Le siècle d’Emma
Burnand Éric, Vaucher Fanny,
2019, 208 pages, 27 €, ISBN:978-2-88901-182-7
De la grève générale à la montée du nazisme, des moments sombres de l’immigration italienne aux luttes sociales des années 1970, l’histoire d’Emma, fictive mais très vraisemblable, nous immerge dans les conflits, les tensions et les questionnements du XXe siècle.
PRIX SUISSE DE LA MEILLEURE BD 2020, décerné par Delémont’BD !
Description
On dit souvent de l’histoire suisse qu’elle est ennuyeuse, sans conflits ni événements marquants. La vie (fictive) d’Emma démontre le contraire: née dans une petite bourgade horlogère au pied du Jura, Emma est soudain précipitée dans les soubresauts du XXème siècle.
En 1918, elle perd son fiancé dans les affrontements de la grève générale.
En 1937, elle se brouille avec son frère devenu pro nazi.
En 1956, son neveu, qu’elle a adopté, lui fait découvrir la face sombre de l’immigration italienne.
En 1975, sa petite-fille la confronte à la contestation féministe et antinucléaire.
Et en 1989, Emma fait une découverte stupéfiante lors du scandale des fiches.
Déclinée en cinq temps, dessinée en plusieurs centaines de cases, l’histoire d’Emma, fictive, mais très vraisemblable, nous immerge dans les conflits, les tensions et les questionnements du XXe siècle.
• Vers la conférence de Fanny Vaucher et Eric Burnand sur la fabrication d’une BD historique: ICI
Evénements passés…
samedi 2 mai · de 11h à 12h30 · Librairie Payot à Nyon
samedi 25 avril · de 10h à 12h · La Librerit à Carouge dans le cadre de BDZoom
samedi 7 mars · de 11h à 13h · Librairie La Bulle à Fribourg
samedi 7 mars · de 15h30 à 17h · Librairie Des livres et moi à Martigny
mercredi 26 février · 14h · Librairie De Cap et de mots à Bulle
mercredi 26 février · de 18h à 20h · Librairie Page 2016 à Payerne (discussion à 19h avec les auteur·e·s)
vendredi 21 février · de 17h à 19h · Librairie Little Nemo à Carouge
12 décembre · de 17h à 19h · Librairie La Fontaine Vevey (dédicace des auteur·e·s)
14 décembre · de 10h30 à 12h · Librairie Payot Lausanne (dédicace des auteur·e·s)
Lancement et vernissage, lecture théâtralisée par Claire Deutsch, dédicace des auteur·e·s
22 novembre · 17h · Galerie Papiers gras à Genève (dans le cadre de la Festival La fureur de lire) – Lecture théâtralisée par Claire Deutsch, dédicace et exposition en présence des auteur·e·s, discussion animée par Raphaël Osterlé, suivi d’un apéritif
Du 21 au 23 novembre · Galerie Papiers gras à Genève (dans le cadre de la Festival La fureur de lire) – Exposition des planches originales de Fanny Vaucher
19 novembre · 18h30 · Bibliomedia à Lausanne
Planche(s)
©Fanny Vaucher
Presse
Compte-rendu dans le numéro 39 des CAHIERS AÉHMO
En Suisse, les questions sociales peinent à trouver la place qui leur revient dans les livres d’histoire destinés à un public non spécialisé. Et quand elles sont trop brièvement évoquées, c’est généralement au service d’un récit dominant et convenu qui met en évidence la concordance et la prospérité sans jamais les interroger, ni pointer les dynamiques inégalitaires qui les caractérisent. Ces silences portent aussi bien sur des questions ou des faits sociaux qui ont été déjà largement étudiés par des travaux de recherche critiques que sur d’autres dont l’étude est plus récente, comme par exemple la question sensible des placements d’enfants ou l’histoire de l’immigration, du travail saisonnier et des enfants cachés.
Heureusement pour cette histoire sociale, ses modes d’expression trouvent aujourd’hui de nouveaux supports qui ouvrent de belles perspectives, au premier rang desquelles la bande dessinée et les récits graphiques. Trois ouvrages récents parus en Suisse romande, aux éditions Antipodes, en constituent de réjouissants exemples dont la lecture est très agréable.
Les deux premiers se présentent chacun sous la forme d’un récit familial par épisodes, couvrant pour l’un et l’autre des événements de l’histoire suisse à l’échelle d’un siècle. Ces récits d’Éric Burnand, avec le beau travail d’illustration de Fanny Vaucher, ont une grande pertinence par ce qu’ils mettent en évidence. Ils déroulent des faits sociaux qui ne sont pas au cœur des priorités narratives et des clichés habituels de l’histoire suisse traditionnelle. Ils peuvent se lire soit comme un tout, soit chapitre par chapitre. Plutôt qu’une bande dessinée proprement dite, ils correspondent davantage à un récit, ou un roman, graphique, notamment parce qu’ils sont accompagnés de portraits et de tableaux synthétiques de certaines situations du passé en Suisse.
La construction du fil global de ces récits séculaires, qui passe par l’histoire d’une famille suisse, présente une certaine complexité, mais permet de faire évoluer des personnages à travers le temps et le changement des époques. Ainsi, ces deux livres donnent l’occasion d’accéder à des faits d’histoire et à des différences du passé qui enrichissent notre appréhension du présent.
Le siècle d’Emma, publié en premier lieu, c’est le XXe siécle. Le siècle de Jeanne, le XIXe siècle. Le lecteur y découvre pêle-mêle la révolte des Bourla-Papey contre les papiers des droits féodaux, l’année sans été de 1816, des Suisses pauvres qui émigrent au Brésil, les horlogers frondeurs de la « Fabrique » genevoise, la guerre civile et la naissance de l’État fédéral, la pauvreté et la souffrance dans les filatures industrielles et les premières réponses à la question sociale. Les quelques portraits proposés sont emblématiques de cette histoire sociale et de ses figures pionnières, à l’instar d’une Émilie Kempin-Spiry, « première docteure en droit, exclue du prétoire ».
Pour le siècle suivant, il est question de la grève générale, mais aussi de l’itinéraire d’un Henri Guisan, briseur de grève avant de devenir le général de la Seconde Guerre mondiale, d’un nazi suisse très engagé, d’un soldat exécuté pour trahison, de la lutte pour les droits politiques des femmes, des mouvements de contestation des années 68, de la figure complexe d’un Willi Ritschard, ministre socialiste pris dans de multiples contradictions, mais aussi de féminisme, d’écologie et de modes de vie alternatifs. Et cette liste n’est pas exhaustive.
Dans ces récits, des personnages de fiction côtoient des personnages réels, mais les premiers sont toujours vraisemblables, contribuant ainsi à une vision d’ensemble d’un passé helvétique pas plus lisse que celui d’autres pays, et pas moins marqué non plus par des inégalités, des souffrances sociales et des luttes pour y remédier.
L’un des personnages du Siècle d’Emma est l’enfant d’une travailleuse saisonnière en Suisse. Il a connu la vie clandestine et le statut d’enfant caché. Cette thématique longtemps occultée est également celle de l’ouvrage Celeste, l’enfant du placard, un autre récit graphique désormais disponible dans sa version française.
Dans ce troisième ouvrage, auquel sont jointes quelques pages d’explication sur l’immigration italienne et le statut de saisonnier en Suisse, Le personnage principal est à la fois une enfant cachée et une témoin d’aujourd’hui. Son histoire est emblématique de cette seconde moitié du XXe siècle marquée en Suisse par le développement d’une prospérité dont une face cachée est restée largement occultée; et dont celle et ceux qui l’ont rendue possible par leur travail et leurs sacrifices, malgré de déplorables conditions d’accueil et d’existence, méritent reconnaissance et visibilité.
Ces trois livres à mettre entre toutes les mains sont sans doute autant de supports intéressants pour aiguiser la curiosité de lecteurs et de lectrices appelées à étudier l’histoire sociale, en particulier de la Suisse. Mais ils se lisent aussi et surtout pour eux-mêmes, pour le plaisir de la découverte, au service d’un regard bienveillant sur des réalités, et des protagonistes, du passé trop souvent négligés. À ce titre, ils ont assurément leur place dans toutes les bibliothèques.
Charles Heimberg, Cahier n°39 – Jeunesses en mouvements, AÉHMO, juin 2023
Lire également la chronique de Pauline Milani dans les Cahiers n°36, 2020.
Éric Burnand en conversation avec Malik Mazbouri, Maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne. Enregistré le 9 mars 2021 à Lausanne.
Écouter l’émission Cliocast #14 La parole aux auteurs sur Infoclio.ch.
Conférence dessinée de Fanny Vaucher et Eric Burnand – Littératures suisses d’automne au Centre Culturel Suisse à Paris
Covid oblige, la conférence que devaient tenir Fanny et Eric à Paris au Centre Culturel Suisse le 20 novembre dans le cadre des rendez-vous littéraires, s’est faite en images et avec humour. Pourquoi l’histoire suisse en BD ?
>> On peut lire une mini BD inédite sur le site du CCS.
Chronique dans Le Regard libre
«LE SIÈCLE D’EMMA», UNE HISTOIRE D’HOMMES ET DE FEMMES
Sur la couverture rose, quatre personnages nous font face. Au premier plan, une femme pose fièrement, les mains sur les hanches. Derrière elle, un soldat suisse au regard sévère semble tirer la tronche. A sa gauche, une jeune hippie brandit une pancarte pour les droits des femmes aux côté d’un blouson noir à la banane parfaite. Hasard du calendrier, je me retrouve à écrire ma critique du roman graphique Le siècle d’Emma le 8 mars 2020.
En page 3, on peut lire les raisons qui ont poussé Eric Burnand et Fanny Vaucher à collaborer sur ce projet. «Haha! Mais il ne s’est jamais rien passé en Suisse!»; on croirait m’entendre. Visiblement, on est bien quelques-uns à penser que notre chère nation n’est pas l’endroit le plus rock’n’roll sur Terre. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’on ne s’est jamais tous donné rendez-vous à la Bastille pour faire tomber quelques têtes couronnées qu’en Suisse, il ne s’est jamais rien passé!
L’histoire débute à Granges, dans le canton du Jura. Emma est née au début du XXe siècle et s’apprête à devenir institutrice alors que Marius, son fiancé, travaille comme ouvrier dans le secteur de l’horlogerie. La grippe espagnole fait des ravages, on est au lendemain de la Première Guerre mondiale, les temps sont durs et de nombreux foyers sont dans la dèche. Et puis, c’est le drame. Alors que la Suisse est divisée et que le climat est ultra tendu, Marius est abattu par un soldat lors de la grève générale du 14 novembre 1918. Ce jour-là, ils seront trois à tomber sans jamais se relever. Emma est écœurée. Elle ne supporte plus ni l’armée, ni la passivité dont font preuve les Suisses. Elle part alors à Zurich retrouver son frère Franz, un banquier qui rêve de révolution et partage sa rage.
Du récit d’Emma, on bascule dans celui de Franz, vingt ans plus tard. On découvre son parcours, devenant spectateur des rouages qui le mènent à trahir son pays au profit de l’Allemagne nazie. Les événements s’enchaînent, de même que les galères, puis les récits. On suit ainsi plusieurs générations de Suisses à travers les combats des membres d’une même famille, tous témoins de l’histoire de notre pays. On aborde la question du suffrage féminin, celle des conditions de vie des saisonniers italiens, le rock, la libération sexuelle et la vie communautaire des années septante.
Simple et efficace
Autant de thèmes et événements abordés de façon simple et efficace. Les mots d’Eric Burnand sont pertinents et bien mis en valeur par le trait de Fanny Vaucher. D’ordinaire, je ne suis pas très fan de ce genre de tracé. Mais l’illustratrice parvient bien à rendre l’âme de notre cher pays. Par ailleurs, sa mise en page est très dynamique et chaleureuse. Car si la jeune femme a réussi le pari assez ambitieux de me séduire par ses dessins, c’est avant tout parce que ceux-ci sont réalisés à l’ancienne: avec du papier et de l’encre! Je ne remercierai jamais assez les artistes qui ont encore recours à ces outils qu’on pourrait croire dépassés… Car même avec un BAC+10 en photoshop, rien ne rend aussi bien la chaleur, le grain du papier et du crayon, que le papier et le crayon.
La vie de ces personnages fictifs est ponctuée de cartes et d’événements historiques avérés, archivés et instructifs. Des fiches biographiques ont permis à l’ignare que je suis de découvrir qui étaient Ernst Nobs, meneur de grève, le syndicaliste nationaliste Willi Ritschard ou encore la pionnière du féminisme Jacqueline Wavre. Je dois bien reconnaître que l’histoire n’est de loin pas une passion chez moi. Mais je m’y intéresserais sûrement avec davantage de plaisir si elle était à chaque fois expliquée de façon aussi audacieuse – et avec une dose supplémentaire d’humour, peut-être même que je retiendrais quelques événements marquants.
Un livre agréable à parcourir et qui vient briser certains clichés concernant la Suisse, pays neutre par excellence où il fait si bon de vivre… et peut-être que ces héros/antihéros du passé pourraient, qui sait, donner quelques idées à leurs enfants du présent.
Les bouquins du mardi – Amélie Wauthier, LE REGARD LIBRE, 10 mars 2020
Fanny Vaucher, invitée dans le 12h45 de RTS la Première, vendredi 22 mai, parle de son métier d’illustratrice et du Siècle d’Emma >> regarder la séquence
La BD au temps du coronavirus. Fanny Vaucher, dessinatrice et membre de l’Association professionnelle des auteurs.trices de bande dessinée suisses.
La revue juive
Le beau roman graphique « Le siècle d’Emma » relate, à travers cinq générations d’une famille, un XXe suisse moins paisible que le cliché d’un pays sans Histoire
Histoires suisses
« Emma, Franz, Thomas et véronique n’ont pas existé », avertissent dès l’avant-propos le journaliste Eric Burnand et la dessinatrice Fanny Vaucher, qui, deux ans durant, ont enquêté, interrogé, écrit et dessiné pour réaliser ce bel ouvrage très instructif que l’on dévore d’une traite. « Néanmoins, poursuivent-ils, leurs trajectoires de vie ressemblent à celles de nombre de personnes qui ont vécu en Suisse entre 1918 et 1990. » L’histoire commence en 1918 à Granges, bourgade horlogère où les ouvriers travaillent soixante heures par semaine pour un salaire de misère. La grippe espagnole fait des ravages et les manifestations syndicales sont sévèrement réprimées. Emma, née en 1900, le personnage dont la vie se confond avec ce siècle helvétique, y perd son fiancé chéri. La crise économique frappe la Suisse dans les années 30 et des personnages du récit se rapprochent d’une extrême droite de plus en plus pronazie.
Après la guerre, le récit nous plonge, des deux côtés du Röstigraben, par le biais des existences d’une galerie de personnages aux traits un peu forcés mais néanmoins crédibles, dans un pays où la prospérité bénéficie petit à petit au plus grand nombre et que de nouvelles problématiques traversent : la rude condition peu enviable des travailleurs italiens, le grand débat autour du nucléaire, la révolution sexuelle, le féminisme (une thématique largement évoquée), la révolte d’une certaine jeunesse contre le confortable ennui qui menace, le fichage généralisé des citoyens, la place de l’armée. Pour instruire sans alourdir le récit, les auteurs ont eu la bonne idée de consacrer des notices biographiques à des personnages historiques emblématiques (le syndicaliste socialiste Ernst Nobs, le briseur de grèves puis « général du peuple » Henri Guisan, la féministe pionnière Jacqueline Wavre ou l’étonnant militant écologiste radical d’origine israélienne Chaïm Nissim) et de proposer des cartes du pays richement annotés qui font le point sur la situation à des moments cruciaux. Le dessin sert parfaitement le récit : assez traditionnel, proche de la « ligne claire », il est habilement magnifié par le choix des couleurs et une mise en page inventive.
Les lecteurs de revue juive s’intéresseront tout particulièrement aux épisodes se rapportant à l’extrême droite des années 30 et à l’attitude ambivalente du pays pendant la Seconde Guerre mondiale. « C’est la banque Rotschild qui menace la paix mondiale, pas Hitler ! » éructe Franz, un ancien socialiste aigri par le déclassement social, en 1938, devant sa sœur Emma effrayée. Il se rapproche du « Führer suisse » Max Keller qui fonda en 1940, à l’initiative de l’Allemagne nazie, le Mouvement National Suisse et qui ne fut pas loin de devenir conseiller fédéral sous la présidence de Marcel Pilet-Golaz avant de servir dans la Waff en SS. Sans le sou et dévoré de passions tristes, Franz va contre quelques centaines de francs espionner son pays pour le compte de l’Allemagne. Il est arrêté, emprisonné, condamné à mort et exécuté. Entre 1942 et 1945, 17 Suisses sont exécutés pour haute trahison, rappelle une notice biographique qui déplore que la Suisse ait été plus dures avec les « petits poissons » qu’avec des gros comme Max Keller, condamné seulement à une peine de prison. « Mon frère risque la mort pour avoir vendu quelques secrets militaires, affirme Emma, pourtant très remonté contre lui, le jour du procès. Or, des dizaines d’industriels suisses, certains ouverte-ment pronazis, commercent tous les jours avec le IIIe Reich sans être inquiétés. » « Ce discours politique n’a pas sa place ici, surtout venant d’une dame », répond sèchement le juge.
« Le siècle d’Emma », dont le succès rapide est amplement mérité, met intelligemment en lumière les faces obscures de la récente histoire suisse mais n’est pas habité d’une vision tragique de l’Histoire. L’idée, exprimée parfois avec un peu de naïveté, que l’Histoire va dans le bon sens, que la justice et la liberté progressent peu à peu grâce à l’action individuelle et collective des citoyens, accompagne cette traversée du XXe siècle.
Nathan Kretz, La revue juive, n°3, 30e année, 20 mai 2020
L’Agenda, la revue de l’arc lémanique
Eric Burnand, Journaliste romand et Fanny Vaucher, illustratrice et cofondatrlce d’un fanzine féminin, se sont lancé+s dans la rédaction d’une BD qui raconte une autre histoire suisse, dans certains de ses pans encore méconnus. Un sujet partlcullérement inhabituel en bande dessinée et plus accrocheur que lorsqu’on était assis sur les bancs scolaires.
Dans leur roman graphique intitulé Le siècle d’Emma, il ne s’agit pas de relater les quelques éléments enseignés sur les bancs d’école, ceux où l’on apprend que 1291 est la date du pacte fédéral, etc. qui ont été oubliés depuis belle lurette, mais des événements bien plus récents, que nos grands-parents, parents ou nous-mêmes avons pu vivre. Le siècle d’Emma prend place dans « les turbulences du 20è siècle », dans un siècle de luttes sociales qui, pour certaines, ont encore lieu aujourd’hui. On y découvre une famille, fictive, mais qui pourrait avoir existé, composée de quatre personnages principaux: Emma, née en 1900 que nous suivons lors du premier chapitre; Franz, son frère devenu adorateur du nazisme montant, jugé pour traîtrise à la patrie; Thomas, le neveu d’Emma, né en 1939, plongé dans l’univers méconnu des saisonniers italiens; et enfin Véronique, la petite-fille d’Emma, née en 1947, que ses convictions lient aux luttes du mouvement féministe MLF, le Mouvement de Libération des Femmes, et qui côtoie les mouvements autonomes genevois des années 80.
Le siècle d’Emma nous fait découvrir certains personnages peu connus, comme Ernst Nobs, un meneur de grève, ou bien Jacqueline Wavre, une pionnière du féminisme. Mais cet ouvrage nous fait aussi survoler la grève générale de 1918, nous apprend par exemple quel était le triste sort réservé aux citoyen‚ne‚s qui vendaient des informations suisses à l’Allemagne nazie, ou encore quel a été le scandale de l’affaire des fiches.
Cette BD, et ce n’est d’ailleurs pas son but, ne remplace pas un manuel d’histoire. Mais elle est une bonne première approche de l’histoire moderne suisse – sans pour autant contenir de réelle critique de la politique suisse. Elle offre une certaine vue d’ensemble de l’histoire de luttes sociales qui ont bousculé le siècle dernier. tout en étant un bon moyen de se laisser surprendre; oui, on peut (semblerait-li!) aimer l’histoire suisse, ou du moins, y prendre plaisir en lisant ce roman graphique. Les planches, et c’est suffisamment rare de nos Jours pour le relever, sont dessinées (à la main) sur papier, et non sur ordinateur! En bref, une BD 100 % suisse comme on n’en avait Jamais vue: à recommander, ou à offrir à toute génération.
Arnaud Huber, L’Agenda – La Revue de l’arc lémanique, mai-juin 2020, n°85
Avis de lecture sur la plateforme pour le livre jeunesse, Ricochet
Saga familiale et historique plongée dans le XXe siècle, Le siècle d’Emma nous propose de suivre l’héroïne Emma ainsi que sa famille au cœur de l’histoire helvétique. En 1918, alors que la Suisse se voit touchée par la grippe espagnole (qui fera 25’000 morts dans le pays), au sein de la Confédération, la colère gronde. Employés et syndicats s’unissent dans un mouvement de grève afin d’obtenir davantage de droits et de sécurité. A Granges, la grève fera malheureusement trois victimes lorsque les soldats vaudois, appelés pour maintenir l’ordre, tirent sur la foule des grévistes et spectateurs. Parmi les morts se trouve le fiancé d’Emma : une perte qui éveillera la conscience socialiste de la protagoniste, qui militera notamment pour le droit de vote des femmes. Retraçant les événements majeurs à travers les générations jusqu’à la votation pour une Suisse sans armée en 1989, Eric Burnand y apporte aussi un éclairage humain et familial.
Mêlant personnages fictifs et réels, comme le général Guisan et Jacqueline Wavre, l’auteur traite de la Deuxième Guerre mondiale, l’immigration italienne des années 50 au sein d’une Suisse moraliste, l’évolution du mouvement féministe qui mènera au droit de vote des femmes au niveau fédéral en 1971, le mouvement anti-nucléaire ainsi que le scandale des fiches : un aperçu socio-historique résumé qui permet d’appréhender des moments-clés qui ont secoué le XXe siècle helvétique.
Passionnant, doté de personnages auxquels on se lie d’emblée, le contenu du Siècle d’Emma est riche et bien pensé. Les illustrations réalisées à l’aquarelle par Fanny Vaucher donnent vie aux événements décrits, justifiant le choix réellement heureux de la bande-dessinée, qui a le mérite de rendre l’ouvrage accessible aux lecteurs plus jeunes. Par sa valeur pédagogique, il mérite une belle place au sein des bibliothèques scolaires… mais également chez vous. Un grand coup de cœur !
Avis de lecture de Nicole Tharin, Ricochet
Critique de Pascal Ory dans le magazine L’Histoire
La Suisse, pays sans histoire ?
L’album excelle à nuancer la vision romancée d’un pays qui se voudrait à l’abri des affres du monde.
Les peuples heureux n’ont pas d’histoire, dit la sagesse populaire. En vertu de quoi la Suisse serait un pays de gens « sans histoire », dans tous les sens du mot.
Vu d’un peu haut, ce n’est pas inexact : il suffit de comparer le destin des cantons à partir de leur fameuse victoire sur Charles le Téméraire en 1476 pour se rendre compte que, plus on avance vers notre époque, moins le bruit et la fureur des pays voisins trouvent écho en leur sein. Pour ne prendre que deux dates extrêmes : la manière dont au XVIe siècle les Suisses règlent par un compromis leurs conflits de religion et celle dont en plein coeur du XIXe siècle ils soldent leur dernière guerre civile en 27 jours et 93 morts devraient laisser rêveurs Autrichiens, Allemands, Français et Italiens, si fiers de leur prestigieuse histoire remplie jusqu’à la gueule de violences de toutes sortes.
L’album du journaliste Éric Burnand et de la dessinatrice Fanny Vaucher vient à point nommé nuancer cette romance, mais, disons-le tout de suite : il ne fait que la nuancer, sans la contredire. L’Emma du titre, née en 1900, est un personnage synthétique en qui se résume, dans sa propre vie et dans celle de ses proches – son frère Franz, son neveu Thomas, sa petite-fille Véronique – la face obscure du XXe siècle suisse. D’abord parce qu’elle est une ouvrière, fille d’ouvrier, issue du monde horloger jurassien. Un monde dont les propriétaires de Rolex ignorent sans doute qu’il constitua en son temps une forte classe ouvrière qui fit dire à Marx que La Chaux-de-Fonds était le modèle de la ville industrielle du futur. L’histoire qu’on nous raconte commence ainsi le 11 novembre 1918, qui ne fut pas le jour du retour à la paix – puisque le pays avait réussi à rester neutre pendant les quatre années du massacre mondial – mais le premier jour d’une vaste grève, soldée par des morts. Quant au destin de Franz, il nous rappelle qu’il y eut dans les années 1930 un nazisme suisse et des Suisses condamnés à mort et exécutés pour trahison.
La dernière partie de cette fable didactique, placée sous l’égide de Véronique, est sans doute la plus originale, centrée sur ce que notre époque appellera du vilain mot de « sociétal ». Le combat mis en valeur est d’abord celui d’une avant-garde féministe, dressée vent debout, comme ses voisines, pour le droit à la contraception et à l’avortement. Mais aussi pour le droit de vote étendu aux femmes, qui ne sera obtenu à l’échelle fédérale qu’en 1971 et dans les cantons montagnards fondateurs qu’en 1990 : démocratie participative…
Regard humaniste
Il n’y a pas de fable sans morale. Celle du Siècle d’Emma peut se lire à deux niveaux. Celui du scénariste s’attache à mettre à mal la bonne conscience d’une société où, au reste, le rigorisme pèse encore plus lourd que le capitalisme. En quoi il ajoute sa voix à celle de toute une tradition radicale qui, de Rousseau à Jean-Luc Godard en passant par Frisch ou Dürrenmatt, puise son énergie dans l’hégémonie de cette bonne conscience. Mais l’honnêteté de son regard humaniste lui fait avouer autre chose, sans le vouloir : par exemple que le choix nazi pouvait être l’expression d’un radicalisme inversé, comme le montre le destin de Franz, ancien pacifiste retourné. Ou encore que face à Hitler, justement, les deux plus farouches adversaires de 1918, le militaire Guisan et le socialiste Nobs, pouvaient finir par se retrouver au coude à coude contre les menées du Reich. Le final autour de Véronique dit tout de la victoire de l’individualisme libéral, si complète en Suisse que les grandes mobilisations y sont aujourd’hui plus culturelles (le genre, la nation, l’écologie) que fondamentalement économiques. Au vrai, est-ce une particularité suisse ?
Pascal Ory, L’Histoire, mensuel 470, avril 2020
Avis de lecture sur le blog franco-suisse yapaslefeuaulac.ch
Bande-dessinée: le siècle dernier en Suisse
Une saga familiale en bulles, « Le siècle d’Emma », propose de dépoussiérer l’histoire mouvementée de la Suisse au 20e siècle à travers différents événements marquants. Instructif & ludique!
Il fallait que je vous parle d’une bande-dessinée suisse très originale, prêtée par une de mes collègues. Son titre: «Le siècle d’Emma, une famille suisse dans les turbulences du XXe siècle», et elle est publiée chez Antipodes. Le scénario de la BD est signé par Eric Burnand, ex-journaliste de Temps Présent à la RTS passionné par l’histoire, et les dessins de l’illustratrice Fanny Vaucher. Ce nom vous dit quelque chose? Oui, sur le blog je vous avais parlé de cette BD d’expat sur la Pologne dont elle est l’auteure!
Ce qui m’a plu dans «Le siècle d’Emma», c’est que la BD casse les clichés selon lesquels l’histoire suisse est ennuyeuse, et que les Suisses ne sont pas contestataires pour un sou. Cette traversée du XXème siècle, qu’on sent très documentée, démontre le contraire! On suit les événements historiques à travers la vie (fictive) d’Emma, née en 1900, et de membres de sa famille, dont sa petite-fille Véronique.
« Le siècle d’Emma », ça raconte quoi
Les grands événements abordés par cette bande-dessinée suisse
(spoiler alert)
Née dans une petite bourgade horlogère au pied du Jura, Emma est précipitée dans les soubresauts du XXème siècle, de manière tragique: en 1918, elle perd son fiancé dans les affrontements de la grève générale.
En 1937, elle se brouille avec son frère – devenu pro nazi.
En 1956, son neveu lui fait découvrir la face sombre de l’immigration italienne.
En 1975, sa petite-fille Véronique, très baba cool, la confronte à la contestation féministe et antinucléaire.
Et en 1989, Emma découvre avec stupeur… qu’elle est fichée par l’Etat!
En bref
« Le siècle d’Emma » est une fiction qui se lit agréablement, et nous immerge dans les conflits et les tensions du siècle dernier en Suisse avec intelligence, en mettant les parcours de ses protagonistes en avant et sans ressembler à une leçon d’histoire.
Je trouve génial de choisir la BD comme format pour entrer dans des thèmes qui peuvent sembler rébarbatifs, comme l’histoire ou l’économie (d’autres recommandations par là sur Birds & Bicycles).
→ Voir la BD sur le site des éditions Antipodes (son prix: 30 CHF)
On découvre des aspects de notre histoire suisse peu connus, et on les vit de l’intérieur avec les personnages… Bref, une BD à s’offrir, prêter, à donner et partager! La connaissez-vous?
→ D’autres idées de lectures suisses par là si vous êtes en quête de découvertes helvétiques
Avis de lecture de la bloggeuse Kantutita sur le site yapaslefeuaulac.ch, 3 avril 2020
«LE SIÈCLE D’EMMA», UNE HISTOIRE D’HOMMES ET DE FEMMES
Sur la couverture rose, quatre personnages nous font face. Au premier plan, une femme pose fièrement, les mains sur les hanches. Derrière elle, un soldat suisse au regard sévère semble tirer la tronche. A sa gauche, une jeune hippie brandit une pancarte pour les droits des femmes aux côté d’un blouson noir à la banane parfaite. Hasard du calendrier, je me retrouve à écrire ma critique du roman graphique Le siècle d’Emma le 8 mars 2020.
En page 3, on peut lire les raisons qui ont poussé Eric Burnand et Fanny Vaucher à collaborer sur ce projet. «Haha! Mais il ne s’est jamais rien passé en Suisse!»; on croirait m’entendre. Visiblement, on est bien quelques-uns à penser que notre chère nation n’est pas l’endroit le plus rock’n’roll sur Terre. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’on ne s’est jamais tous donné rendez-vous à la Bastille pour faire tomber quelques têtes couronnées qu’en Suisse, il ne s’est jamais rien passé!
L’histoire débute à Granges, dans le canton du Jura. Emma est née au début du XXe siècle et s’apprête à devenir institutrice alors que Marius, son fiancé, travaille comme ouvrier dans le secteur de l’horlogerie. La grippe espagnole fait des ravages, on est au lendemain de la Première Guerre mondiale, les temps sont durs et de nombreux foyers sont dans la dèche. Et puis, c’est le drame. Alors que la Suisse est divisée et que le climat est ultra tendu, Marius est abattu par un soldat lors de la grève générale du 14 novembre 1918. Ce jour-là, ils seront trois à tomber sans jamais se relever. Emma est écœurée. Elle ne supporte plus ni l’armée, ni la passivité dont font preuve les Suisses. Elle part alors à Zurich retrouver son frère Franz, un banquier qui rêve de révolution et partage sa rage.
Du récit d’Emma, on bascule dans celui de Franz, vingt ans plus tard. On découvre son parcours, devenant spectateur des rouages qui le mènent à trahir son pays au profit de l’Allemagne nazie. Les événements s’enchaînent, de même que les galères, puis les récits. On suit ainsi plusieurs générations de Suisses à travers les combats des membres d’une même famille, tous témoins de l’histoire de notre pays. On aborde la question du suffrage féminin, celle des conditions de vie des saisonniers italiens, le rock, la libération sexuelle et la vie communautaire des années septante.
Simple et efficace
Autant de thèmes et événements abordés de façon simple et efficace. Les mots d’Eric Burnand sont pertinents et bien mis en valeur par le trait de Fanny Vaucher. D’ordinaire, je ne suis pas très fan de ce genre de tracé. Mais l’illustratrice parvient bien à rendre l’âme de notre cher pays. Par ailleurs, sa mise en page est très dynamique et chaleureuse. Car si la jeune femme a réussi le pari assez ambitieux de me séduire par ses dessins, c’est avant tout parce que ceux-ci sont réalisés à l’ancienne: avec du papier et de l’encre! Je ne remercierai jamais assez les artistes qui ont encore recours à ces outils qu’on pourrait croire dépassés… Car même avec un BAC+10 en photoshop, rien ne rend aussi bien la chaleur, le grain du papier et du crayon, que le papier et le crayon.
La vie de ces personnages fictifs est ponctuée de cartes et d’événements historiques avérés, archivés et instructifs. Des fiches biographiques ont permis à l’ignare que je suis de découvrir qui étaient Ernst Nobs, meneur de grève, le syndicaliste nationaliste Willi Ritschard ou encore la pionnière du féminisme Jacqueline Wavre. Je dois bien reconnaître que l’histoire n’est de loin pas une passion chez moi. Mais je m’y intéresserais sûrement avec davantage de plaisir si elle était à chaque fois expliquée de façon aussi audacieuse – et avec une dose supplémentaire d’humour, peut-être même que je retiendrais quelques événements marquants.
Un livre agréable à parcourir et qui vient briser certains clichés concernant la Suisse, pays neutre par excellence où il fait si bon de vivre… et peut-être que ces héros/antihéros du passé pourraient, qui sait, donner quelques idées à leurs enfants du présent.
Les bouquins du mardi – Amélie Wauthier, LE REGARD LIBRE, 10 mars 2020
LE SIÈCLE D’EMMA: UNE PRÉSENTATION ORIGINALE DE L’HISTOIRE SUISSE AU 20E SIÈCLE
Le siècle d’Emma présente l’histoire suisse du 20e siècle, de la grève générale de 1918 au vote sur l’initiative « Pour une Suisse sans armée », en 1989.
On y trouve 4 personnages fictifs : Emma (née en 1900), son frère Franz (né en 1898), le fils de celui-ci, Thomas (né en 1939), et la petite-fille d’Emma, Véronique (née en 1947). Ils croisent des personnages réels comme Ernst Nobs (premier conseiller fédéral socialiste), le général Guisan, le dirigeant d’extrême-droite Max Leo Keller ou la vidéaste féministe Carole Roussopoulos.
L’histoire commence à Granges, lors de la grève générale, où trois grévistes furent assassinés par l’armée le 14 novembre 1918. Le scénario fait d’Emma la fiancée de l’un d’entre eux, Marius Noirjean.
Franz (employé de banque, licencié comme gréviste) rejoint l’extrême droite dans les années 1930 et est fusillé en 1944 pour espionnage au profit de l’Allemagne nazie.
Thomas (jeune ouvrier) découvre lors de sa liaison avec une saisonnière italienne (qu’il épousera) la condition immigrée dans la Suisse des années 1950. Le refus du suffrage féminin en 1959 et la xénophobie (dont le mouvement ouvrier n’était pas exempt) montrent les pesanteurs de la société dans les années 1950-1960.
Enfin, Véronique vit dans les années 1970 le féminisme, le combat anti-nucléaire et la lutte du quartier des Grottes à Genève.
En 1989, lors de « l’affaire des fiches », Emma apprend que la police fédérale la surveillait depuis l’enterrement de son fiancé. L’image de leur couple apparaît soudain lors du vote de l’initiative « Suisse sans armée ».
Le siècle d’Emma mérite d’être lu et discuté. Il offre une approche agréable à des pans trop peu connus de l’histoire suisse. Deviendra-t-il un support pédagogique pour l’étudier ? Dans l’immédiat, on peut aussi l’utiliser dans les cours de formation syndicaux et politiques.
Hans-Peter Renk, Solidarités, 05 mars 2020
Histoire en bande dessinée
Dans un beau roman graphique, le journaliste Eric Burnand et I’illustratrice Fanny Vaucher proposent une histoire de la Suisse au XXe siècle, en plaçant la focale sur les conflits sociaux et les rapports entre hommes et femmes. Le choix rédactionnel de suivre des personnages de fiction qui rencontrent des personnalités réelles fonctionne très bien. Au fil des pages, de nombreux épisodes controversés sont présentés: la grève générale qui conduit à la confrontation avec l’armée en 1918, les ambiguïtés idéologiques du général Guisan et les relations troubles avec le Troisième Reich, la peine de mort dans le Code pénal militaire, l’immigration et les initiatives xénophobes de la seconde moitié du siècle, sans oublier les luttes anti-nucléaires des années 1970 ou les obstacles à I’adoption du droit de vote féminin… Loin du format scolaire, cette bande dessinée ne remplace pas un manuel ou un cours d’histoire, mais elle offre une approche originale du passé récent de la Suisse. On peut regretter une représentation parfois atténuée des conflits sociaux et une certaine linéarité du récit qui n’intègre pas suffisamment les événements internationaux. Par une confrontation des points de vue, la bande dessinée aurait pu mieux traiter des relations complexes entre histoire et mémoire. Bien documenté et agréable à lire, cet ouvrage ne manquera pas de faire date dans les nouvelles formes d’évocation du récit national.
Dominique Dirlewanger, N°52 de la revue Passé simple
Une BD décoiffante comme support d’enseignement
HISTOIRE SUISSE Son premier tirage a été rapidement épuisé en librairie. Abordant l’histoire suisse de manière aussi ludique que sérieusement documentée, «Le Siècle d’Emma» pourrait devenir un soutien bienvenu à son enseignement
Pour une génération d’aînés, il n’y a eu que «le Georges-André Chevallaz». Un livre d’histoire très institutionnel que celui de l’ancien professeur et conseiller fédéral, présentant l’histoire officielle de la Suisse en en gommant ses épisodes les moins glorieux. Il y a désormais un ouvrage pour se familiariser avec cette histoire sans s’ennuyer une seconde: Le Siècle d’Emma, du journaliste Eric Burnand et de l’illustratrice Fanny Vaucher, fait souffler une brise rafraîchissante sur cette histoire, la truffant de faits cassant les clichés ainsi que de nouveaux personnages. Au point que certains enseignants se demandent si cette BD romancée ne pourrait pas devenir un support bienvenu à leurs cours!
Premier tirage vite épuisé
Dans les cantons romands, plusieurs d’entre eux confirment avoir eu un coup de coeur pour ce livre. En terres vaudoises, ils disposent entre autres d’un manuel des Editions Nathan pour traiter du XXe siècle, qui aborde aussi des épisodes plus récents de l’histoire suisse. «Mais cela reste un manuel qui raconte avant tout de grandes batailles, de grandes dates et de grands hommes», relève l’un d’entre eux, qui s’est donc réjoui de faire lire Le Siècle d’Emma à deux de ses classes. «Les élèves l’ont dévoré dans un silence absolu, la preuve qu’il a suscité un intérêt nouveau pour l’histoire suisse», témoigne-t-il.
Déjà, ce livre a conquis un large public. Avant Noël dernier, les librairies ont écoulé en quelques semaines le premier tirage de 2000 exemplaires. Bonne nouvelle: réédité à 5000 exemplaires cette fois, le livre sera de nouveau disponible d’ici à quelques jours, annonce Claude Pahud, responsable des Editions Antipodes.
Qu’est-ce qui fait donc le succès de ce roman graphique? L’histoire d’abord, celle d’Emma, une femme née à Granges (SO) en 1900 et qui va donc traverser le XXe siècle. On est vite happé par cette saga familiale marquée par les deux guerres mondiales, mais pas seulement. La Suisse prospère de la seconde moitié du siècle a aussi ses faces sombres, et les descendants d’Emma seront confrontés aussi bien à l’humiliant statut de saisonnier qu’à l’affaire des fiches.
Grande rigueur historique
Pour Vincent Dominé, libraire chez Payot, le succès de cette bande dessinée est la conséquence de plusieurs facteurs. Depuis quelques années, le roman graphique et la BD reportage sont à la mode et touchent un vaste public. De plus, il y a peu de BD relatant l’histoire suisse. «Or ce support est plus ludique que des livres d’historiens comme ceux de Dominique Dirlewanger et de Thomas Maissen, qui restent des écrits plus pointus», note Vincent Dominé.
Le premier surpris par l’excellent accueil du public est son éditeur, qui n’a jamais pensé que le premier tirage serait épuisé aussi rapidement. «Ce livre raconte l’histoire des gens plutôt que celle des institutions. Non seulement il restitue très bien la vie quotidienne, mais il est toujours très sérieusement documenté», explique Claude Pahud.
Journaliste de la RTS désormais à la retraite, l’auteur du scénario, Eric Burnand, a certes romancé ses personnages, mais toujours en faisant preuve d’une grande rigueur historique. Au passage, il rappelle quelques faits peu connus du grand public. Avant d’avoir été le héros suisse de la Seconde Guerre mondiale, le général Henri Guisan a été celui qui, en 1919, commande la dispersion par la force d’une manifestation de grévistes à Zurich. Et avant de devenir l’un des conseillers fédéraux les plus populaires de Suisse dès 1973, Willi Ritschard a été un syndicaliste très nationaliste qui, en 1957, s’inquiète de «l’emprise étrangère» sur le marché du travail.
De nouvelles figures valorisées
Mais la plus grande force de cette BD historique est de mettre en exergue de nouveaux personnages, jusqu’ici ignorés par les historiens. Il fait une large place aux conflits sociaux en rappelant la mort de l’horloger Marius Noirjean tué à Granges par l’armée en 1918 lors de la grève générale, mais aussi au combat féministe qui débouche sur l’introduction du suffrage féminin en 1971. Il rend ainsi hommage à ces pionnières qu’ont été la présidente de l’Alliance des sociétés féminines suisses Jacqueline Berenstein-Wavre et la vidéaste Carole Roussopoulos. Conseillère culturelle à l’Etat de Genève, Cléa Rédalié est la première à se réjouir de la valorisation de telles figures. «C’est une très bonne chose que les thématiques de genre et de classes sociales soient traitées.»
Et que pense un historien de ce roman graphique? Dominique Dirlewanger, qui a signé avec Tell me un remarquable ouvrage de vulgarisation scientifique, a beaucoup apprécié. Pour lui, Le Siècle d’Emma ne peut pas devenir un manuel d’enseignement – car il y manque une compilation des sources par exemple. «Mais c’est une excellente porte d’entrée pour aborder une réflexion sur l’histoire de la Suisse.»
Michel Guillaume, Le Temps, BERNE, parution samedi 1er février 2020
La Suisse du XXe siècle revisitée en BD
Saviez-vous qu’en novembre 1918, alors que la guerre touchait à sa fin, une grève générale fit vivre à la Suisse une période quasi révolutionnaire et que lors de cet événement, l’armée tira sur des manifestants, tuant trois hommes à Granges (SO)? Saviez-vous qu’entre 1942 et 1945, 17 Suisses furent passés par les armes pour avoir vendu des informations à l’Allemagne? Avez-vous déjà entendu parler de Léo Max Keller, un nazi suisse, fondateur du Mouvement national suisse, qui partit rejoindre l’Allemagne en 1941, pour être finalement condamné à 14 ans de prison à son retour au pays?
«Le siècle d’Emma», bande dessinée de 200 pages parue en novembre, revisite l’histoire officielle. Le récit est ponctué d’épisodes, souvent noirs, qu’on ne connaît pas forcément sur le bout des doigts. Il débute au moment de la grève générale de 1918 et s’arrête à la chute du mur de Berlin, en novembre 1989. Le fil de cette odyssée se déroule en suivant la vie fictive d’Emma, femme née dans la petite bourgade horlogère de Granges, au pied du Jura. En 1918, elle perd son fiancé dans les affrontements de la grève générale. En 1937, elle se brouille avec son frère devenu pro nazi. En 1956, son neveu, qu’elle a adopté, lui fait découvrir la face sombre de l’immigration italienne. En 1975, sa petite-fille la confronte à la contestation féministe et antinucléaire.
Ecrit par Éric Burnand, ancien journaliste de la RTS, et illustré par Fanny Vaucher, «Le siècle d’Emma» implique le lecteur. On souffre avec ceux qui sont broyés par la machine de l’ État, y compris quand ils sont accusés de trahison. Des cartes dressent un état de la Suisse à différents stades de son évolution. Celle des années 1956–1959 est saisissante. Durant cette période, l’économie vit un boom extraordinaire. Le concubinage est proscrit. L’avortement aussi. Les femmes n’ont pas le droit de vote. «Dans cette Suisse qui vit repliée sur elle-même, on se méfie de tout», résume Éric Burnand. À cette époque, les Italiens sont reçus aux frontières en étant examinés comme du bétail. Le roman graphique donne corps aux situations. Cette fois, la future femme du fils adoptif d’Emma, une Italienne, sera forcée de faire entrer son garçon en Suisse à travers la frontière verte. Les saisonniers n’avaient pas le droit au regroupement familial.
Stéphane Herzog, La Revue suisse, 23.01.2020
LA FEMME À LA BÛCHE
FANNY VAUCHER Cofondatrice du fanzine des autrices romandes de BD, sélectionné au festival d’Angoulême, elle a croqué le XXe siècle suisse et ses zones d’ombre dans Le Siècle d’Emma.
Sa bûche a quelque chose à vous dire, pour paraphraser Twin Peaks. Fanny Vaucher est sur deux fronts distincts cet hiver: l’un féministe avec La Bûche, fanzine d’autrices romandes de BD dont le cinquième numéro est sélectionné à Angoulême (on prend les paris?). L’autre historique et mémoriel avec Le Siècle d’Emma, best-seller surprise coréalisé avec le journaliste Eric Burnand. L’épopée d’une famille dans les turbulences d’une Helvétie pas aussi paisible et pacifique qu’on l’imagine souvent. Pédagogique, l’ouvrage est plébiscité y compris dans les écoles – un deuxième tirage est en route.
«C’est inattendu et nouveau pour moi», avoue Fanny Vaucher, confrontée au succès de son premier format long. Plume à encre de Chine et coloriage à l’aquarelle – sa technique habituelle – caractérisent son trait limpide, sans fioritures mais avec un grand soin apporté aux détails (ici les plaques commémoratives, affiches, coupures de presse). Elle se dit à moitié satisfaite de ses dessins, la faute à un volume considérable à produire en peu de temps, avec des personnages qui vieillissent. Mais le travail avec Eric Burnand a été «facile et très instructif». Grève générale de 1918, première et seconde Guerres mondiales, immigration et xénophobie, frémissement du féminisme, du mouvement squat et de la lutte écolo… «J’ai appris un tas de choses sur l’histoire de mon pays, ses zones d’ombres. Eric baigne dans les archives, si j’avais besoin d’une image de télé-phone des années 1950, il me l’envoyait dans l’heure.»
Invisibilité des femmes
Sollicité par les profs, le tandem va accompagner son bouquin quelques semaines encore dans les gymnases et collèges. La suite pourrait bien être un «préquel» sur le XIXe siècle marqué par la pauvreté et l’exil des Suisses, le Kulturkampf… Grâce aux soutiens d’institutions et mécènes, Fanny Vaucher a pu lâcher son job de correctrice au Temps (qu’elle appréciait) pour dessiner à plein-temps. Mais l’histoire n’est pas tout. Car La Bûche lui tient à cœur. Le projet est né au moment des polémiques sur l’invisibilité des femmes dans la BD, la place marginale que leur accordent les festivals, avec force pétitions et chartes médiatisées. «J’avais participé en 2014 à l’expo ‘Périples masculins’ à BD-Fil. C’était bien, mais ça me saoulait que le sujet soit le regard des autrices sur les hommes. J’ai découvert et étudié la BD sous l’égide de figures tutélaires masculines, or je croisais beaucoup de femmes dans les festivals.»
Fanny Vaucher se jette à l’eau avec Léandre Ackermann, Jenay Loetscher et quelques autres. Chaque numéro rassemble dix-sept autrices, toujours différentes. Isabelle Pralong, Nadia Raviscioni, Albertine, Hélène Becquelin, Fanny Bocquet, Mirjana Farkas, Joëlle Isoz… C’est toute la scène romande qui trouve une vitrine. «C’était dans l’air, les festivals s’y sont tout de suite intéressés. Maintenant, il s’agit de laisser mûrir les nouvelles signatures.» Le numéro 5, plutôt que de chercher dix-sept nouvelles dessinatrices, a creusé le sillon thématique, «porosité», pour explorer les concordances de styles ou de ton, dans l’optique intersectionnelle qui s’impose désormais. Plus qu’un fanzine, La Bûche est aujourd’hui «un réseau solidaire et foisonnant» en expansion.
Faire sens et être utile
Une bonne BD doit transcender sa matière. «Si je choisis comme sujet un groupe de femmes, par exemple, je veillerai à traiter de leurs divergences.» Engagée, Fanny Vaucher l’est de toute évidence. «Je veux mettre mon énergie dans des choses utiles, qui font sens.» Ancienne élève de Tom Tirabosco à l’Ecole genevoise des Arts appliqués, elle lui succède depuis peu comme co-présidente de l’Association des artistes suisses de BD. Pour y défendre en particulier la cause des autrices. A Angoulême, fin janvier, elles seront en tête du débrayage prévu dans le cadre de la contestation des réformes macroniennes qui précarisent particulièrement les femmes.
Au seuil de la quarantaine, Fanny Vaucher se sent presque vétérane face aux jeunes qui s’emparent de la militance avec fougue. «Il y a quelques années, le discours désabusé et individualiste dominait. L’engagement, c’était fini.» Et de se réjouir des mobilisations qui relient toutes les urgences. Quand elle étudiait les Lettres, la Lausannoise s’est frottée aux études genre, passant au crible féministe dans son mémoire les écrits misogynes de Cendrars (Mora-vagine en particulier). Audacieux et pas forcément bien perçu. Fraîchement diplômée, elle découvre à 19 ans le véganisme et l’antispécisme au Canada, en faisant la connaissance d’un activiste. La cause animale lui ouvre les yeux sur la convergence des luttes.
«A l’époque, la seule alternative à la viande était le tofu blanc des supermarchés. On a fait du chemin.» Elle participe à la création de LausAnimaliste, rebaptisé ensuite Pour l’Egalité Ani-male. Les actions au centre-ville sont choc mais pacifiques, «pour sensibiliser le plus largement possible». Elle s’oc-cupe toujours de la communication de l’association qui vise la fermeture des abattoirs. Amoureuse de la faune et de la flore, Fanny Vaucher s’est fait tatouer un énorme poisson sur l’avant-bras, à Marseille, une ville multiculturelle qu’elle adore. «Je l’appelle le vestibule, on est presque en Afrique.» Au Cap-Vert, il y a trois ans, elle a effectué un long voyage doublé d’une résidence de travail pour concevoir… une méthode illustrée d’apprentissage des bases de la programmation web, Génies du code, réalisée avec l’ingénieur en informatique Sylvain Fankhauser. Elle en a ramené non seulement des croquis, mais aussi un chien adopté dans un refuge. Il s’appelle Fenouil et, seul survivant de sa portée, il a droit à un traitement de faveur: des séjours réguliers à La Cure, dans le Jura, loin du tumulte citadin. Fanny Vaucher en profite pour humer l’air de la montagne et se balader en forêt. Avant de renouer avec les controverses bédéistes et les brûlures de l’histoire.
Roderic Mounir, Le Courrier, 24 janvier 2020
Commencer l’année avec Emma
Eric Burnand et Fanny Vaucher signent un formidable roman graphique survolant un siècle d’histoire suisse en lui donnant un visage humain et féminin
Que retenir de l’année écoulée? Pour ma part, le nouveau visage du parlement, le plus jeune, féminin et vert de l’histoire de la Confédération helvétique, m’a réjoui. Autrement plus, je dois bien l’avouer, que le record musical de ce début 2020: All I Want For Christmas Is You, un morceau enregistré pour la première fois il y a plus de vingt-cinq ans, est désormais en tête du Billboard, faisant de Mariah Carey la première artiste à avoir dominé le prestigieux hit-parade au cours de quatre décennies différentes. Et ça, vu l’image de poupée décervelée que véhicule la chanteuse adepte du play-back, je ne suis pas sûr que cela soit une avancée pour l’égalité des sexes.
Bref, afin d’oublier cette scie sirupeuse, ma première résolution de l’an neuf aura été de rattraper la lecture d’un roman graphique à côté duquel j’étais passé durant le vertigineux tourbillon qu’est le mois de décembre: Le Siècle d’Emma, dont la couverture me faisait de l’œil depuis quelques semaines au pied de mon bureau. Cette bande dessinée, me promettait son sous-titre, raconte rien de moins que l’histoire d’«une famille suisse dans les turbulences du XXe siècle».
A lire: Charlot à la guerre, la Suisse en grève
Dans le sillage du parlement nouveau, Le Siècle d’Emma m’a enchanté. Né en 1900, le personnage éponyme va en effet littéralement traverser le siècle, de la grève générale de 1918 au scandale des fiches. Magnifiquement dessiné à l’aquarelle par Fanny Vaucher, sur un scénario d’une implacable rigueur historique signé de l’ancien journaliste Eric Burnand, ce roman graphique se concentre en quatre grands chapitres sur quatre personnages différents: d’abord Emma, puis son frère sympathisant nazi, son neveu qui va s’éprendre d’une immigrée italienne et enfin sa petite-fille, militante féministe et écologiste qui va faire un bébé toute seule.
Si ces quatre héros ordinaires sont fictifs, les événements qu’ils vont traverser sont donc, eux, bien réels. Tout comme plusieurs personnages secondaires, certains ayant même droit, dans un souci didactique, à leur fiche biographique. C’est ainsi qu’on va croiser Max Keller, un nationaliste proche du IIIe Reich, Henri Guisan, ce militaire de droite qui deviendra un général aux velléités humanistes, Willi Ritschard, le premier ouvrier élu au Conseil fédéral, ou encore la vidéaste féministe Carole Roussopoulos.
Sur Carole Roussopoulos: Carole et Delphine font de la vidéo
La manière qu’ont Burnand et Vaucher d’incarner l’histoire suisse en lui donnant un visage humain et féminin fait de leur BD un livre à mettre urgemment entre toutes les mains. Une bonne résolution, pour les Départements cantonaux de l’instruction publique, serait d’en faire sans plus attendre un outil pédagogique.
Stéphane Gobbo, Le Temps, 4 janvier 2020
Eric Burnand invité sur le plateau de TV5 Monde le 22 décembre 2019 >> regarder l’émission
Neues Comic «Le siècle d’Emma» beginnt in Grenchen
Der Generalstreik in Grenchen ist eine der ersten Stationen der fiktiven Figur Emma durch die Wirren des 20. Jahrhunderts.
«Le siècle d’Emma», so der Namen eines frisch erschienenen Comics, beginnt mit einer Einstellung auf der Bettlachstrasse hin zum Zytplatz in Grenchen. Der Journalist Eric Burnand aus Genf liess sich vor rund zwei Jahren vom Team des Kultur-Historischen Museums die Ereignisse rund um den Generalstreik in Grenchen erklären. Fanny Vaucher fertigte die Zeichnungen an.
Kultur-Historisches Museum lieferte Material
Das Museum stellte Burnand Bildmaterial und Texte zur Verfügung. «Eigentlich hatten wir die damalige Führung schon vergessen», erklärt Angela Kummer, Museumsleiterin. «Die Überraschung und auch die Freude war gross, als wir mit der Post ein Belegexemplar mit Widmung von ‹Le siècle d’Emma› bekommen haben. Es erfüllt uns auch mit Stolz, dass unsere Arbeit auf diese Weise gewürdigt wird.»
Der Comic oder besser der Bande dessinée «Le siècle d’Emma», ist in diesen Tagen erschienen. Eric Burnand und Fanny Vaucher erzählen auf 224 Seiten die Geschichte der Emma. Das Leben ist in fünf Kapitel unterteilt und illustriert damit auch das Geschehen der modernen Schweiz. Vom Generalstreik bis zum Aufstieg des Nationalsozialismus, von den dunklen Momenten der italienischen Einwanderung bis zu den sozialen Kämpfen der 1970er-Jahre erleben wir die Geschichte von Emma mit. Die Protagonistin ist eine fiktive Figur, aber könnte so gelebt haben. Sie nimmt uns mit auf eine Zeitreise durch die Konflikte, Spannungen und Fragen des 20. Jahrhunderts.
Alles beginnt in Grenchen mit dem Generalstreik
Die ersten Bilder des Comics zeigen die heutige Bettlachstrasse und wandern dann zum Zytplatz. Hier schwenkt der Blick auf die Gedenkplatte zu den drei Toten des Generalstreiks. Ein Zeitsprung und wir stehen mitten im besagten Streik und die Alte Post taucht auf den Bildern auf. Gemäss «bedetheque.com» ist es das erste Comic von Eric Burnand, der in der Westschweiz einen guten Namen als Journalist geniesst. Für die Zeichnerin Fanny Vaucher ist es das zweite Comic-Buch.
Das Buch «Le siècle d’Emma» ist im Verlag Antipodes erschienen und ist zur Zeit nur auf Französisch erhältlich. Allerdings liess der Autor verlauten, dass man sich angesichts des grossen Erfolgs seit Erscheinen eine deutsche Version überlege.
Oliver Menge, Grenchner Tagblatt, 18 décembre 2019
Article repris du Bieler Tagblatt , 11 décembre 2019
Deux ou trois choses que j’ai apprises grâce à Emma
Une BD pour raconter le XXème siècle en Suisse à travers le destin d’une famille: le journaliste Eric Burnand et la dessinatrice Fanny Vaucher ont réussi leur pari et leur album «Le Siècle d’Emma» remporte un franc succès. Finalement, il n’y a pas que l’Histoire des autres qui soit passionnante.
A quand la série TV? C’est ce qu’on se dit en tournant les pages du Siècle d’Emma,la BD d’Eric Burnand et Fanny Vaucher fraîchement parue aux éditions Antipodes. Décidément, on n’a rien inventé de mieux que la fiction pour parler de la réalité, surtout lorsqu’elle est historique. Et cette saga délicatement dessinée offre, pour raconter le XXème siècle en Suisse, une galerie de personnages forts et émouvants, dont l’ampleur pourrait facilement nourrir quelques heures supplémentaires de scénario.
Il y a Emma, fille et fiancée d’ouvriers horlogers à Granges, qui perd son amoureux Marius dans la répression de la grève générale de 1918 et passe 50 ans à s’impatienter au seuil du bureau de vote. Il y a son frère Franz, employé de banque et fervent syndicaliste à Zurich, qui vire pro-nazi sous l’effet du chômage et de la frustration sociale. Il y a Thomas, le neveu d’Emma, rocker résilient amoureux d’une saisonnière italienne flanquée de son petit clandestin. Il y a Véronique, petite-fille de l’héroïne et sa complice en combat féministe à l’heure du MLF. Sans compter les personnages secondaires comme l’oncle Auguste, paysan vaudois enrichi par la guerre, et les personnages réels, du «führer suisse» Max Keller à Jacqueline Wavre, pionnière du féminisme.
Et si, en tournant les pages, on pense au scénario bien ficelé d’une série télé, ce n’est pas un hasard: au départ, Eric Burnand, qui était encore producteur à la RTS, a conçu Le siècle d’Emma comme le synopsis d’une ambitieuse fiction à épisodes dont la télévision romande a rêvé, avant d’en abandonner le projet, faute de moyens. Il faut dire que, rien qu’en décors et costumes, couvrir un siècle entier -ici découpé en 4 périodes- ça coûte cher.
Une BD, c’est plus modeste, mais la qualité du projet perdure et le public ne s’y est pas trompé: moins d’un mois après sa parution, l’album (édité à 2000 exemplaires) est déjà en réimpression. «J’ai beaucoup d’échos positifs venant d’enseignants, et ça me fait particulièrement plaisir», note Eric Burnand, qui, en tant que genevois, a toujours été choqué de voir la place misérable laissée à l’Histoire suisse dans les programmes scolaires. Un peu comme si l’Histoire vraiment intéressante ne pouvait être que celles des autres.
Le Siècle d’Emma n’apprendra rien de neuf aux passionnés, mais deux ou trois choses au lecteur moyennement ignorant. Tenez, au hasard: moi. J’ai appris par exemple que le général Guisan, future icône de la résistance démocratique à la tentation nazie (incarnée par le conseiller fédéral Pilet-Golaz), a commencé sa carrière militaire comme briseur de grève, en 1919 à Zurich, impitoyable face à «la vague bolchevik». Ou qu’à la fin des années 1930, en guise de mesure de lutte contre le chômage, on licenciait des femmes pour donner leur emploi aux hommes -priorité aux pères de famille- avec la bénédiction des socialistes et des syndicats (Ma grand-mère a vécu ça en Italie, mais j’ai naïvement cru que c’était une spécialité mussolinienne.) Ou encore, que le pionnier de la notion d’«Überfremdung» -l’emprise étrangère sur le marché du travail- n’est pas James Schwarzenbach, auteur de l’initiative xénophobe du même nom en 1970. Mais, avant lui, Willi Ritschard: farouchement nationaliste, partisan du renvoi des étrangers, de la chasse aux sorcières et de l’arme nucléaire. Et néammoins syndicaliste et député socialiste.
La plus belle réussite du Siècle d’Emma est peut-être, malgré la compression subie par le scénario initial, d’avoir réussi à préserver une certaine complexité des situations et des personnages. De tous, Franz, le frère d’Emma qui tourne mal, est le plus tragique. Il ne vient pas seulement s’ajouter à la vaste galerie des damnés de fiction chargés de nous rappeler comment la frustration sociale nourrit le totalitarisme. Il raconte aussi comment la Suisse s’est montrée impitoyable contre quelques «traîtres à la patrie» de deuxième catégorie comme lui, coupables d’avoir vendu des secrets militaires pour gagner un peu d’argent, tandis qu’elle fermait les yeux sur la trahison «erste Klasse» de plusieurs officiers supérieurs, et qu’elle exportait en Allemagne 60% de sa production d’armes.
La bonne conscience a un prix, ce sont les «petits poissons» qui l’ont payé. Dans la réalité, il est toujours plus facile après coup de distinguer les bons des méchants. Et d’oublier que la fascination pour l’«ordre nouveau» n’a pas épargné le paradis helvétique.
Anna Lietti, web magazine Bon pour la tête, 18 décembre 2019
Deux livres d’histoire aux approches fort différentes!
Une histoire de la Suisse moderne en BD et un condensé de l’histoire vaudoise
Une version très positionnée à gauche de l’histoire suisse au 20e siècle
Disons-le d’emblée: Le Siècle d’Emma correspond à une vision «gauchiste» de l’histoire, une vision que ne renieraient pas les membres de SolidaritéS. Cela dit, l’ouvrage est fort intéressant et répond bien au besoin de rendre vivante, voire passionnante, une histoire suisse contemporaine souvent considérée à tort comme terne. Sous sa forme originale de BD, le livre devrait sans doute obtenir un beau succès auprès du jeune public. Il est dû à la plume incisive d’Eric Burnand, journaliste d’enquêtes à la TV bien connu, tandis que les dessins, très parlants, ont été conçus par Fanny Vaucher, artiste qui a déjà publié plusieurs ouvrages.
Comme son sous-titre l’indique, le livre veut raconter l’histoire d’«une famille suisse dans les turbulences du 20e siècle», et cela à travers quatre personnages, deux femmes et deux hommes.
La première «héroïne» est Emma, née avec le siècle à Granges/SO. Le lieu n’est pas anodin. C’est là que se produisit l’épisode le plus meurtrier de la grève générale de 1918, sur laquelle est centrée cette première partie. Le déroulement de cet important conflit social est bien montré. Des pages d’encarts (hors BD proprement dite) présentent la biographie du leader socialiste Ernst Nobs, «meneur de grève», et du lieutenant-colonel Henri Guisan, alors «briseur de grèves» qui veut «faire rentrer la canaille dans son repaire». Emma va subir directement les conséquences de la tuerie par les militaires, qui aura fait trois morts.
La deuxième partie est centrée sur le frère d’Emma, Franz, qui va suivre un tout autre chemin. Nous sommes en 1937. Mis sur la liste noire comme ancien gréviste, cet employé de banque au chômage, vivant de petits boulots, en veut aux «proprios juifs». Il se laisse gagner par les idées frontistes. Un encart nous présente Max Keller, adhérent du Front national anticommuniste et antisémite, qui deviendra plus tard officier SS en Allemagne.
En 1943, Franz se laisse aller – poussé par la pauvreté autant sinon plus que par conviction – à livrer des secrets militaires au Reich, ce qui entraînera sa fin tragique. Nouveau portrait de Guisan en encart, cette fois nommé le «général du peuple», à propos duquel on peut cependant regretter certains termes dépréciatifs utilisés par les auteurs, comme «il se pose en adversaire résolu du conseiller fédéral Pilet-Golaz» ou encore «il se profile comme le fer de lance de la résistance à Hitler», deux expressions qui peuvent laisser croire à une absence de sincérité de sa part. En outre, le livre donne une image certes en partie véridique, mais un peu trop systématique de syndicats embourgeoisés et pusillanimes. Enfin, si les ambiguïtés du socialisme réformiste méritaient d’être critiquées, il ne faudrait pas oublier les progrès sociaux qu’il a obtenus par une voie certes non révolutionnaire.
Le troisième personnage mis en exergue dans cette constellation familiale est Thomas, né en 1939 du mariage entre Franz et une Allemande. Il va vivre à Lausanne. C’est l’époque du rock’n roll, qui l’intéresse davantage que la politique. Mais celle-ci le rattrape. A travers Thomas et ses amours avec une jeune Italienne, on touche, avec beaucoup de justesse et de sensibilité, au problème des saisonniers et des travailleurs étrangers en général. On pourra cependant regretter le portrait assez sévère de Willi Ritschard, qui se résume à la présentation d’un «syndicaliste nationaliste», lui qui fut aussi le seul conseiller fédéral issu du monde ouvrier, ce qui lui valut une grande popularité, accentuée par son décès précoce.
Enfin, avec la quatrième figure de cette saga, Véronique (née en 1947), nous arrivons à l’année 1975. Cette partie est presque entièrement consacrée aux mouvements féministe et antinucléaire. Dans des pages subtiles, on assiste aux conflits, dans le mouvement féministe, entre «bourgeoises» et MLF, «privilégiées» et «enragées». Le mouvement des squats et de la vie communautaire apparaît aussi, avec ses désillusions et séparations. Petit bémol là également: le traitement un peu trop généreux réservé à la conseillère fédérale Elisabeth Kopp, qui ne serait que la victime «des frasques de son voyou de mari». Dans cet épisode comme dans les précédents, les propos des personnages sonnent juste, et les images en disent autant que le texte.
On le voit, certains jugements et partis pris peuvent être discutés. Il n’empêche qu’il faut vivement saluer la publication de cette BD politique, qui donne des problèmes et conflits de la Suisse au 20e siècle une image globalement juste, et surtout présentée de manière vivante et moderne.
_____
Eric Burnand & Fanny Vaucher, Le Siècle d’Emma. Une famille suisse dans les turbulences du 20e siècle, Lausanne, Antipodes, 2019, 207 pages.
L’histoire vaudoise en format de poche
Trente ans après la publication du dernier volume de la fameuse Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud (1970-1984), une monumentale et novatrice Histoire vaudoise est parue en 2015. Ce gros volume de 560 pages, comprenant 800 illustrations et pesant 2,3 kilos, avait rassemblé 20 auteurs (dont le soussigné).
Mais qui l’avait réellement lu intégralement? Sous l’égide de l’historien Olivier Meuwly, l’Association pour l’histoire vaudoise a donc décidé d’en diffuser une version digest, à l’attention d’un large public. Celle-ci vient de paraître.
Forte de 160 pages, cette version résumée a été rédigée par Corinne Chuard, qu’il faut louer pour son excellent travail de synthèse. Quant à Laurent Pizzotti, responsable de l’iconographie dans le gros ouvrage et dans cette version de poche, il a également fait un travail remarquable. Ses illustrations – photographies d’objets, de tableaux, de portraits, mais aussi dessins qui rendent bien compte de la vie quotidienne à toutes les époques – ont été très judicieusement choisies et «collent au texte».
Grâce à ce petit volume, on parcourra avec intérêt toutes les époques. En commençant par la préhistoire, trop souvent méconnue. Puis c’est le temps des Helvètes, jusqu’à la conquête romaine, qui a laissé de nombreuses traces, des ruines d’Aventicum à l’adoption du latin qui deviendra le français. Après une période assez troublée où s’affrontent Alamans, Burgondes et Francs, le Pays de Vaud (première mention du Pagus Waldensis en 765) vit sous le règne des comtes puis ducs de Savoie et connaît un grand essor urbanistique: sont alors fondées Yverdon, La Tour-de-Peilz, Morges, Rolle et de nombreuses autres localités.
La conquête bernoise se fait en deux étapes (1476 et 1536). Leurs Excellences dirigeront leurs sujets vaudois avec efficacité mais souvent de manière humiliante. Elles leur imposent la Réforme protestante. Après la tentative de libération par le major Davel, le Siècle des Lumières sera propice aux arts et à la littérature. Signalons notamment la publication de la célèbre Encyclopédie d’Yverdon, qui fait concurrence à celle de Paris.
En 1798, les armées françaises libèrent le Pays de Vaud, qui accède au rang de canton suisse en 1803. Celui-ci, réputé à tort si calme, connaîtra pourtant deux révolutions, la première libérale en 1830, la seconde radicale en 1845!
Dans un canton resté très agricole, le 19e puis le 20e siècle vont néanmoins être marqués par un grand essor technologique et industriel: bateaux à vapeur sur le Léman, chemins de fer, horlogerie dans le Jura, naissance de Nestlé et des Ateliers mécaniques à Vevey… L’existence des ouvriers reste cependant précaire, ce qui provoque la création du parti socialiste. La crise économique des années 30 sera durement ressentie. Mais le 20e siècle vaudois est aussi celui de Ramuz, d’Ernest Ansermet, de la tour Bel-Air, premier gratte-ciel en Suisse, de la machine à Tinguely qui fit sensation à l’Expo 64, de Maurice Béjart…
Une critique cependant: on pourra estimer que la part dévolue dans le livre au parti radical est un peu trop importante. Elle donne notamment l’impression que tous les progrès sociaux peuvent leur être attribués. Il est vrai que, si les débats concernant le Paléolithique ou la période savoyarde se limitent à un cénacle d’universitaires, ceux concernant l’époque contemporaine sont plus brûlants, et que leur traitement était plus délicat.
Voilà un très sommaire «résumé du résumé». On le voit, tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle sont abordés dans ce petit ouvrage qui use d’une langue accessible à tous et qui est, répétons-le, superbement illustré. Désormais, Vaudoises et Vaudois n’auront plus d’excuse pour ignorer leur histoire!
_____
Corinne Chuard (texte) et Laurent Pizzotti (illustrations), Histoire vaudoise, un survol, Bibliothèque historique vaudoise et Infolio, 2019, 160 pages.
Domaine public, Pierre Jeanneret, 18 décembre 2019
Une saga suisse en bande dessinée
Le roman graphique «Le siècle d’Emma» nous fait revivre l’histoire nationale à travers le parcours d’une famille. Un passé mouvementé
Un cliché marque parfois l’histoire helvétique. Il en véhicule une teneur ennuyeuse et dénuée de toute convulsion. Au pays du compromis, les comportements guidés par la raison s’accorderaient les uns aux autres, en se répartissant harmonieusement les fruits de la prospérité. La Suisse ferait ainsi figure de Sonderfall, loin des passions révolutionnaires de ses voisins. Eric Burnand, ancien journaliste à la RTS, et Fanny Vaucher, autrice de bandes dessinées, ont choisi de cultiver un autre regard sur le passé, une approche différente, à plusieurs titres. Avant tout, leur ouvrage met pertinemment en évidence les lignes de fracture au sein de la société. Au cours du XXe siècle, les oppositions se révèlent multiples. La Suisse est, dans la réalité, bien souvent divisée. Le scénario de l’ouvrage comprend, à ses débuts, une scène relativement classique: un repas de famille avec des discussions animées au niveau politique. A l’occasion des fiançailles de la jeune Emma, un oncle ferraille avec son neveu à propos des grèves zurichoises ayant éclaté dans le secteur bancaire. D’un côté, la peur des «Rouges» et d’une propagation révolutionnaire amplifiée par les événements russes d’Octobre 1917; de l’autre, la flamme du militantisme. Par la suite, les antagonismes ne cesseront de se succéder au rythme du récit. Lors de la grève générale de 1918, ils atteignent leur paroxysme lorsque l’armée tire sur les manifestants. Différents niveaux d’interprétation du réel sont mobilisés, l’attention du lecteur passant du collectif au biographique. La figure d’Ernst Nobs – l’un des meneurs du mouvement ouvrier – contraste, à ce moment, avec celle d’Henri Guisan, protagoniste de la répression.
Relents racistes et xénophobes
On ouvre un nouveau chapitre historique en se retrouvant à un autre repas de famille. Au cœur des années 1930, le visage hideux de la xénophobie et de l’antisémitisme se dissémine dans les propos de Franz, le frère d’Emma. Cela entraîne une rupture avec sa sœur. Les auteurs insistent, par ailleurs, sur l’ambivalence, voire l’hypocrisie de la Suisse face à l’Allemagne nazie. Arrive ensuite l’après-guerre. A l’anniversaire de Thomas, le fils adoptif d’Emma, c’est la question des travailleurs étrangers – en l’occurrence des Italiens – que l’on met sur la table. L’apparition de cette nouvelle main-d’œuvre est considérée comme une menace par certains, une nécessité économique pour d’autres. Quant à Thomas, il s’éprend d’une belle saisonnière rencontrée fortuitement à une terrasse… Cela permet d’évoquer l’exploitation de ces travailleurs vivant souvent dans des baraquements, la douloureuse interdiction, qui leur est faite, de venir s’installer avec leurs enfants, et parfois le choix malgré tout de les élever en Suisse, dans la clandestinité.
Place aux seventies
Au cœur des années 1970, on retrouve Véronique, la petite-fille d’Emma. Là, on assiste à des visions dichotomiques du féminisme. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) bouscule les manières de faire et de penser des générations précédentes. Véronique découvre les nouveaux mouvements sociaux, la vie en communauté et l’engagement antinucléaire. Le combat contre la centrale de Kaiseraugst, dans le canton d’Argovie, demeure emblématique du fait de son ampleur. L’histoire se termine avec Emma en chaise roulante. En cette fin de siècle, elle apprend qu’elle est fichée par la police fédérale depuis 70 ans, et vote sur l’initiative concernant la suppression de l’armée. Malgré le secret de l’isoloir, nous pouvons penser qu’elle y fut favorable. En effet, à ce moment, apparaît le portrait de son ancien fiancé Marius Noirjean ‒ ouvrier horloger et surtout gréviste mort en raison de la répression militaire, le 14 novembre 1918 à Granges.
La dimension culturelle des contestations issues des années 1960 ressort bien de l’ouvrage. La conflictualité sociale émerge aussi avec sagacité, même si la question des rapports de force se trouve un peu éludée. Par ailleurs, le travail de vulgarisation historique est de qualité. La passion de transmettre des auteurs se sent à chaque page. Le trait léger du dessin accentue également l’aspect ludique de l’ouvrage. D’événement en événement, on est transporté. L’histoire se trouve ainsi dépoussiérée tant sur le fond que sur la forme. Une histoire de luttes, pleine de vie et d’avenir.
Fabrice Bertrand, L’événement syndical de l’Unia, n°51/52, mardi 18 décembre 2019
Grenchen im Comic!
«Le siècle d’Emma», so der Namen eines frisch erschienenen Comics, beginnt mit einer Einstellung auf der Bettlachstrasse hin zum Zytplatz in Grenchen. Der Journalist Eric Burnand aus Genf liess sich vor rund zwei Jahren vom Team des Kultur-Historischen Museums die Ereignisse rund um den Generalstreik in Grenchen erklären. Fanny Vaucher fertigte die Zeichnungen zu diesem gelungenen Buch an.
Vor rund zwei Jahren liess sich der der Genfer Journalist die Ereignisse von Grenchen rund um den Generalstreik vom Team des Kultur-Historischen Museums erklären. Das Museum stellte ihm Bildmaterial und Texte zur Verfügung. «Eigentlich hatten wir die damalige Führung schon vergessen», erklärt Angela Kummer, Museumsleiterin. «Die Überraschung und auch die Freude war gross, als wir mit der Post ein Belegexemplar mit Widmung von «Le siècle d’Emma» bekommen haben.»
Der Comic oder besser der Bande dessinée «Le siècle d’Emma», ist in diesen Tagen erschienen. Eric Burnand und Fanny Vaucher erzählen auf 224 Seiten die Geschichte der Emma. Das Leben ist in fünf Kapitel unterteilt und illustriert damit auch das Geschehen der modernen Schweiz. Vom Generalstreik bis zum Aufstieg des Nationalsozialismus, von den dunklen Momenten der italienischen Einwanderung bis zu den sozialen Kämpfen der 1970er Jahre erleben wir die Geschichte von Emma mit. Die Protagonistin ist eine fiktive Figur, aber könnte so gelebt haben. Sie nimmt uns mit auf eine Zeitreise durch die Konflikte, Spannungen und Fragen des 20. Jahrhunderts.
Alles beginnt in Grenchen
Die ersten Bilder des Comics zeigen die heutige Bettlachstrasse und wandern dann zum Zytplatz. Hier schwenkt der Blick auf die Gedenkplatte zu den drei Toten des Generalstreiks. Ein Zeitsprung und wir stehen mitten im besagten Streik und die Alte Post taucht auf den Bildern auf. Gemäss «bedetheque.com» ist es das erste Comic von Eric Burnand, der in der Westschweiz einen guten Namen als Journalist geniesst. Für die Zeichnerin Fanny Vaucher ist es das zweite Comic-Buch. Das Kultur-Historische Museum ist stolz, dass seine Arbeit mit einem solchen Beitrag gewürdigt wird. Das Buch «Le siècle d’Emma» ist im Verlag «Antipodes» erschienen und ist zur Zeit nur auf Französisch erhältlich.
Musée de Granges, 11 décembre 2019
Fanny Vaucher et Eric Burnand sont les invités de Christian Ciocca dans l’émission Nectar (Espace 2), le 12 décembre 2019 >> écouter l’émission
Les auteurs Eric Burnand et Fanny Vaucher livrent une version intimiste du travail de mémoire
Le siècle d’Emma, une autre Suisse
Ces vingt dernières années, plusieurs ouvrages marquants ont en-fin rendu accessible au grand public une autre version de l’histoire contemporaine de leur pays: en bref, l’histoire vue par ceux qui luttent et la subissent. Soit une perspective radicalement différente des versions officielles plus ou moins édulcorées et de récits des dominants. On pense à l’important travail de mémoire de l’historien et politologue américain Howard Zinn, auteur d’Une histoire populaire des Etats-Unis, enfin traduite en français. Suivant la même démarche, l’historien Gérard Noiriel a publié en 2018 Une histoire populaire de la France, consacrée aux relations tendues entre immigration, politiques de préférence nationale, discriminations et sentiments xénophobes. Elle vient tout juste d’être rééditée, avec un supplément consacré au mouvement des gilets jaunes.
C’est aujourd’hui une autre épopée que l’ancien journaliste de la RTS Eric Burnand et l’illustratrice Fanny Vaucher nous proposent de découvrir. Nous sommes cette fois en Suisse. Non pas un petit pays tranquille, mais un Etat traversé lui aussi par des drames, des revirements politiques, des alliances inavouables, des trahisons. Le siècle d’Emma, une famille suisse dans les turbulences du XXe siècle raconte à la première personne ces périodes douloureuses: privations, montée du nazisme, humiliations subies par les immigrés italiens, chasse aux «communistes»… jusqu’au scandale des fiches révélé il y a juste trente ans. Les explications d’Eric Burnand.
Comment est né ce projet?
Eric Burnand: Il répondait à un besoin. J’ai toujours été un fan de l’histoire suisse. Je trouve que nous ne connais-sons pas assez notre passé. Quand je travaillais à la télévision, j’avais commencé un projet de série historique, avec un synopsis autour d’une saga familiale. Et cela a été un vrai défi pour moi de tout transposer sous cette forme de bande dessinée: je ne suis pas habitué à ce type de langage. Ni Fanny, qui est coauteure à part entière de cet ouvrage et a travaillé sur le story-board. Elle n’avait encore jamais développé des formats longs. On se considère un peu comme des novices, étonnés par le succès incroyable de ce livre: à peine sorti, le tirage est déjà presque épuisé!
Le sujet est pourtant délicat et commence par des pages très sombres, la répression armée de mouvements ouvriers en 1918. Et vous l’avez abordé avec beaucoup de simplicité et de sensibilité, de l’avis de jeunes lecteurs…
Je voulais évoquer des événements méconnus de l’histoire suisse, à travers des personnages fictifs (Emma et sa famille, ndlr). On avait peur que ce soit caricatural, donc on a amené un peu de subtilité dans l’évolution de leur parcours.
Celui du général Guisan est très particulier, on ne sait pas toujours qu’il a été un «briseur de grève» proche de l’extrême droite, avant de devenir un héros national de la résistance à l’armée nazie…
Personnellement je suis choqué qu’à Genève, plus encore que dans les can-tons de Vaud et Fribourg, l’histoire suisse ne soit pas vraiment enseignée à nos enfants dans le cadre d’un pro-gramme scolaire. Au départ notre livre n’avait pas d’ambition pédagogique, mais si cela peut aider à vulgariser, tant mieux. Nous avons depuis été invités à le présenter dans des écoles à Fribourg. Il y aura sans doute d’autres invitations, dans d’autres classes, comme à Genève où je connais un enseignant très proactif… mais à ce ni-veau, les cantons romands ont des pratiques très différentes.
«On se considère comme des novices, étonnés par le succès de ce livre»
Eric Burnand
Comment votre projet a-t-il été reçu?
A Genève, le Département de l’instruction publique nous a aidés, il y a un intérêt. Je crois que cela tient aussi beau-coup à l’activité d’historiens contribuant à faire connaître notre passé, sur la lancée de la Commission Bergier, par exemple (rôle de la Suisse face à l’armée nazie, à la question des réfugiés et des fonds en déshérence, ndlr), à la personnalité et au travail de chercheurs, comme à l’Université de Lausanne… Il y a ensuite les fonds d’archives, qui m’ont servi pour la documentation, que ce soit à Zurich, ou à la médiathèque du Valais; le réseau notrehistoire.ch, les archives de la RTS… Il y a encore des rencontres personnelles, comme celle de Jacqueline Berenstein-Wavre, qui a 100 ans aujourd’hui et m’a raconté l’épisode du sparadrap qu’elle s’était collé sur la bouche (pour protester contre la condition des femmes en Suisse dans les an-nées 60, ndlr). Ou celle de Chaïm Nissim, militant écologiste. Enfin, il y a un peu de mon histoire personnelle, comme ma participation à la manifestation antinucléaire sur le site de Kaiseraugst (11 semaines d’occupation en 1975). C’était comme notre Wood-stock à nous…
Gilles Labarthes, Journal La Liberté, mardi 10 décembre 2019
Article relayé dans Le Courrier, 17 décembre 2019
Des bouquins sous le sapin
Les livres restent une valeur sûre à offrir à ses proches pour les Fêtes.
La rédaction de Coopération a sélectionné ses favoris à glisser dans la hotte du Père Noël
Emma et les autres
Un siècle de lutte
Emma est née avec le siècle. Elle sera un témoin clé de toutes les luttes sociales qui ont secoué la Suisse de la mort de son fiancé sous les balles de l’armée durant la grève générale de 1918, au déchirement de sa famille pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis les tensions autour des immigrés italiens. Au travers de la grande histoire, c’est ici la petite histoire des gens simples qui est racontée. Emma n’existe pas, mais il y a un peu d’elle dans toutes nos mères et grands-mères.
Mélanie Haabs, journal Coopération n°49, 3 décembre 2019
«Le siècle d’Emma» ressuscite le passé tourmenté d’une Suisse pas si lisse !
Passionnante saga familiale, la BD écrite par Étjc Burnand et illustrée par Fanny Vaucher évoque avec brio quelques moments forts de l’histoire de la Confédération, de 1918 à 1990.
La grande histoire en bande dessinée, c’est un peu comme des sardines sauce framboise: ça ne fait pas trop envie. Autant dire qu’on a d’abord redouté le pire en apprenant la sortie en librairie du «Siècle d’Emma», un ouvrage censé évoquer la Suisse du XXe siècle à travers quelques événements majeurs. Une simple planche, placée en préambule, a toutefois suffi à balayer nos doutes. «Le siècle d’Emma» d’Éric Burnand et Fanny Vaucher n’est pas une leçon d’histoire donnée par des érudits imbus d’eux-mêmes. On a affaire ici à une saga familiale prenante, faite de doux moments mais aussi d’épreuves infiniment douloureuses, qui nous torpille en plein cœur grâce à son étourdissant souffle romanesque.
« Nous nous servons des ficelles de la saga et de la série pour offrir une vision de l’histoire »
Éric Burnand, auteur du «Siècle d’Emma»
L’histoire, c’est celle d’Emma, née aux premières lueurs du siècle au pied du Jura, dans la ville horlogère de Granges. Une femme qui verra sa jeunesse s’envoler un jour terrible de 1918, alors que le pays est en grève. Une féministe avant l’heure qui, en dépit des morsures de la vie, ne renoncera jamais à des idéaux tels que l’ouverture d’esprit, la soif d’une justice pour tous. La grève et son cortège de malheurs, les tentations nazies de certains citoyens durant la Seconde Guerre mondiale, le sort injuste réservé aux saisonniers italiens dans les années 50 et 60, les utopies des années 70, l’initiative pour une Suisse sans armée, le scandale des fiches au début des années 90: autant de moments clés qui ont bouleversé le cours des choses en Helvétie. Des moments «mis en cases» qui défilent au fil de chapitres où les proches et les descendants d’Emma auront leur mot à dire et bien des maux à vivre …
«Nous avons effectivement essayé de ne pas faire un livre d’histoire illustré. Même si le format ne permet guère de marcher sur les traces de Balzac ou de Zola – de toute façon nous n’avons pas cette prétention nous nous servons des ficelles de la saga, de celles de la série aussi, pour offrir une vision à hauteur d’homme»,
explique Éric Burnand, l’auteur du scénario.
Le journaliste bien connu des téléspectateurs romands («Tell quel», «Table ouverte», «Mise au point», «Temps présent») et des lecteurs de feu «L’Hebdo» remonte aux origines du projet: «Lorsque je travaillais encore pour la télévision, un concours a été lancé dans le but de faire une série historique sur le XXe siècle en Suisse. J’ai moi-même réalisé un synopsis. «Emma» est un peu issu de tout cela, même si, depuis, le récit a été largement modifié, amélioré … »
Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il y a là matière à une grande fresque littéraire, il rétorque humblement: «J’ai une bonne imagination mais je n’ai pas le style du romancier. Et puis j’aime l’image. Je viens de l’audiovisuel et je préférerai toujours une bonne BD à un roman sans style.»
Grande finesse du trait
Pour mener à bien ce projet, Éric Burnand s’est tourné vers l’artiste susceptible de mettre en images son histoire si personnelle de la Suisse. Sur les conseils de Tom Tirabosco, son choix s’est porté sur Fanny Vaucher, jeune et talentueuse dessinatrice vaudoise dont on a pu ad-mirer la finesse du trait dans des ouvrages tels que «Pilules polonaises» ou «Les aventures de Paprika».
Celle que le scénariste voit comme la vraie «autrice» du projet évoque une relation de travail ouverte, heureuse: «Il est vrai qu’au départ, c’est intimidant de s’attaquer à un sujet pareil. Ni Éric ni moi-même n’avons la prétention de nous imposer comme historiens. Mais ce que j’ai aimé dans le texte de base que m’a soumis Eric, c’est qu’il s’agissait d’une histoire mettant en scène des gens qui auraient pu être de ma famille.» L’élaboration du «Siècle d’Emma» aura de-mandé plus de deux ans de travail à la dessinatrice. Des mois de dur labeur marqués par une complicité artistique de tous les instants: « Pour nous deux, c’était une première fois. Lui n’avait jamais fait de BD et, de mon côté, je n’avais jamais travaillé sur un projet de cette ampleur. Mais même dans les moments les plus compliqués, la notion de plaisir était toujours là. J’espère que cela se ressent lorsqu’on parcourt le livre … »
Vision subtile
Qu’elle se rassure: dès le prologue, bouleversant, un flot d’émotions submerge le lecteur. Durant plus de 200 pages, celui-ci traverse le siècle agité d’une Suisse bien moins lisse qu’on ne l’imagine. La vision subtile de Burnand, le trait vivant de Vaucher permettent de lier la fiction et la réalité en évitant les raccords grossiers. Non loin d’Emma et des siens, des personnalités comme le général Guisan ou Ernst Nobs, le syndicaliste virulent devenu conseiller fédéral, entrent dans la légende du pays. Parmi les «oubliés», Marius Noirjean, l’une des trois malheureuses victimes d’une manifestation brutalement réprimée par l’armée à Granges le 14 novembre 1918, devient le premier amour de l’héroïne. Qu’elle est belle !’Histoire quand on entend battre les cœurs de celles et ceux qui l’ont vécue!
Jean-Philippe Bernard, Le Matin Dimanche, 1er décembre 2019
APRÈS «TEMPS PRÉSENT», ERIC BURNAND SE MET AU TEMPS PASSÉ
L’ex-journaliste de la RTS signe un premier scénario épatant pour cet album dessiné par Fanny Vaucher: une relecture de la Suisse du XXe siècle.
Les Romands connaissent bien le visage d’Eric Burnand. Entré à la RTS (la TSR à l’époque) à 23 ans, le journaliste a travaillé pour «Tell Quel», «Table ouverte» ou encore «Mise au point». Mais c’est au magazine «Temps présent» qu’il aura le plus goûté, puisqu’il y a participé à ses débuts, y est revenu après son passage à «L’Hebdo» et y a fini. Car depuis 2 ans, les téléspectateurs ne le voient plus. À 64 ans, il a quitté la tour de la RTS, après plus de 40 ans de métier.
L’idée pour une série télé
Aujourd’hui, il est de retour, là où on ne l’attendait pas. Dans la BD. Il signe le scénario du «Siècle d’Emma», dessiné par Fanny Vaucher. Le sous-titre dit tout: «Une famille suisse dans les turbulences du XXe siècle». Si l’on connaissait le goût pour l’histoire d’Eric Burnand, on ignorait ses accointances avec le 9e Art. «J’ai toujours aimé la BD, mais «Le siècle d’Emma» n’avait pas été pensé pour ce support, nous explique-t-il. Quand je travaillais encore à la RTS, j’ai écrit le synopsis d’une série télé: l’histoire d’une famille dans la Suisse du siècle passé, que l’on suivait aux quatre coins du pays à quatre époques différentes. Cela ne s’est jamais réalisé, notamment en raison des coûts de production que cela aurait impliqué.»
Une fois «retraité», il repense à cette histoire et, épaulé par le dessinateur Chappatte, à qui il loue un bureau, se dit qu’il pourrait en faire une BD. C’est un autre dessinateur, Tom Tirabosco, qui l’aiguille vers Fanny Vaucher. L’autrice de «Pilules polonaises» ou encore de la série jeunesse «Paprika» aime les thèmes historiques et sociaux, mais s’inquiète que son graphisme fasse justement un peu trop jeunesse pour cet album. Eric Burnand la rassure. «Son dessin est un parfait contraste avec un propos un peu dur.»
Une saga familiale passionnante
C’est exactement cela. Passé une première impression d’un trait un peu simpliste, on se laisse totalement emporter par ce graphisme d’une grande lisibilité et qui se met totalement au service du récit. Pareillement, si l’on pouvait craindre de prime abord une histoire trop académique (voire carrément ennuyeuse), ce n’est absolument pas le cas. Le scénario d’Eric Burnand aurait pu faire une excellente saga filmée, comme l’avait été «Nos meilleures années» pour l’Italie. Il fait une excellente BD. Car l’auteur mêle très habilement la vie intime de cette famille fictive aux événements historiques suisses. «Nous avons été extrêmement rigoureux sur le plan factuel», confirme-t-il.
Ainsi, Emma la fictive se retrouve fiancée à Marius Noirjean, ouvrier horloger qui fut l’une des trois victimes réelles de la grève de Granges en 1918. Son frère, Franz, sera séduit par les thèses nazies lors de la Seconde guerre mondiale. Et sa petite-fille, Véronique, participera à la manif contre la centrale nucléaire de Kaiseraugst en 1975.
Eric Burnand trouve le moyen d’aborder subtilement les problématiques de ce XXe siècle. Comme le neveu d’Emma qui tombe amoureux d’une jeune veuve italienne, saisonnière, et qui veut l’épouser et adopter son enfant. Mais problème, il est mineur: à l’époque, la majorité était en effet à 20 ans. Et en fil rouge de tout l’album, on retrouve l’émancipation des femmes, raison de plus pour dire que ce siècle aura été celui d’Emma, car pour les femmes, beaucoup de choses auront changé, même si ce fut lentement.
L’album est émaillé de notices biographiques des personnages historiques, mais certains en ont plusieurs, car leurs rôles changent. Ainsi Henri Guisan, briseur de grève à Zurich en 1919, opposé au syndicaliste Ernst Nobs qui sera emprisonné. Nobs qui sera le premier conseiller fédéral socialiste en 1944 et qui aura pour défendre la Suisse face aux nazis un général, nommé Guisan.
Burnand à Kaiseraugst
Eric Burnand a placé quelques souvenirs personnels dans son histoire, puisqu’il a manifesté à Kaiseraugst, «même si je n’y suis pas resté camper». Il aura aussi appris à se plier à la BD, «Emma m’a fait enlever du texte pour laisser place à l’image». Il a visiblement pris goût au genre puisqu’il en prépare un autre album, inspiré par une véritable histoire d’espionnage à Berne, qui sera dessinée cette fois par le Valaisan Matthieu Berthod.
D’ici-là, laissez-vous emporter par la saga de la famille d’Emma. Elle va vous faire revivre les turbulences d’une histoire suisse que l’on voit trop souvent à tort comme un fleuve tranquille.
Michel Pralong, Le Matin, 29 novembre 2019
Une BD pour dépoussiérer l’histoire suisse du XXe siècle
La peine de mort appliquée durant la Deuxième Guerre mondiale ou la contestation antinucléaire réussie de Kaiseraugst sont évoquées dans la BD « Le siècle d’Emma », qui entend casser le cliché d’une Suisse barbante et sans histoire.
« Montrer aux Suisses qu’ils ont un passé intéressant ». C’est, de l’aveu de l’ancien journaliste Eric Burnand, une des idées motrices de la bande dessinée « Le siècle d’Emma, une famille suisse dans les turbulences du XXe siècle », dont il signe le scénario.
Pour cette première expérience dans le monde du roman graphique, ce féru d’histoire et de BD s’est adjoint les services de l’auteure et illustratrice Fanny Vaucher, qui s’est montrée d’emblée enthousiaste.
« Ce qui m’attirait dans ce projet, c’est que ça cassait tous les clichés. Ce n’est pas une histoire de dates ou d’hommes politiques, c’est l’histoire des gens, des peuples, de ce qu’ils ont vécu, des mouvements auxquels ils ont participé. C’est mon histoire aussi. »
Le XXe siècle d’une famille « normale »
Loin d’un format scolaire, les 224 pages de l’ouvrage racontent le destin d’Emma, l’héroïne, née en 1900 dans une petite bourgade horlogère au pied du Jura, de son frère Franz, de son neveu Thomas et de sa petite-fille Véronique.
De la grève générale de 1918 au scandale des fiches à la fin des années 1980, ces personnages fictifs, mais vraisemblables, sont soumis à des conflits sociaux, des tensions politiques, des affrontements et des questionnements. L’occasion pour le lecteur de (re)découvrir certains moments forts du XXe siècle à travers leur quotidien.
Ces pages moins connues de l’histoire suisse
Par ce prisme, les auteurs abordent des moments choisis de ce siècle mouvementé et, en marge des événements majeurs incontournables, révèlent quelques pages moins connues et parfois sombres du passé helvétique.
Ainsi, sur fond de montée des totalitarismes, Emma se brouille avec son frère devenu pro-nazi, plus par nécessité financière que par conviction. Un épisode qui renvoie aux dix-sept « traîtres à la patrie » exécutés entre 1942 et 1945 pour avoir violé le Code pénal militaire.
« Parmi ces traîtres à la patrie, comme on les appelait, il y avait de réels traîtres. Il y a vraiment des gens qui ont vendu ou donné beaucoup d’informations aux Allemands. Mais il y a aussi eu pas mal de petits poissons, de gars qui ont trahi pour avoir quelques centaines de francs. On leur a fait payer un prix très lourd, parce qu’il fallait faire des exemples. »
Eric Burnand, co-auteur de « Le siècle d’Emma »
Autre exemple, en 1975. Véronique, la petite-fille d’Emma, la confronte à la contestation féministe et antinucléaire. L’occasion pour les auteurs d’évoquer l’occupation du chantier de la centrale nucléaire de Kaiseraugst par environ 15’000 personnes. « C’est le seul mouvement populaire qui a fait reculer les autorités », rappelle Eric Burnand à la RTS.
La question des femmes en toile de fond
Le choix d’une héroïne plutôt que d’un héros n’est sans doute pas le fruit du hasard. Fanny Vaucher et Eric Burnand mettent en évidence tout au long du récit le rôle primordial des femmes dans un siècle dont l’histoire n’a majoritairement retenu que des hommes.
« Le XXe siècle est celui au cours duquel les femmes se sont affirmées sur la scène sociale et politique. On sait que les femmes ont joué un rôle très important dans la grève de 1918, même si aucun leader n’est apparu. »
Eric Burnand, co-auteur de « Le siècle d’Emma »
En point d’orgue: la double-rencontre d’Emma, alors grand-mère, avec Jacqueline Wavre, pionnière du féminisme née à Neuchâtel qui a voué sa vie à faire évoluer la cause des femmes. Une personnalité réelle, parmi de nombreuses autres, qui croise le chemin des personnages fictifs de la BD.
Le travail au long cours qui a abouti à cet ouvrage touffu et finement documenté n’a pas découragé Fanny Vaucher et Eric Burnand qui « rêvent de faire le siècle de Basile, l’arrière-petit-fils d’Emma. Puis de continuer jusqu’à faire de l’anticipation au XXIe siècle. »
Propos recueillis par Nadine Haltiner, RTS Culture, 29 novembre 2019 (texte et adaptation web: Sébastien Blanc)
Un siècle d’histoire suisse dans la famille d’Emma
L’ancien producteur de «Temps présent» et l’illustratrice suivent une famille représentative de leur époque.
Comment rendre l’histoire suisse du XXe siècle intéressant et facile à comprendre? Le défi que s’est lancé Eric Burnand était risqué. L’ancien journaliste de «L’Hebdo», ancien producteur de «Temps Présent» ou de «Mise au Point» à la RTS, a toujours aimé montrer la grande histoire par la petite. En l’occurrence, il a décidé de raconter le siècle à travers la famille d’Emma, née avec lui en 1900. Et il l’a fait en bande dessinée, un travail de deux ans pour l’illustratrice Fanny Vaucher, qui a prêté sa plume d’encre de Chine et ses aquarelles pour mettre en couleurs ces trajectoires forcément exemplaires.
Emma, donc, naît à Granges, cité horlogère jurassienne où elle tombe amoureuse de Marius. Mais il y a la grippe espagnole pour compliquer l’amour, et, plus encore, la grande révolte syndicale qui va diviser la Suisse entre grévistes et militaires qui finiront par utiliser leurs armes pour clouer les manifestations, à Granges entre autres. Au fil des pages, on retrouve des figures connues, comme celle d’Henri Guisan, grand briseur de rouges.
On retrouvera ensuite la sympathie du frère d’Emma pour le régime nazi la guerre venue, illustrant le commerce entretenu par l’industrie suisse avec le régime fasciste, l’amour de son neveu pour une saisonnière italienne qui rappelle les conditions injustes que ces derniers subissaient, la lutte des antinucléaires ou des hippies, celle des femmes pour le droit de vote ou la pilule.
Le scénario d’Eric Burnand ne se veut pas trop compliqué, ni trop engagé, mais on sent quand même sa sympathie pour les mouvements progressistes au fil de son récit presque trop gentil. Les dessins de Fanny Vaucher y répondent tout en douceur et en tons pâles, accentuant encore ce côté presque naïf. Mais le résultat convaincra les amateurs.
David Moginier, 24heures, 26 novembre 2019
Emma ou l’histoire suisse du XXe siècle en BD
Un roman graphique de Fanny Vaucher et Eric Burnand rend plus proche et accessible les grands événements du passé récent de notre petit pays.
Non, la Suisse n’est pas une île. Au XXe siècle, elle a vécu des conflits sociaux, des crises politiques et des scandales qui situent très exactement ce pays au milieu d’une Europe explosive. Pour évoquer cette saga helvétique, une bande dessinée se focalise sur le destin de quatre personnages fictifs : Le siècle d’Emma met en scène de gens qui nous sont tout à la fois proches et qui s’apparentent à des figures historiques. La trajectoire de ces personnages, croise celle de nos familles. Leur histoire, leurs amours, leurs fourvoiements, leurs engagements composent le tableau d’une Suisse moins lisse qu’on a tendance à la croire. Emma, et sa famille nous plongent dans les espoirs et les désillusions d’un siècle au fond impitoyable et dont personne ne sort indemne. Le scénario d’Eric Burnand, qui fut journaliste à L’Hebdo et à la RTS, est un modèle du genre « roman graphique ». Le dessin, plein d’esprit et évocateur, est signé Fanny Vaucher, autrice de bande dessinée et illustratrice indépendante. Un seul regret : dans les phases dramatiques (tir de l’armée sur les grévistes en novembre 1918, par exemple), la ligne graphique et les choix de mise en scène ont tendance à atténuer le tragique des situations. N’en demeure pas moins que cette BD vaut mille livres d’histoire contemporaine. Sa place est autant sur le table du salon que dans les salles de classe.
Nicolas Verdan, Magazine Générations, jeudi 21 novembre 2019
Fanny Vaucher et Eric Burnand sont les invités de Nadine Haltiner dans le 12h30 (RTS, La Première), le 19 novembre 2019 >> écouter l’émission
Reportage sur le marché de la BD en Suisse dans l’émission TTC (Toute taxes comprises) avec les auteur·e·s du Siècle d’Emma, Antipodes et Payot, 18 novembre 2019 >> vers le reportage TV (à 5min26)
Une BD raconte l’histoire suisse au XXe siècle
L’histoire suisse est passionnante. Prenez le seul XXe siècle et vous comprendrez comment un si petit pays à l’échelle du monde a été le théâtre de nombreux événements historiques qui ont résonné dans toute l’Europe et parfois plus loin. Quelle bonne idée de la part de la maison d’édition lausannoise Antipodes d’avoir publié cette BD signée Eric Burnand (pour le récit) et Fanny Vaucher (pour les planches de dessin) sur la vie d’Emma, une jeune femme née à Granges, une petite localité peuplée d’horlogers et située au pied du Jura.
Emma va connaître un parcours de vie mouvementé. Elle voit Marius son fiancé se faire tuer lors des affrontements de la grève générale en 1918. Elle voit ses propres parents relativiser la responsabilité de l’armée dans ce drame sanglant. Emma rêvait de pouvoir voter et de devenir indépendante, elle rêvait de justice sociale mais elle doit en fait affronter une autre source d’adversité, la montée du nazisme en Allemagne et ses répercussions sur la Suisse. Son propre frère Franz, considéré comme agitateur par le milieu zurichois des professionnels de la banque, doit faire des petits boulots pour survivre.
Franz va générer de la colère, au point de trouver les idées antisémites d’Adolf Hitler séduisantes. En Suisse, alors qu’Ernst Nobs, militant d’extrême gauche devenu leader syndical se retrouve à signer la « paix du travail » avec le patronnat, le leader du Front national (mouvement d’extrême droite) Hermann Keller va fonder le mouvement national suisse qui regroupe tous les représentants de la droite ultra en Suisse, mouvement adoubé par le président de la Confédération suisse. Pendant ce temps-là, le Général Henri Guisan, qui avait lutté efficacement contre les manifestants en érigeant un « mur sur lequel la vague bolchévique s’est écrasée en 1918 », va prendre une place originale au plus près du peuple, notamment auprès des appelés à la défense militaire du pays. Emma devient mère, adopte son neveu qui la met en face d’une nouvelle réalité: la difficulté d’être un immigré italien en Suisse… on est en 1956.
Près de vingt an plus tard, le mouvement « peace & love » se répand en parallèle de la contestation féminine et antinucléaire. Enfin, en 1989, c’est-à-dire il y a tout juste trente ans, Emma apprend l’existence d’un fichage de ses concitoyens ayant des opinions trop à gauche. Cette BD historique – et très agréable à lire – devrait plaire à tous les publics, qu’ils soient fans d’histoire ou juste amateurs de bonnes histoires vraies.
L’oeuvre du journaliste et vulgarisateur historique Eric Burnand et de l’illustratrice Fanny Vaucher va droit au coeur et permet de s’identifier à Emma, témoin privilégiée de cette longue et néanmoins sinueuse histoire suisse, petit ilôt pas si neutre, pas si indépendant au regard de la grande Histoire du XXe qui a opposé les alliés aux fascistes, les ultra-conservateurs aux révolutionnaires plus ou moins doux. C’est une BD très précise dans son interprétation des événements qui pourrait très bien compléter les livres d’histoires de nos enfants. A lire et/ou à offrir pour les fêtes.
David Glaser, web éditeur-responsable de notreHistoire.ch, mise en ligne le 19 novembre 2019
Liens audio et video
Éric Burnand en conversation avec Malik Mazbouri, Maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne. Enregistré le 9 mars 2021 à Lausanne.
Écouter l’émission Cliocast #14 La parole aux auteurs sur Infoclio.ch.
Fanny Vaucher, invitée dans le 12h45 de RTS la Première, vendredi 22 mai, parle de son métier d’illustratrice et du Siècle d’Emma >> regarder la séquence
La BD au temps du coronavirus. Fanny Vaucher, dessinatrice et membre de l’Association professionnelle des auteurs.trices de bande dessinée suisses.
Eric Burnand invité sur le plateau de TV5 Monde, le 22 décembre 2019 >> regarder l’émission
Fanny Vaucher et Eric Burnand sont les invités de Christian Ciocca dans l’émission Nectar (Espace 2), le 12 décembre 2019 >> écouter l’émission
Fanny Vaucher et Eric Burnand sont les invités de Nadine Haltiner dans le 12h30 (RTS, La Première), le 19 novembre 2019 >> écouter l’émission
Reportage sur le marché de la BD en Suisse dans l’émission TTC (Toute taxes comprises) avec les auteur·e·s du Siècle d’Emma, Antipodes et Payot, 18 novembre 2019 >> vers le reportage TV (à 5min26)
Prix
Le siècle d’Emma a reçu le Prix suisse de la meilleure BD 2020 !
Ce prix est décerné par Delémont’BD.