement accomplie amène les femmes à exagérer la facette relationnelle de leur travail tandis que celle-ci est rendue imperceptible dans le travail des hommes. Étudiant et mariant les « rhétoriques professionnelles genrées » (p.45) aux observations de terrain, les sociologues mettent en exergue la dimension plurielle du relationnel. Aussi, elles révèlent la fabrique de biais d’interprétation de cette notion arbitrairement genrée tant par le discours sexuellement construit des travailleurs que par l’analyse sociologique des données empiriques qui lui corresponde.
Enfin, Delphine Serre en observant des assistantes sociales dans leur quotidien, plus particulièrement dans leur rôle de signalement des enfants en dangers et de protection des familles (surtout les femmes) introduit dans son étude des éléments souvent négligés. C’est à dire, le sexe et la classe sociale tant chez les professionnel(les) que chez leur public ainsi que l’impact de ces variables en termes de constructions de normes sociales et de pratiques professionnelles.
Les trois articles du « Grand angle » proposent chacun à leur manière une étude du relationnel. Ils soulignent l’importance de ne pas objectiver la division sexuelle du travail par un argument qui reviendrait à faire des interprétations essentialistes du relationnel. Ce dernier ne devant donc pas être considéré comme le propre des métiers de femmes. Par conséquent, l’investigation scientifique des métiers d’hommes suppose désormais l’inclusion de la variable relationnelle et celle des métiers de femmes la technicité. Tout cela dans le souci d’éviter une interprétation tronquée des professions du secteur tertiaire, une façon pour démontrer en creux que les métiers de services n’ont pas le monopole du relationnel.
La partie « Champ libre » donnant une place centrale à l’article de Laura Corradi regroupe des images publicitaires italiennes du « cul féminin » (p.69) dégradantes pour les femmes pouvant presque se passer de commentaires. Il prouve que « le cul des femmes » (p.84) est une construction sociale. Colonisées progressivement et « en crescendo, les parties intimes des femmes » (p.87) sont devenues, le véhicule symbolique de l’asservissement « du sexe inférieur » (p.87). Ce travail sociologique pourrait aux yeux de certains apparaître comme une diatribe prosaïque de la domination masculine. Or, il s’ancre dans une détermination politique plus profonde avec l’objectif d’ »activer des pratiques d’empowerment qui s’opposent au système de valeurs dominant » (p.87).
Fruit d’un travail théorique et réflexif inscrit dans la longue lignée d’intellectuelles féministes à l’image de Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Claude Hennequin ou encore Emmanuèle de Lesseps, les sept comptes rendus de lecture croisent des apports internationaux transdisciplinaires. L’aspect commun des témoignages jalonnant les articles est de montrer que les femmes quels que soient leur statut, leur profession, leur classe, leur « race » sont dominés par les hommes. En outre, il s’établit parfois une hiérarchie de domination entre les femmes, quelques-unes se plaçant alors en double position de dominantes et de dominées.
Pour illustrer ce dernier élément, nous pointerons particulièrement l’enquête de Caroline Ibos, intéressante pour qui douterait de la corrélation des rapports inégalitaires, de sexe, de « race » et classe. En observant la relation entre les nounous africaines et leurs employeuses elle saisit des aspects sous-jacents de la situation sociale et politique de ces femmes migrantes. Elle y montre aussi la manière dont la relation conflictuelle entre les sexes ici chez les couples « blancs », quant à la répartition des tâches domestiques, se trouve fallacieusement supprimée par l’emploi d’une « nounou » (p.121). Cela contribuant alors à déplacer ce conflit de sexe vers un conflit de « classes et de races » où la femme blanche se trouve cette fois en position de dominatrice.
On soulignera, la qualité des précisions relatives aux sources empiriques qui ont permis aux auteurs d’élaborer leurs réflexions, ainsi que la somme bibliographique que les articles procurent aux lecteurs. Le croisement d’approches pluridisciplinaires et pluri-générationnelles constitue une richesse indéniable de l’ouvrage. Cependant, on peut regretter la carence d’un regard psychologique qui aurait sans doute encore accru l’éclairage déjà grand qu’offrent ces travaux sur le thème des « métiers de service ».
Cette revue tient son engagement en nous présentant des entrées singulières dans un domaine complexe qu’est le genre et plus spécifiquement ici le genre au travail. Son caractère original tient essentiellement à l’accent mis sur la réflexivité de ces chercheures qui ont su décaler leur regard et témoigner de la difficulté de s’interroger sur des faits sociaux dont elles sont finalement autant observatrices que sujets.
Aurélia Confais, Lectures, Les comptes rendus, 22 décembre 2012, http://lectures.revues.org/10230