Notre frère
Canevascini Marion,
ISBN: 978-2-88901-158-2, 2020, 72 pages, 19€
« Notre frère » raconte l’arrivée déroutante de la maladie au sein d’une famille de trois enfants. Le récit se distille au compte-gouttes sous le regard que portent les deux soeurs cadettes sur cette maladie à nom d’insecte dont souffre leur grand frère, et qui s’invite brutalement dans leur enfance.
Description
La spécificité de ce roman graphique tient à son point de vue: l’histoire est racontée à hauteur d’enfants. La maladie psychique n’y est pas analysée, détaillée, disséquée, mais avant tout ressentie, dans ses dimensions primitives faites de peur, d’incompréhension, de tristesse, d’angoisse, mais aussi d’espoir, d’empathie et de fraternité.
Or, si ce mince récit nous touche autant, c’est que la maladie psychique – parce qu’elle est encore largement incertaine et taboue en dépit de la connaissance médicale actuelle – nous ramène immanquablement au dénuement pudique de l’enfance: cet enfant que chacun de nous, quel que soit son âge, porte toujours en lui-même.
Ce témoignage sensible et pudique d’une maladie seulement évoquée entre les lignes permettra aux plus jeunes d’aborder, de questionner et d’être accompagnés dans la maladie. Il existe en effet beaucoup d’ouvrages sur la schizophrénie mais pratiquement aucun ne s’adresse à des enfants (!).
Artiste fribourgeoise, Marion Canevascini, étudie les Lettres à l’Université de Fribourg et notamment le rapport entre le texte et l’image. Elle partage aujourd’hui son activité entre peinture, écriture, et enseignement.
Planche(s)
Presse
Page à pages
Dans un récit intime, Marion Canevascini livre son enfance et celle de sa sœur au sein d’une famille dont le frère aîné est atteint de schizophrénie. On les suit au fil des années, à hauteur d’enfant qu’elles sont, en fonction de leur âge, de ce qu’elles ressentent, de ce qu’elles observent chez leurs parents qui font ce qu’ils peuvent pour les épargner et garantir à la famille un semblant d’équilibre, quitte à ne pas partager leur tristesse, leurs soucis et leur fatigue. Dans son monde occupé par les esprits, le frère est comme absent de la fratrie. Les liens entre les deux sœurs se font de plus en plus forts, dans l’adversité. Elles grandissent et découvrent la légèreté de la vie le jour où elles peuvent partir seules en vacances. Puis, c’est le fils qui un jour vole de ses propres ailes. Elles vont enfin pouvoir exister et la famille devenir une vraie famille. Pour une première œuvre, l’essai est réussi. Bravo à Marion qui continue d’explorer l’enfance dans son ouvrage suivant, Sables mouvants, qui oscille entre le poème graphique et le récit dessiné introspectif dans lequel une jeune femme se penche sur la petite fille invisible qu’elle était, l’absence du père, les secrets des adultes et l’importance du deuil dans la construction identitaire.
Article de Katia Furter sur son blog Page à pages.
Avis de lecture paru sur le blog des Avenues et des fleurs de Dunia Miralles, 22 avril 2021
Lectures et maladies : de la schizophrénie à la pandémie avec Marion Canevascini et Claude Darbellay
En lisant L’Épidémie, on soupçonnerait aisément Claude Darbellay de complotisme. Tout y est : un grand projet liant les pharmas, la haute finance, l’OMS, le Haut Commissariat aux Réfugiés, des politiques d’ici et d’ailleurs et des mafias. Des expériences sans scrupules faites sur des êtres humains. Un monde prêt à tout pour imposer sa loi. Seule ombre au tableau : L’Épidémie, dont la deuxième édition vient de sortir chez Infolio, est parue pour la première fois aux Éditions G d’Encre en 2007, soit 12 ans avant les premiers cas de Covid-19. On ne peut donc guère accuser son auteur de prendre le train en marche ou de profiter de la pandémie pour vendre du livre. A la rigueur, on peut imaginer que les complotistes s’inspirent de son livre pour élaborer leurs arguments. Les conjectures s’arrêtent là même si, depuis plus d’un an, nous vivons des situations schizophrénisantes. Toutefois, la schizophrénie, la vraie, pas le mot qu’on glisse en tant que métaphore au hasard d’une conversation, ressemble à toute autre chose. Avec beaucoup de pudeur, Marion Canevascini s’est penchée sur cette maladie dans un très beau livre illustré que je tiens à vous présenter avant de revenir sur L’Épidémie.
Marion Canevascini : Notre frère
Paru aux Éditions Antipodes, Notre frère, le roman graphique de Marion Canevascini, est particulièrement touchant. Actuellement la parole se libère. De plus en plus, on laisse de la place dans les livres et les médias aux personnes qui souffrent d’un handicap ou d’une maladie mentale. On donne aussi facilement l’occasion de s’exprimer aux parents ou aux conjoints. Il est plus rare d’entendre la souffrance de la fratrie. La douleur des enfants qui « vont bien » et, dont le frère ou la sœur qui présente une pathologie, efface l’enfance en retenant l’entière attention des parents. Avec délicatesse, le livre de Marion Canevascini raconte ses souvenirs : l’arrivée de la maladie dans une famille qui compte trois enfants. Face aux étrangetés de leur frère ainé et au désarroi de leurs père et mère, les deux sœurs cadettes s’unissent pour exister. Dans cet ouvrage aux dessins et aux textes épurés, ce sont les blancs des pages et les mots tus qui s’inscrivent dans le ressenti.
Ce témoignage sensible d’une pathologie évoquée entre les lignes permet aux plus jeunes d’aborder, de questionner et d’être accompagnés dans la maladie. En effet, il existe beaucoup de littérature sur la schizophrénie mais pratiquement aucun écrit ne s’adresse à des enfants.
Avis de lecture sur la plateforme pour le livre jeunesse, Ricochet
Un grand frère se met à dire des choses étranges, à voir des gens effrayants qui lui donnent des ordres, chuchotant des mots qu’il est seul à entendre. Les sœurs tentent de donner un sens à ce chamboulement profond qu’est l’atteinte psychique, d’autant plus difficile à appréhender qu’il n’y a pas de blessure visible. Bousculées par les inquiétudes et les espoirs, elles tentent de trouver leur place d’enfant dans une existence souvent accaparée par la souffrance de leur frère, mais dans laquelle le rêve et la joie parviennent heureusement encore à s’immiscer.
En choisissant de décrire le point de vue des enfants épargnés par la maladie mais touchés au cœur par le vécu de leur frère, l’artiste Marion Canevascini livre un récit ancré dans le quotidien de la fratrie où l’arrivée de poules côtoie le départ pour l’hôpital. Le bouleversement de la famille se décrit comme la fatigue lue dans les yeux de la mère : à demi-mots, davantage ressenti qu’analysé. Au travers d’esquisses au trait hachuré, l’auteure-illustratrice capture des instants de vie à la manière de photographies noir-blanc : les sœurs qui s’apprêtent à aller à l’école, un jeu de marelle, un vol d’abeilles, un vieux nounours. Confrontant le banal au douloureux, le tableau est poignant.
Sensible, Notre frère s’avère un point de départ aisément abordable pour partager autour des émotions dissonantes que traverse la fratrie d’un enfant malade : l’incompréhension envers la maladie elle-même, la peur quant à l’issue de cette dernière et l’angoisse de la mort, le vécu de l’absence (non seulement de l’enfant hospitalisé mais aussi des parents accaparés par la situation), tout comme l’amour fraternel et l’empathie, mais également ce qui est plus difficilement exprimé, comme le soulagement ainsi que le goût de la liberté teintés de culpabilité lors de moments loin de la maladie.
Une émouvante réussite.
Avis de lecture de Nicole Tharin, Ricochet
Avis de lecture dans le Magazine Marie-Claire CH
De même que la mort d’un enfant est dramatisée prioritairement par rapport aux parents plutôt qu’aux frères et sœurs, la maladie mentale est accaparée par les adultes – famille, médecine, société – au détriment des plus jeunes, qui doivent accepter (et se faire oublier) sans forcément comprendre… Avec une grande délicatesse et un réel talent, le roman graphique de l’illustratrice Marion Canevascini aborde le regard d’une fratrie que la schizophrénie bouleverse, mais soude aussi, et qui ose briser l’omerta pour imposer son droit à l’enfance.
Magazine Marie-Claire, Culture Livres #65, 10.08.2020
DU CÔTÉ DE CHEZ ZEP
Du côté de l’Helvétie, la maison d’édition Antipodes vient de sortir deux livres qui ont attiré notre attention. Avec Je suis grosse, la dessinatrice Marina K. revient avec énormément d’humour sur sa vie de femme et toutes les frustrations qui vont avec. À lire avec attention tant le contenu vaut le coup d’œil. Dans un autre registre, moins léger, Marion Canevascini raconte dans Notre frère l’arrivée de la maladie dans une famille où les deux petites sœurs cherchent à comprendre ce qui ne va pas chez le grand frère atteint d’un mal au nom tellement compliqué qu’elles n’arrivent pas à le retenir. Livres brochés en noir et blanc, ces deux histoires sont étonnantes.
Géant vert, page Actualités du dBD Magazine #144, juillet 2020
Marion Canevascini, invitée de Jean-Marc Richard dans l’émission de radio La Ligne de Coeur (RTS la Première, lundi 03.08.20) – émission en direct (pas de podcast)
La schizophrénie pour frère
C’est une maladie au nom d’insecte qui hante le roman graphique de la peintre fribourgeoise Marion Canevascini. Pour son premier album, elle livre un récit triste vu par des yeux d’enfants. Avec sa sœur, elle agrandi avec un grand frère schizophrène, de cette maladie dont on ne donne jamais le nom dans la famille. «Il voyait des gens dans la rue, dans le salon, ailleurs encore, des gens qui parlaient dans sa tête, et qui le montraient du doigt et lui ordonnaient des choses affreuses.»
La maladie s’insinue partout, « elle comble tous les espaces vides, les pensées, les moments creux ». Même s’il est peu présent (on ne le découvre qu’à l’avant-dernière page), le frère obnubile la famille et transforme l’enfance des deux autres en un désert affectif, où elles ne peuvent qu’exister. Le dessin est sobre, un peu imprécis, tout en zones noires comme le récit poignant.
David Moginier, 24Heures, vendredi 17 juillet 2020
La schizophrénie vue par les enfants
Dans ce livre, on ne trouve pas d’explications pour les enfants sur ce qu’est cette maladie au nom d’insecte. Au contraire, Marion Canevascini avait à coeur de raconter son enfance, aux côté d’un grand frère schizophrène. Ce sont ses souvenirs, son sentiment d’alors face à la dynamique familiale chamboulée, l’amour fraternel, l’angoisse, mais aussi les bons moments qu’elle a dessinés, en noir et blanc.
Mélanie Haab, Journal Coopération, n°28 du 7 juillet 2020
Enfances en souffrances
C’est l’histoire d’une cassure dans l’enfance, une cassure avec l’insouciance. Comme un être mystérieux, la maladie frappe une famille. Notre Frère retrace le bouleversement des équilibres, des repères, vécu à travers des yeux d’enfants ayant un frère souffrant. Se pose également la question du sens de l’épreuve subie, d’autant plus que ce mal psychique semble avoir sa propre logique, qui paraît complètement illogique. Les liens familiaux sont altérés. Dans ses pensées, le frangin a l’air emprisonné. Les deux soeurs cadettes s’unissent face à l’épreuve. Et les parents jouent un rôle protecteur. Toutefois, la maladie envahit un quotidien désormais marqué par un avant et un après.
Avec beaucoup de sensibilité, Marion Canevascini rend compte d’un vécu. A travers son récit épuré, elle reconstitue les pièces d’un puzzle familial. Ses pages sont aérées; la démarche artistique marie admirablement les pleins et les vides laissant pudiquement le lecteur intégrer les événements. L’articulation texte-image se révèle remarquable. En maniant peu de mots, l’autrice partage beaucoup d’éléments existentiels, sachant être elliptique, l’histoire gardant sa part de mystère et faisant ainsi travailler notre imaginaire. Les dessins, réalisés au moyen de feutres à encre de Chine, ont un côté polaroid, comme des fragments du passé revenant à la mémoire. La variation de leur format donne du rythme. Sur un sujet encore tabou, parfois source d’incompréhension, l’artiste fribourgeoise porte un regard plein de finesse, à la fois fort et empli de bienveillance. Une douceur à même de panser les plaies béantes ouvertes par une maladie au nom bizarre.
Fabrice Bertrand, Le Courrier, vendredi 3 juillet 2020