Les bonnes figures de la vieillesse
Repetti, Marion,
2018, 247 pages, 23 €, ISBN:978-2-88901-132-2
Cet ouvrage part du postulat que les débats portant sur l’avenir de la politique de la vieillesse sont révélateurs d’une lutte entre acteurs du champ de régulation sociale qui a pour objet l’imposition de catégories de pensées, soit la définition de ce qu’est un âgé aujourd’hui et de ce qu’il est moralement acceptable d’attendre de lui. Il montre comment cette question peut être comprise à l’aune de l’histoire du traitement social de la vieillesse, dont ce livre relate la genèse et les transformations.
Description
Les représentations de la vieillesse ne sont pas permanentes. Elles se métamorphosent en fonction des transformations des contextes économiques, politiques et sociaux.
En Suisse, la figure d’un « retraité méritant » en marge de la vie économique dominait les représentations de la vieillesse après-guerre. À l’inverse, aujourd’hui, l’image d’un « senior actif » est valorisée: une personne qui, malgré son âge avancé, contribue par son travail à limiter les coûts attribués au vieillissement démographique.
Comment s’est opérée cette transformation? Pour répondre à cette question, l’ouvrage explore la façon dont les débats qui ont porté sur l’élaboration puis les réformes de la politique sociale de la vieillesse en Suisse ont façonné ces figures. Il s’intéresse également au rôle que les scientifiques ont joué dans ce processus en contribuant à légitimer certaines représentations plutôt que d’autres.
Le regard adopté est sociologique. Il met en lumière la morale que diffusent les figures de la vieillesse, indiquant aux individus le comportement à adopter pour bien vieillir.
Table des matières
Préface de René Knüsel
- Et si l’un des prochains slogans politiques devenait: « Haro sur la retraite! »
Introduction
1. Politique et traitement social de la vieillesse
- Le traitement social de la vieillesse
2. Vieillesse, politique sociale et pensée d’État
- Une sociologie critique de la vieillesse
- Une sociologie de la politique sociale
- Une étude de la pensée d’État
3. Traitement social de la vieillesse en Suisse
- La belle vie à la retraite
- Quand retraite rime avec exclusion
- S’activer pour rester intégré?
- Transformations de la pensée d’État sur la vieillesse
4. Une assurance sociale pour un retraité méritant
- L’essor de la question sociale en Suisse
- La fin de la Seconde Guerre mondiale et le problème social de la vieillesse à l’agenda fédéral
5. Vers l’échec d’un premier projet d’assurance vieillesse et survivants
- Une vieillesse en marge de l’emploi
- Une subvention pour les vieillards indigents
- Le projet Schulthess
- Référendum et rejet de la loi Schulthess
- La naissance manquée du retraité méritant
6. De l’assistance à l’assurance
- Le retour de l’assurance sociale pour la vieillesse à l’agenda fédéral
- Second projet d’assurance
- Référendum et scrutin du 6 juillet 1947
- L’assurance sociale pour la vieillesse: la fin de l’assistance aux vieux démunis?
- La naissance du retraité méritant
7. Du retraité méritant au senior actif
- Consolidation du système de retraite suisse
- Une prévoyance vieillesse sur « trois piliers »
- Baisse de la croissance et premières fissures de la figure du retraité méritant
- La contribution sociologique à la construction du modèle du vieillissement actif
- Critiques sociologiques de la discrimination des rentiers
- Le vieillissement actif comme objet de la pensée d’État
Conclusion
- Capitalisme et vieillissement
- Vieillissement actif et individualisation de la gestion du risque
- L’appel à vieillir activement renforce la stigmatisation liée à l’âge
Pour ouvrir la discussion
- Limites du modèle actuel
- Repenser la valeur du travail
- Traiter du vieillissement actif avec précaution
Postface de Jean-Pierre Tabin
Bibliographie
Presse
Compte-rendu de Marion Braizaz sur la plateforme de Lectures, relais de l’actualité de l’édition en sciences sociales
Prenant appui sur un contexte international marqué par une inquiétude croissante des institutions politiques face au vieillissement des populations, l’ouvrage de Marion Repetti propose un éclairage sociohistorique sur un questionnement d’ordre moral qui traverse nos sociétés depuis le XIXe siècle : quels sont les contours sociaux de la légitimité qui permet aux personnes âgées perçues comme étant en « bonne santé » de bénéficier d’une rente vieillesse par le biais de la solidarité nationale1 ? À travers deux objets de recherche qui sont, d’une part, les représentations de la vieillesse dans la société industrielle et postindustrielle suisse et, d’autre part, la politique sociale comme forme d’intervention de l’État chargé de réguler certains risques sociaux, Marion Repetti propose une rétrospective détaillée des discours politiques et des évènements qui ont jalonné le parcours de la lutte collective contre les risques liés à la vieillesse au cours des XIXe et XXe siècles. Cette sociohistoire met en lumière comment de « bonnes » figures de la vieillesse ont émergé en Suisse. Si la figure du « retraité méritant » est placée au cœur de la pensée d’État pendant de longues décennies, celle du « senior actif » lui succède dans le courant des années 1980. Ces deux modèles normatifs du vieillissement constituent selon l’auteure « des réponses morales à des impératifs économiques : celui de légitimer la mise à l’écart des travailleurs âgés dans la première moitié du XXe siècle, celui d’appeler à limiter les dépenses de la politique vieillesse aujourd’hui » (p. 23).
Les deux premiers chapitres ont pour ambition de décrire le socle théorique choisi par la sociologue. Tout d’abord, elle situe son argumentaire dans la lignée des travaux anglo-saxons de gérontologie critique ayant à cœur d’étudier dans quelles mesures l’expérience subjective du vieillissement est façonnée par les structures politiques et économiques. Ensuite, l’auteure inscrit son ouvrage dans les pas de Pierre Bourdieu2 qui a défini l’État comme une institution dépositaire d’une force symbolique, capable d’imposer des règles explicites et/ou implicites aux individus via les lois mais surtout via la construction d’un discours, d’une « pensée » (« doxa ») distillant une « représentation dominante du monde légitime » (p. 26).
Le troisième chapitre propose un survol des questionnements contemporains relatifs à l’assurance vieillesse et survivants (AVS) en Suisse. Il porte notamment sur le cheminement historique de cette protection sociale dont l’adoption a été houleuse, sur l’échec des dernières propositions de révision et surtout sur les iniquités actuelles qui clivent la population âgée. En effet, explique l’auteure, à l’intérieur et par-delà les frontières suisses, il y a un écart fort entre la représentation que les individus se font de la population âgée de ce pays, pensée comme économiquement privilégiée, et la réalité des inégalités invisibles qui traversent cette population ; celles-ci concernent particulièrement les femmes âgées qui font face à des situations de précarité.
Le quatrième chapitre traite de l’apparition de la figure du « vieillard invalide » dans les discours politiques depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Dans une société imprégnée par une doctrine libérale qui valorise la responsabilité individuelle et la non-intervention de l’État – en d’autres mots, qui justifie la précarité d’une partie de la population par le manque d’anticipation et de prévoyance de cette dernière –, les autorités fédérales suisses usent d’une nouvelle vision de la vieillesse en l’assimilant à l’invalidité. Les prises de paroles de l’État suisse se centrent ainsi sur la description d’un « vieillard misérable et abandonné », victime de l’économie capitaliste3. Grâce à cette représentation « déficitaire » de la vieillesse, les discours politiques vont donner un sens moral et une légitimité à leurs actions4 sans pour autant froisser l’élite bourgeoise suisse.
Au chapitre cinq, c’est l’histoire de l’échec d’une première tentative qui nous est relatée. Malgré un premier projet de loi en 1929, placé sous le signe du compromis (entre les aspirations de l’aile gauche du champ politique et les revendications de l’aile conservatrice du bloc bourgeois), la population suisse se prononce négativement en 1931 (par votation populaire) sur la mise en place d’un système d’assurance vieillesse. Pourtant, le Conseil fédéral – dans ses différentes prises de parole – s’était attelé à présenter la vieillesse comme un enjeu social structurel5 auquel l’État devait apporter une réponse par un appui financier – « mesuré » – au nom de la solidarité de la nation. Afin de conserver (officieusement) un espace réservé au marché privé des assurances (défendu par la droite), l’État avait adopté la rhétorique de la conciliation. Tout en adressant à la population des messages fédérateurs, valorisant « l’effort commun » (défendu par la gauche), le Conseil Fédéral qui avait prévu de limiter le montant des rentes, insista également dans ses discours (officiels) sur la nécessité de responsabiliser les individus. En outre, une subvention nationale destinée au soutien des personnes âgées en marge de la société avait été versée en 1929 à une fondation privée6. Toujours est-il qu’en 1931, le projet d’AVS, dont Marion Repetti souligne le caractère « universaliste » mais surtout « minimal »7, est refusé par la population. Les discours de l’opposition libérale ont eu raison de ce projet. Ils ont, pendant de longs mois, au nom du principe même de solidarité, argué qu’une telle initiative était déraisonnée au vu de la situation économique difficile du pays. Cependant, selon l’auteure, cet échec signe tout de même une première inflexion des représentations. La vieillesse n’est plus uniquement abordée via l’angle de l’invalidité physique et, durant la Seconde Guerre mondiale, les conditions seront à nouveau réunies pour qu’une assurance sociale voie le jour. C’est l’objet du sixième chapitre.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, le « contexte international [est] marqué par des initiatives qui permettent de refaire nation » (p. 122). En Europe, la diffusion du rapport Beveridge est un symbole de la transformation des représentations faisant de la solidarité nationale une priorité. Ce rapport s’oppose notamment à l’idée selon laquelle le sort de chacun résulte de sa propre capacité. En Suisse, plus particulièrement, le maintien de la stabilité politique et sociale apparaît être une priorité pour la majorité politique bourgeoise, qui redoute le retour des troubles sociaux8 qui avaient marqué la Suisse à l’issue de la Première Guerre mondiale9. Il semble alors urgent d’inscrire un nouveau projet d’assurance vieillesse à l’agenda fédéral. Cela sera chose faite en 1947 ; néanmoins, quelques modulations sont apportées par rapport au premier projet de 192910 La loi adoptée dans la foulée par votation populaire est fortement symbolique. Malgré son impact encore limité (la priorité reste, dans les faits, donnée à l’assurance professionnelle et privée), elle signe l’institutionnalisation du problème social de la vieillesse au travers de la figure du retraité méritant.
Mais aucun socle moral n’est indéfectible et le dernier chapitre de l’ouvrage de M. Repetti met en lumière cette évidence avec vigueur. En amont, l’auteure énumère les révisions contemporaines de l’AVS lors de la seconde moitié du XXe siècle11 ; celles-ci ont consolidé un modèle mixte de prévoyance vieillesse en résonnance avec les normes « libérales de l’éthique du travail » (p. 161), prégnantes dans la société suisse.
Puis, la fin de l’ouvrage se consacre à l’effritement de la figure du retraité méritant (et du principe de solidarité) au profit de la figure du senior actif, qui marque un tournant dans les représentations du vieillissement en Suisse (et plus largement à l’international) à partir des années 1980. Le premier élément explicatif de cette transformation est à mettre sur le compte d’un ralentissement économique en Suisse à cette période, qui provoque un « renouveau de la rhétorique libérale »12. L’État défend l’idée qu’il est nécessaire de limiter son intervention. Mais le vrai tournant s’opère dans les années 1980, explique Marion Repetti, à travers les propos « des experts en sciences sociales » (gérontologues et sociologues) qui affleurent à cette époque et dont les discours politiques s’emparent progressivement. L’auteure retrace ainsi comment les sociologues ont notamment contribué à la construction du modèle du vieillissement actif. Dans une société où les valeurs associées à la jeunesse sont en essor, une sociologie « porteuse de cause » va émerger avec l’ambition de réaliser une lecture critique du traitement social de la vieillesse et de mettre sous le feu des projecteurs la marginalisation subie par les personnes âgées. Citant, entre autres, les travaux d’Anne-Marie Guillermard en France13, de Bernice Neugarten aux États-Unis14, de Pierre Gilliand en Suisse romande15, etc., l’auteure décrypte cette sociologie du vieillissement « engagée » qui désire déconstruire le lien entre vieillesse et déclin. Tout en dénonçant les inégalités et les conditions de vie des personnes âgées, ces prises de parole ont participé à la constitution d’une injonction à vieillir activement (également portée par les gérontologues via le concept de « vieillissement réussi »). En outre, les projets de réformes de la prévoyance vieillesse enclenchés par l’État Suisse se sont se réapproprié ces discours16. Le modèle du vieillissement actif est devenu une « stratégie politique à l’échelle internationale », un « socle moral sur la base duquel [sont] légitimés les appels au retrait de l’État et à un renforcement de la responsabilité individuelle dans la gestion du risque vieillesse » (p. 190). L’injonction à vieillir activement – à l’opposé de ces aspirations – a ainsi renforcé la stigmatisation liée à l’âge, catégorisant les individus en deux camps : ceux qui réussissent leur maintien social et économique vs ceux qui échouent et qui sont reclus.
L’ouvrage de Marion Repetti se conclut par une réflexion quant à la position des sociologues, dont les travaux sont (encore) susceptibles d’être repris sur le plan politique pour servir des objectifs antinomiques à leurs ambitions. Une réflexivité que cette auteure considère incontournable pour éviter que « nos travaux ne soient que simples productions et reproductions de la pensée d’État » (p. 209).
1 Si les spécificités de l’État Suisse sont cœur de la démonstration, cet ouvrage « apporte un éclairage bienvenu sur la manière dont se bâtissent les politiques sociales au gré des contextes, de l’évolution des regards et des définitions, comme des rapports de forces sociaux et politiques » comme le souligne René Knüsel dans la préface de ce texte (p. 16).
2 Entre autres : Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1980 ; Pierre Bourdieu, Sur l’État : Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Raison d’agir, Seuil, 2012.
3 « Ce ne sont pas l’invalidité ou la vieillesse en soi qui font problème, mais plutôt leurs effets sur la force des hommes qui faiblit et qui les empêche de produire des biens », écrit Marion Repetti (p. 59).
4 C’est-à-dire au début de leur réflexion par rapport à un projet d’assurance vieillesse.
5 Corrélé à la forme industrielle et tayloriste du marché du travail.
6 Cet usage de la philanthropie privée suisse avait pour ambition de contenter tous les intérêts politiques.
7 À titre d’illustration, la rente obtenue ne couvre que 10% du salaire d’un ouvrier qualifié.
8 Grève générale de 1918.
9 D’autant que des revendications émanent de la population civile concernant la situation des personnes vieillissantes, conduisant certains cantons à se prononcer sur la question de la protection sociale de ces individus et à obtenir des subventions du Conseil Fédéral relatives à l’assistance des personnes âgées les plus démunies.
10 Cette fois-ci, il est prévu que les cotisations soient fixées en fonction des revenus individuels et il n’y a pas d’uniformité (comme ceci était envisagé dans le projet de loi de 1929 : les cotisations étaient pensées comme identiques pour tous et toutes). Si le montant des rentes reste bas, le droit à la rente est alors défini comme inconditionnel à partir de l’âge de 65 ans (un vrai contraste par rapport au principe d’assistance mis en œuvre par la philanthropie suisse, selon lequel le bénéficiaire devait justifier du bien-fondé de son besoin). Par ailleurs, le texte de loi institue une « rente vieillesse » (en fonction de l’âge) et non une « rente retraite » (en fonction de l’activité).
11 La faible hausse du montant des rentes, la création de prestations complémentaires par le biais des fondations privées et des cantons (1962), l’accès à l’AVS pour les femmes et surtout, la naissance du système des trois piliers qui entérine la reproduction (voire l’augmentation) des inégalités sociales lors de l’entrée à la retraite. Le pilier 1 est l’AVS et couvre les besoins « vitaux », le pilier 2 est accessible via son employeur, le pilier 3 concerne l’épargne individuelle.
12 C’est le « temps de la restriction » via la flexibilisation de l’âge d’entrée à la retraite et du recul de l’âge de la retraite pour les femmes (de 62 à 64 ans).
13 Anne-Marie Guillemard, La retraite, une mort sociale : Sociologie des conduites en situation de retraite, Paris, Mouton & Co, 1972 ; Anne-Marie Guillemard, Le déclin du social, Paris, PUF, 1986 ; Anne-Marie Guillemard, L’âge de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2003.
14 Bernice Neugarten, « Age Groups in American Society and the Rise of the Young-Old », Annals of the American Acadamy of Political and Social Science, n° 415, 1974, p. 187-198.
15 Pierre Gilliand, Vieillir aujourd’hui et demain, Lausanne, Réalités Sociales, 1982 ; Pierre Gilliand, Rentiers AVS : Une autre image de la Suisse, Lausanne, Réalités Sociales, 1983.
16 Tout en laissant de côté l’idée du bien-être des aînés.
Marion Braizaz, journals.openedition.org, mai 2018
L’image du retraité méritant est aujourd’hui fragilisée
Marion Repetti, docteure en sciences sociales, s’intéresse aux mécanismes et aux transformations de l’État social. Elle vient de sortir un livre Les bonnes figures de la vieillesse, aux Éditions Antipodes.
N’est-ce pas un paradoxe d’observer que les personnes sont encouragées à demeurer actives le plus longtemps possible, notamment à travers l’emploi, alors que l’économie tend de plus en plus à se séparer de personnes âgées?
Oui et non, cela dépend du point de vue que vous adoptez. C’est un paradoxe si vous considérez qu’il est nécessaire que les personnes qui ne peuvent plus gagner leur vie sur le marché de l’emploi doivent être protégées par une assurance sociale. Des politiques de vieillissement actif (NDLR Le fait d’aider les personnes âgées à rester aussi longtemps que possible les acteurs de leur propre vie et à contribuer à l’économie et à la société dans la mesure du possible) visant à rehausser l’âge de la retraite, par exemple, auraient pour effet de prolonger cette période. En revanche, si vous partez du principe que les personnes qui font face à un chômage de long terme doivent trouver des solutions elles-mêmes, et qu’il n’est pas pertinent, nécessaire ou juste que la collectivité leur assure une protection de type assurancielle, alors il n’y a pas de paradoxe. Donc cela dépend du point de vue politique adopté.
Il apparaît que les plus de 50 ans ont moins d’accès que les plus jeunes à la formation continue. N’est-ce pas un signe du décalage entre le discours politique sur l’idéal d’un vieillissement actif et la réalité du monde de l’entreprise?
La réponse est dans votre question.
La Conférence suisse des institutions d’action sociale exige la suppression de la fin des droits au chômage pour les personnes de plus de 55 ans.
Il faudrait voir exactement les conditions et observer dans quelle mesure cela aboutirait à un changement dans la loi sur l’assurance chômage, par exemple. Cela dénote, en tout cas, un débat quant à la définition du risque lié à la fin de carrière.
La valorisation à tout prix du vieillissement actif renforce-t-elle la stigmatisation et l’auto-dévalorisation des chômeurs de plus de 55 ans?
Je n’ai pas fait d’enquête auprès des chômeurs de 55 ans. Par défaut, je dirais que le fait de valoriser des seniors actifs implique que ceux qui ne le sont pas, ou qui ne correspondent pas au modèle attendu, sont par conséquent moins valorisés socialement que les autres. Cela ne veut pas dire que les personnes elles-mêmes n’ont pas de ressources pour faire face à cette situation. Elles sont néanmoins en position de désavantage face à des seniors qui peuvent faire la démonstration de leur participation active au marché de l’emploi ou à d’autres formes de contribution socialement valorisées.
À vos yeux, qu’est-ce qui est le plus urgent en Suisse? Repenser la protectian sociale selon d’autres modalités que le régime actuel d’assurance? Ou repenser la valeur du travail et les frontières entre activité rémunérée et bénévolat, par exemple?
La question du risque lié à la fin de carrière a fait un retour dans le débat politique au cours des quinze dernières années. Rien là de nouveau, contrairement à ce qui est souvent affirmé dans les médias. En revanche, l’image du retraité méritant est aujourd’hui fragilisée et certaines conditions du droit à la retraite sont remises en question. Cela s’inscrit dans un débar plus large sur la question sociale. Il porte sur la question de savoir quelle est la responsabilité de la collectivité – par l’intermédiaire de l’État – et respectivement de l’individu dans l’assurance d’une protection face à certains risques, comme celui du chômage de longue durée. Il s’agit, bien entendu, d’une question politique. Elle se pose tant dans le cas de la réflexion quant à l’élaboration de nouvelles formes de protections sociales que dans la redéfinition de la frontière entre travail rémunéré et bénévolat.
Nicolas Verdan, Générations, No 101, mai 2018, p. 14.