Mots et merveilles
Après la route
Despont Valérie, Schussler Myriam,
ISBN: 978-2-88901-204-6, 2021, 72 pages, 19€
Livre témoignage, ce roman graphique raconte un vécu familial suite à l’arrivée d’un jeune homme afghan. ll est à lui seul un parcours d’« histoires de vie d’ici qui réunissent des histoires de vie d’ailleurs. Chacun prend soin de l’autre et réciproquement. Chacun prend confiance et donne confiance. Parfois, néanmoins, la rencontre ne se fait pas. ».
Description
Depuis ce samedi de février 2017, j’ai acquis un nouveau statut : marraine d’un jeune homme afghan mineur que je ne connais pas. Ce jour-là, je ne sais même pas où se trouve l’Afghanistan sur une carte du monde. Je parade néanmoins lors de cette matinée d’information : la raison de cette fierté est collée sur le haut de ma poitrine, juste au-dessus du coeur, et se matérialise sous la forme d’un rectangle blanc, sur lequel est écrit « Mostafa ». C’est ce prénom-là qui nous est attribué.
Un mois plus tard, ma famille et moi participons à un jeu plutôt absurde, autour d’une table gigantesque, prévue pour une foule, alors que nous ne sommes que huit. Soirée de rencontre sous les néons de la salle de conférence. Tout est sinistre, sauf la volonté de chacun de nous d’en faire un moment spécial. Mostafa est là, peu à l’aise, s’accrochant au regard de son assistante sociale. « Quel est ton animal préféré ? » questionne ce jeu naïvement. Ce soir- là, il ne dira qu’une seule chose, qu’il n’est pas l’ami du cochon.
La suite de ce livre parle de fous rires, d’incompréhensions, de découvertes et de la capa cité de notre famille à situer aujourd’hui l’Afghanistan sur une carte. Et de ma rencontre avec un grand nombre d’autres jeunes gens au féminin et au masculin qui rêvent de pouvoir dire un jour : « Ici c’est aussi chez moi. »
Un SPECTACLE-CONCERT mis en scène par Daniel Carel (Cie de l’Autre) sera créé autour de ce texte avec des comédien·ne·s professionnel·lle·s.
Deux concerts de musique réalisés par ces jeunes étrangers installés en Suisse romande seront proposés de manière à recréer un peu de leur univers au-delà de leur simple présence ici en Suisse.
24-26 septembre, Ferme du Château à Denens
8-9 octobre, CRAB de Bussigny
17 décembre, CPO à Lausanne
Décembre (date à venir), Villeneuve
Elles et ils étaient presque encore des enfants, ils sont partis d’Afghanistan, Iran, Syrie, Érythrée, Irak, avec d’improbables mais tenaces espoirs, ont traversé à pied, nuit et jour jour et nuit, montagnes plaines fleuves déserts neiges boues, ont connu la mer, la houle, les embarcations précaires et surchargées, ils ont fait de l’inconnu un familier, du chaos un cadre, de leurs peurs une confiance. Ils se sont efforcés d’oublier l’innommable, de sauvegarder le mémorable, de contenir les cris perdus, de croire que c’était bien leur vie cette épopée qui les propulsait et les malmenait, et certaines et certains sont finalement arrivés dans cet helvétique pays.
Elles et ils ont été confiés à des institutions. Des marraines et parrains ont surgi pour les accompagner, les aider à recevoir ce nouvel ici, contredire un peu l’injustice faite à leur humanité.
Ce sont deux récits de la rencontre entre nouveaux arrivants et résidents de longue date que nous vous proposons de vivre, récits croisés de musiques et de chants qui nous amèneront à voyager à la rencontre de ces jeunes migrants et migrantes non-accompagnés, à soulever la question des territoires, territoires présents perdus fantasmés à inventer, et alors peut-être apprécierions-nous mieux encore qu’elles et ils soient – pour certaines et certains miraculeusement – parmi nous.
- Textes : Valérie Despont
- Mise en scène : Daniel Carel
- Jeu : Carine Barbey, Daniel Jeanloz, Damien Naïmi
- Musiciens : Arash Ashrafzadhniek, Farid Darabi, Jafar Zeraati, Latcheen Maslamani, Mohammad Safdari; Jafar Zeraati
- Production : Cie de l’Autre
Presse
La marraine des Afghans préfère l’asile joyeux
Valérie Despont / La lausannoise s’engage depuis 2017 dans le parrainage des jeunes issus de la migration
Valérie Despont déteste le mot «migrants», qui «réduit ces personnes à ce qu’elles ont été». Ce qui l’intéresse, c’est ce qu’elles vont devenir dans la société qui les accueille.
Depuis 2017, et l’accueil de son «fils aîné» Mostafa, l’enseignante d’arts visuels s’emploie à mettre en lien des primo-arrivants et des marraines et parrains d’ici. Elle narre ces rencontres dans un livre. Un spectacle tiré de «Mots et merveilles, après la route» (Éd. Antipodes) se jouera dès le 24 septembre à Denens puis tournera dans le canton.
Le recueil est un «accident de parcours», joyeux, loin du misérabilisme qui colle à l’asile, insiste la tout juste cinquantenaire. À l’image des murs de son appartement lausannois, fantaisistes et tirés au cordeau, foisonnants et minutieux, la volubile ultra-organisée insuffle un rythme soutenu. «j’aime la vie, être en lien, rigoler. Je fais en sorte de ne pas m’ennuyer.» Son parcours en témoigne: celle qui fut graveuse, céramiste, galériste, figurante et ouvreuse au théâtre est au jourd’hui enseignante, mère et bénévole au sein de l’association Nela, qui coache des jeunes issus de la migration dans le cadre de projets culturels.
C’est un article de «24 heures» qui pousse la Lausannoise à agir il y a quatre ans. Elle y lit les témoignages de familles et de bénéficiaires de l’Action-parrainage lancée en 2016 dans le canton de Vaud par plusieurs partenaires, dont les Églises, pour répondre à la crise migratoire. «On était dans un tea-room, au retour du chalet, avec mes enfants. Je leur ai dit: on pourrait faire ça!». Le troquet s’appelle aujourd’hui «tea-room Mostafa» dans la légende familiale. Du nom de ce jeune Afghan hazara rencontré un lundi soir deux mois plus tard au foyer pour mineurs non accompagnés de Crissier.
La parentalité étrange
Mostafa Heydati avait 17 ans. «Ce lundi soir a changé ma vie», dit-il dans un large sourire. Parti avec deux copains d’lspahan, où sa famille s’était réfugiée après avoir fui l’Afghanistan, il a trouvé chez les Despont-Graf un soutien pour comprendre comment vivre en Suisse, pour appréhender cette nouvelle culture. Il vient de terminer son apprentissage de cuisinier. Comme bien d’autres jeunes – souvent afghans – aidés par Valérie Despont, il l’appelle «maman». «Parce qu’une maman, c’est sacré, on l’admire. Elle nous aide à grandir. J’ai beaucoup de chance d’en avoir deux!».
La Lausannoise a accepté cette «parentalité étrange» qu’elle n’a jamais suggérée. Sa vie aussi a bien changé ce soir de mars. De son enfance à Assens, où elle passait le plus clair de son temps dans la ferme de ses grands-parents, avec poules, vaches et cochons, elle garde des racines qui expliquent sans doute sa solidité, et un amour du jardinage et des documentaires sur la cause paysanne. Elle côtoie un premier ailleurs chez sa tante genevoise, à 17 ans, alors qu’elle suit la voie artistique au Collège Voltaire. «Là j’ai découvert le monde intellectuel, les livres. On mangeait avec Georges Haldas!» La fille aînée de Bertrand, employé de banque, et Florence, mère au foyer, se départit petit à petit de son «fort accent vaudois», lit Flaubert et James Joyce et décroche un diplôme à l’École supérieure d’arts visuels.
C’est l’amie avec qui elle a tenu un atelier de gravure avant d’ouvrir sa galerie de bijoux contemporains qui l’encourage à se lancer dans l’enseignement. «J’ai eu un coup de foudre absolu pour ce métier. Je me suis ouverte à des cultures que je n’avais côtoyées ni à Genève ni à Assens.» Toute jeune mère, elle se prend d’affection pour ces élèves adolescents, «surtout ls e difficiles, qui vous bousculent, qui dysfonctionnent un peu, pas bien rangés, et qui vous emmènent ailleurs». On appelle ça une vocation.
Des Kurdes dans mon lit
Pour évoquer son engagement au sein de l’ Association Nela, François Burland, son fondateur, parle aussi de vocation. «On ne peut pas faire ça à 300% si ce n’est pas un truc plus fort que le roquefort», illustre l’artiste. Il décrit Valérie Despont comme «un torrent de vie, une maîtresse femme, d’une force et d’une joie incroyables». «Ce qui me fascine, c’est sa capacité à rebondir et à concilier si bien sa vie de famille, son couple, son boulot, quand parfois elle a trois Kurdes dans son lit!».
L’anecdote la fait rire. «J’avais prêté mon appartement mais on s’était mal compris! On a dormi au salon avec mon mari.» Stefan, cet époux avocat rencontré lorsqu’elle était gymnasienne à Lausanne, n’est pas « entré en migration » avec elle, mais il est « courageux, patient et généreux ». Comme leurs enfants, Coline, Félix et Gaspard, qui ont dû accepter de souvent partager leur chambre avec un de ses jeunes protégés, parce que «c’est important qu’ils se rendent compte de leur chance». Ce don de soi n’est toutefois pas un sacerdoce : «Je ne suis pas Mère Teresa.» Spirituelle mais pas religieuse, elle a sans doute pris un peu de ses parents très catholiques, qui avaient accueilli quand elle était déjà hors du nid un petit Parisien défavorisé, à l’enseigne de Feu et Joie. Il est devenu son demi-frère. Mais son action se veut citoyenne, loin de l’Église, «trop lourde».
Et si elle peine à garder la distance qu’il faudrait – son téléphone, qu’elle éteint à 23 h, crépite régulièrement – et que ces destins adolescents suscitent parfois de la tristesse, ses pleurs restent intimes: «La moindre des politesses est de ne pas sombrer avec eux.» L’immense reconnaissance de ces jeunes et de leurs «vrais» parents restés au pays est sa récompense: «Si mes enfants devaient partir, je serais heureuse de voir qu’une famille s’en occupe; ça fait du bien de voir que le monde n’est pas égoïste.»
Cécile Collet, 24heures, mercredi 15 septembre 2021