La démocratie et ses gènes

Le génie génétique dans l’espace public suisse (1990-2005)

Bovet, Alain,

2013, 159 pages, 18 €, ISBN:978-2-88901-062-2

Comment le génie génétique est-il devenu une question politique importante dans l’espace public suisse? Basé sur un exemple concret, ce livre retrace les principales étapes du processus complexe par lequel la question du génie génétique est devenu un thème politique central en Suisse entre 1990 et 2005. Il questionne également le rapport de la société suisse au risque sanitaire et environnemental, mais aussi à ses scientifiques et à ses entreprises, notamment pharmaceutiques.

Format Imprimé - 23,00 CHF

Description

Comment le génie génétique est-il devenu une question politique importante dans l’espace public suisse?

Confiné à quelques laboratoires privés au cours des années 1980, le génie génétique a fait l’objet d’une attention croissante au cours des années 1990, sous l’impulsion de mouvements critiques qui se sont notamment appuyés sur les outils de la démocratie directe pour faire entendre leurs revendications.

En 1998, les citoyens suisses ont suivi les recom­mandations des autorités politiques et scientifiques, et des entreprises pharmaceutiques, et ont rejeté l’initiative dite pour la protection génétique, qui interdisait différentes applications du génie génétique. En 2005, ils ont en revanche accepté un moratoire de cinq ans sur les cultures d’OGM.

Ce livre retrace ces différentes étapes de la politisation du génie génétique et questionne le rapport de la société suisse au risque sanitaire et environnemental, mais aussi à ses scientifiques et à ses entreprises, notamment pharmaceutiques.

Plus profondément, le cas du génie génétique fait apparaître l’importance, en même temps que les limites, de la démocratie directe.

Table des matières

  • Avant-propos. Quel public politique pour le génie génétique?
  • Le génie génétique est-il politique? Les premières controverses publiques (1992-1995)
  • Préparer le peuple à voter sur le génie génétique (1996-1997)
  • « La votation du siècle? » (De janvier à juin 1998)
  • Le couple Science et Cité à l’épreuve de la controverse: l’affaire du blé de l’EPFL (2001-2004)
  • La démocratie des consommateurs: la campagne sur le moratoire (2003-2005)
  • Conclusion. Gênes dans la démocratie
  • Postface. Vingt-cinq ans de débat public sur le génie génétique: beaucoup de bruit pour rien?

Presse

Dans Gesnerus

Voilà un premier ouvrage qui rend justice au processus qui a vu la génétique et les organismes génétiquement modifiés (OGM) se constituer en problème public en Suisse. Tiré des travaux de doctorat de l’auteur, le texte est entièrement « libéré » des aspects méthodologiques pour faire place à l’essentiel pour le plus grand nombre de lecteurs potentiels, c’est-à-dire à un récit. Il couvre la période qui va du lancement de l’initiative populaire fédérale dite pour la protection génétique en 1992 et son rejet en votation en 1998, à l’acceptation par le peuple et tous les cantons fin 2005 de l’initiative inscrivant un moratoire de 5 ans sur les cultures d’OGM dans la constitution. Il relate fort bien la façon dont les autorités ont cherché à éviter le débat public et n’ont pas opposé de contre-projet à l’initiative pour la protection génétique, et ce afin d’éviter une réglementation spécifique à laquelle elles devront finalement se résoudre. Toutes les figures principales de la politique suisse, personnalités et partis politiques qui ont joué un rôle clé, défilent à la lecture, et nombre des principaux arguments des controverses qui ont profondément marqué l’espace public helvétique sont reproduits en donnant ainsi l’agréable impression de voir ou revoir un film des événements.

Ancré dans une sociologie des médias et de l’espace public, le récit reconstruit la controverse tel que les citoyens et citoyennes ont pu la vivre à travers la presse et les prises de positions des acteurs politiques. Ce livre réalise ainsi une tâche essentielle en apportant une pierre à la documentation du cas suisse. Celui-ci présente en effet un grand intérêt en comparaison européenne et internationale en raison du rôle de la démocratie semi-directe. Malheureusement, à ce jour, le cas suisse ne fait pas l’objet de suffisamment de publications de qualité pour permettre sa prise en compte dans la littérature consacrée aux enjeux sociaux des sciences et techniques.

Quelques considérations critiques permettent également de cerner le rôle que remplit cette publication. Il s’agit d’un récit des événements tels qu’ils ont été produits et représentés dans l’espace médiatique, à l’opposé d’une analyse de controverse partant des acteurs et des parties prenantes par exemple. L’une des conséquences de cette approche est de faire apparaître « les scientifiques » comme une catégorie d’un seul bloc homogène, ce qui est loin d’être le cas. Certes, la mobilisation des blouses blanches contre les interdictions proposées par l’initiative pour la protection génétique a pu donner cette impression, mais cela n’est plus du tout le cas lors de la votation sur le moratoire. Or, il nous paraît essentiel de montrer enfin que les sciences sont traversées d’opinions comme le reste de la société et que « les scientifiques » divergent lorsqu’il s’agit d’interpréter les expertises, les incertitudes ou de l’opportunité de certaines recherches.

L’ouvrage traite aussi de la controverse qui a porté sur les « essais en plein champ » avec des OGM, en ne retenant que le cas des disséminations expérimentales voulues par l’ETH de Zürich dans le cadre de projets financées par le Fonds national de recherche scientifique (FNS). Refusées dans un premier temps par l’Office fédéral de l’environnement en 2000, ces expériences ont finalement pu prendre place derrière un lourd dispositif de sécurité à Lindau (ZH) dès 2004 après toute une controverse qui sera utilisée pour couper dans les dépenses de l’Office et pousser son directeur vers la sortie. Cette affaire a accompagné le processus législatif qui a abouti à l’adoption de la Loi sur le génie génétique (LGG) et son entrée en vigueur la même année. L’auteur n’en parle pratiquement pas et ne relève pas, étonnamment, que celle-ci n’a pas fait l’objet d’un référendum.

Le récit est aussi empreint d’une interprétation des événements par l’auteur, mais il laisse au lecteur la possibilité de nourrir sa réflexion et d’en tirer ses propres conclusions. Par exemple, Alain Bovet qualifie le résultat de la votation de 1998 de défaite « sévère », alors que les 35% de suffrages obtenus par l’initiative – dont l’auteur rappelle comment les autorités et les milieux proches de l’industrie pharmaceutique l’ont fait apparaître comme entreprise fondamentaliste et dangereuse – sont généralement interprétés à l’inverse comme un score honorable et une forme d’avertissement du corps électoral aux autorités.

Le parti pris de publier un ouvrage court et accessible comporte aussi quelques limites, comme par exemple l’absence complète de prise en compte des controverses en Europe et ailleurs dans le monde qui ont influencé le débat public en Suisse. En revanche, le texte montre fort bien comment les élites politiques et scientifiques ont interprété les doutes du public comme « une peur » due à un déficit de connaissances, et comment elles ont été pratiquement incapables de dépasser le modèle cherchant à « éduquer le public » pour rétablir une confiance soit disant perdue dans la science et le progrès.

Marc Audétat, Gesnerus, 71/2014, pp. 143-144

Dans la revue en ligne Lectures / Liens Socio

Les techniques de transformation génétique du vivant font l’objet de polémiques publiques depuis déjà plusieurs années. Les batailles visant à faire reconnaître la portée publique et politique de leurs produits, comme les organismes génétiquement modifiés (OGM), ont parfois été houleuses. Toutefois, peu d’États se sont résolus jusqu’ici à adopter des mesures législatives coercitives. Environ deux décennies après l’amorce des controverses – et même si elles existent toujours, encore que moins bruyantes sur la place publique1 –, un état des lieux s’annonce comme un exercice salutaire: qu’en est-il finalement de la politisation du génie génétique?

C’est ce qu’examine le sociologue Alain Bovet, en se centrant sur le cas suisse. Un choix intéressant dans la mesure où cet État a été le premier à entamer une procédure visant à inscrire la régulation des biotechnologies dans sa Constitution même, et qu’il dispose d’instruments politiques associés à la démocratie directe, comme « l’initiative populaire »2. Ainsi, en ce pays reconnu pour sa vigueur démocratique, quels rapports entre science, technique et espace public ont-ils pu se développer? Le constat est peu reluisant.

Issu de la thèse de doctorat de Bovet, l’ouvrage révèle en détail les détours sinueux de la mise en politique des biotechnologies. L’auteur propose de comprendre comment et pourquoi une technologie biologique acquiert une portée publique et devient un problème public. Pour ce faire, il entreprend une analyse du discours des quotidiens suisses parus entre 1990 et 2005. Théoriquement, il s’appuie sur la pensée du philosophe politique John Dewey afin de décrire la « diversité de routes » que le mouvement de politisation des biotechnologies a empruntée pour faire face à la résistance rencontrée. Il en vient ainsi à « dresser un bilan critique de l’entrée du génie génétique en démocratie » (p.141).

Le lecteur suit, à travers l’ouvrage, l’organisation des initiatives populaires à l’origine des deux votes nationaux sur les biotechnologies (en 1998 et en 2005) et la campagne de pré-votation. Ainsi, au début des années 1990, un comité d’organisations civiles insatisfaites de la régulation des biotechnologies – qu’elles jugent laxiste et morcelée – lance une initiative. Leur projet demande l’interdiction de produire des animaux transgéniques, de breveter et de disséminer des OGM, ainsi que la réglementation de leur utilisation en recherche3. De chaudes polémiques s’engagent sur la place publique, et à la votation, en 1998, deux tiers du peuple rejettent la proposition de l’initiative au profit d’un contre-projet beaucoup moins restrictif. En 2005, un autre vote national a lieu. Les initiants demandent cette fois un moratoire de cinq ans sur l’utilisation des OGM dans l’agriculture suisse. Leur projet emporte le vote dans l’ensemble des cantons au terme d’une campagne « brève et dénuée de passion »4. En regard du résultat du vote de 1998, comment comprendre ce qui a les allures d’une volte-face?

Nous voilà au cœur de la thèse de Bovet: selon lui, une redéfinition fondamentale de l’enjeu et du statut du citoyen s’est opérée entre les deux votations. Le projet de la première initiative problématise le génie génétique à partir de son rapport à la santé publique et à la protection de l’environnement – ce qui implique, indique l’auteur, un questionnement éthique. S’ensuit une polémique publique « bipolaire » autour du statut politique du génie génétique: d’un côté, il y a le front des « partisans des biotechnologies » représenté notamment par les autorités scientifiques et politiques ainsi que les acteurs économiques, et de l’autre, le camp des « opposants aux biotechnologies » formé par des politiciens de gauche, des groupes écologistes, des collectifs de consommateurs et des agriculteurs. Pour les premiers, les biotechnologies sont un moteur de richesse à la fois économique et scientifique, et il ne serait pas nécessaire de recourir à des consultations ou à des débats citoyens. Ces technologies requièrent, à leurs yeux, une régulation minimale pouvant relever de lois déjà existantes (sur l’environnement, les denrées alimentaires, les brevets). Pour les seconds, les biotechnologies constituent un objet éminemment public, dont la régulation devrait passer par une délibération démocratique.

Le projet de moratoire proposé par la seconde initiative traduit, suivant l’analyse de l’auteur, les enjeux liés aux biotechnologies en des questions d’ordre commercial. Désormais, le public se prononce et est entendu en tant qu’une « collection de consommateurs qui refusent de manger des aliments génétiquement modifiés » (p.117). La scène publique se reconfigure en conséquence, car le camp des partisans du génie génétique n’a plus affaire à des « fondamentalistes de la nature », mais à la volonté des consommateurs. Opposants et partisans se trouvent enfin un dénominateur commun: la régulation des OGM, c’est au marché de s’en charger. Leur différend relève désormais de deux modalités de régulation de l’offre alimentaire: libre marché ou marché des consommateurs. Aussi, soutient Bovet, le sujet qui vote en 2005 est davantage un acteur vital à la bonne santé du marché qu’un sujet politique engagé dans une délibération collective libre, dans la mesure où il délègue aux affaires commerciales le pouvoir de régulation de ces nouvelles technologies. L’auteur en vient ainsi à sa conclusion: la politisation des biotechnologies en Suisse a été accompagnée d’un processus de dépolitisation, et l’heure est à « la démocratie des consommateurs »5.

Que penser de l’analyse de Bovet? Il faut dire en partant que les assises de sa thèse sont plutôt descriptives qu’argumentatives. Il fait preuve, à cet égard, d’une objectivité remarquable dans le traitement des évènements autour d’un objet qui soulève les passions. On peut toutefois regretter que les conditions sociales, politiques ou autres dans lesquelles prend forme la « démocratie des consommateurs » n’aient pas été discutées. De même, les raisons ayant motivé les initiants, lors de la seconde campagne, à valoriser l’argumentaire des associations de consommateurs demeurent floues: l’auteur suggère à la fois une stratégie d’action (les initiants auraient tiré des leçons de l’échec de l’initiative de 1998 et opté pour un projet moins restrictif) et un nouveau paysage culturel, sans s’attaquer directement à la question.

Il est difficile de passer sous silence, d’ailleurs, le fait que Bovet a visiblement été contraint par une limitation stricte du volume de son texte car, choix plus que douteux, la bibliographie complète n’est disponible qu’en ligne. Il demeure qu’il a privilégié la description – trop fouillée, rendant certains chapitres plutôt arides – au détriment d’un approfondissement de ses choix théoriques. Le lecteur reste alors sur sa faim en ce qui concerne les fondements de la démarche de l’auteur, notamment sa conception du rôle des médias dans la politisation des biotechnologies et dans la polarisation de la controverse.

L’ouvrage de Bovet réussit malgré tout à offrir un tour d’horizon des obstacles et des écueils socio-politiques auxquels se voient confrontées les tentatives de mise en politique des biotechnologies (comme la confluence d’intérêts entre le secteur industriel et les acteurs scientifiques, et la tendance de ceux-ci à esquiver la confrontation argumentative par leur prétendue autorité épistémique6). Surtout, il permet de saisir que même des outils relevant de la démocratie directe ne peuvent être les garants d’un véritable dialogue social. Quant aux controverses entourant le génie génétique, elles semblent en fin de compte constituer un objet particulièrement fécond pour révéler au grand jour les limites des efforts intellectuels et citoyens pour la « mise en démocratie des sciences » tant souhaitée.

Daphne Esquivel-Sada, Lectures, Les comptes rendus, mis en ligne le 24 janvier 2014, http://lectures.revues.org/13354

Notes
1. Les efforts pour amorcer le dialogue sont devenus protéiformes: outre des associations civiles, certains artistes s’y attèlent, comme cette compagnie québécoise de théâtre engagé (http://porteparole.org) qui a non seulement créé une pièce portant sur les enjeux des OGM, mais a aussi organisé un évènement (à la fin de 2013) dans le but de promouvoir le dialogue entre les critiques et les partisans des OGM (Mind the Gap: Bridging the GMO Divide).
2. Il s’agit selon l’auteur d’un instrument politique permettant de modifier la Constitution de l’État. Un comité de citoyens doit récolter, dans un délai de 18 mois, cent mille signatures appuyant le projet proposé. Celui-ci est alors reçu par le Parlement, et sa légalité est vérifiée avant d’être soumis à un vote national. De leur côté, le Parlement et l’instance exécutive nationale prennent position et font leur recommandation publique quant au vote à venir. Ils peuvent aussi présenter un contre-projet: s’il est estimé satisfaisant par les initiants, ceux-ci retirent le leur; s’ils l’estiment insatisfaisant, ce sera au peuple de décider lequel des deux projets devra être retenu.
3. Le lecteur ne connaîtra pas les libellés exacts des questions soumises aux votations de 1998 et de 2005.
4. Outil démocratique à l’œuvre depuis la fin du XIXe siècle, c’est la deuxième initiative qui emporte le vote dans l’ensemble des cantons, et la première qui va à l’encontre des recommandations des autorités fédérales.
5. Quant au moratoire voté en 2005, il a été reconduit jusqu’en 2017. L’État a décidé de revenir à partir de 2018 à la position fédéraliste, qui laisse le choix de régulation à la discrétion de chaque canton, pourvu qu’il ne soit pas question d’interdiction ni de moratoire. Le statu quo qui avait motivé la première initiative est rétabli.
6. Bernadette Bensaude-Vincent, L’opinion publique et la science. À chacun son ignorance, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines et sociales », 2013 [1999]. Compte rendu de Mael Dieudonné pour Lectures: http://lectures.revues.org/12348.

Génie génétique et politique

Entretien・En vingt-cinq ans, les OGM se sont invités sous la Coupole fédérale. Le sociologue Alain Bovet retrace comment le thème est devenu l’objet de toutes les passions

La Suisse devrait-elle mettre fin au moratoire sur la culture d’OGM (organisme génétiquement modifié)? En janvier, le Conseil fédéral a proposé d’autoriser dès 2018 les cultures génétiquement modifiées, sous certaines conditions. Sa proposition suscite de fortes oppositions chez les paysans et à gauche. Quant aux scientifiques, ils se sentent incompris. Ces positions ont un goût de déjà-vu. Un ouvrage décortique justement le débat sur le génie génétique en Suisse depuis les années nonante. Alain Bovet, sociologue et aujourd’hui chercheur au Centre d’étude des mouvements sociaux, en France, porte un regard rétrospectif qui éclaire aussi le présent. Interview.

Comment une technologie comme le génie génétique est-elle devenue une question politique?

En général, les technologies commencent à susciter des débats politiques quand le public prend conscience qu’elles peuvent receler certains risques. Pour le génie génétique, cette évolution s’est faite progressivement, dans le contexte de l’affaire de la vache folle (ndlr: le risque de sa transmission à l’homme a été révélé en 1996) et de l’annonce de la naissance, en février 1997, de la brebis Dolly, premier mammifère cloné. Cela a instauré une méfiance à l’égard des autorités sanitaires et scientifiques. En Suisse, des premières discussions et un vote ont eu lieu en 1992. Mais le vrai débat n’a démarré qu’en 1996, avec la campagne sur l’initiative pour la protection génétique (lire son contenu ci-dessous). Les partisans des OGM ont réalisé que cette proposition pourrait l’emporter: ils sont montés au front et la campagne a été longue et passionnée.

Selon vous, le Conseil fédéral a aussi tenté d’éviter le débat.

Dès le début des années nonante, les opposants au génie génétique ont essayé d’en faire une question politique. Mais, jusqu’au milieu de la décennie, ils se sont heurtés à la résistance du Conseil fédéral qui, à plusieurs reprises, a réglé ces questions par voie d’ordonnances. Dans ces conditions, le parlement n’était pas mis à contribution. Par la suite, le gouvernement s’est opposé jusqu’en 2001 à l’idée que la Suisse se dote d’une loi unique et spécifique sur le génie génétique. Finalement, c’est le législatif qui l’a contraint à agir. Dans ce dossier, le gouvernement s’aligne sur les intérêts de l’économie et défend l’idée d’une ouverture contrôlée. On l’a vu encore récemment, puisqu’il a proposé de lever le moratoire sur les OGM.

En 1998, deux tiers des Suisses ont refusé de serrer la vis. En 2005, ils ont accepté à 55% un moratoire sur les OGM. Comment expliquer ce revirement?

En 1998, les médias ont présenté une vision tranchée des fronts. Les opposants aux OGM étaient des activistes, voire des extrémistes, leurs partisans, des scientifiques, des politiciens responsables, des entrepreneurs… Les initiants se sont concentrés sur les questions de santé publique, d’éthique et d’environnement. En face, les partisans des OGM ont défendu la place de la recherche et de l’industrie en Suisse. Les intérêts des entreprises ont été présentés comme l’intérêt national – un phénomène qui s’est par exemple répété dans notre politique à l’égard des banques. Enfin, beaucoup d’argent a été investi dans cette campagne, notamment par les industries pharmaceutiques et chimiques.
En 2005, les initiants ont tiré les leçons de la défaite de 1998. Le peuple a été appelé à se prononcer sur un moratoire de cinq ans, qui concernait uniquement la production d’OGM en Suisse – la recherche n’était pas touchée. Et les initiants ont insisté sur le fait que les consommateurs ne voulaient pas des OGM, et qu’il fallait répondre à leurs attentes. Quant aux opposants du secteur privé, ils se sont moins investis – sûrement parce qu’ils sentaient que la partie était loin d’être gagnée.

L’opinion publique avait-elle changé?

Les initiants ont surtout présenté la question différemment. De façon générale, le génie génétique est bien accepté dans le domaine médical car il permet de développer des vaccins ou des traitements. Mais son utilisation dans l’alimentation suscite beaucoup plus la controverse.

Le vote de 2005 est symbolique: pour la première lois, tous les cantons ont soutenu une initiative, contre l’avis du gouvermement.

On peut y voir le triomphe de la démocratie directe helvétique. Mais j’arrive à une conclusion plus critique, car il a fallu transformer le citoyen en consommateur pour qu’il prenne le pouvoir. Durant la campagne qui a précédé le vote en 2005, on a pratiquement remplacé les débats contradictoires par des études de marché!

Un programme de recherche a encore conclu l’an dernier que les OGM ne présentent pas de risque pour l’environnement et la santé. Les scientifiques ne sont pas entendus?

Leur position est compliquée. En 1998, ils ont fortement défendu le génie génétique et se sont retrouvés en alliés des grandes entreprises. Cela les a décrédibilisés aux yeux du public. De surcroît, ils ont souvent adopté une posture explicative, un peu paternaliste, qui n’était pas propice au débat contradictoire. Les scientifiques opposés aux OGM existent mais ils n’osent pas toujours sortir du bois et, dans ces conditions, il n’y a pas de débat contradictoire entre eux.

Le Conseil fédéral propose de lever le moratoire sur les OGM. L’histoire se répète?

Le gouvernement continue de défendre une position favorable au génie génétique. De façon générale, le débat a beaucoup évolué ces dernières années, mais je n’ai pas le sentiment que les positions ont changé. Les scientifiques n’ont pas réussi à reconquérir le terrain public. Et je doute que l’opinion publique soit aujourd’hui favorable à la levée d’un moratoire. La procédure de consultation qui a suivi la proposition du Conseil fédéral a montré de fortes oppositions. Les critiques portent aussi sur la proposition d’envisager des régions avec et sans OGM. On reviendrait ainsi à la solution fédéraliste qui prévalait initialement, comme si vingt-cinq ans de débat n’avaient servi à rien.


Près de trente années de discussions

• Premiers pas En 1986, l’initiative Beobachter, du nom du journal qui l’a lancée, veut prévenir les abus de la médecine de reproduction. Le Conseil fédéral lui oppose un contre-projet, et ajoute la question du génie génétique. Les initiants retirent leur texte et la modification de la Constitution est acceptée le 17 mai 1992 à 73,8% des votants. L’article reste toutefois vague sur la question du génie génétique.                                                                                                       Initiative pour la protection génétique Suite au vote de 1992, les opposants aux OGM lancent une initiative demandant l’interdiction de la dissémination d’OGM, de la production d’animaux génétiquement modifiés et du brevetage des produits du génie génétique. Après une campagne intense, le peuple dit non à 66,7% le 7 juin 1998.
Genlex C’est le nom donné au contre-projet indirect à l’initiative pour la protection génétique. Celui-ci provient d’une motion que l’on doit à Johannes Randegger, alors conseiller national (PLR/BS) et cadre de Novartis. Il définit la politique d’autorisation contrôlée dans le domaine du génie génétique non humain, qui sera prônée par le Conseil fédéral et une majorité du parlement.
Loi sur le génie génétique Initialement, le Conseil fédéral prévoit de modifier des lois existantes. Mais en 2001 les Chambres décident d’élaborer une législation sur le génie génétique, qui sera adoptée en mars 2003. Elle autorise les cultures d’OGM mais impose des mesures pour garantir l’impossibilité de pollinisation croisée. L’idée d’instaurer un moratoire n’est pas retenue.
Stop aux OGM Des parlementaires socialistes et écologistes et des représentants des milieux agricoles lancent dans la foulée une initiative pour demander un moratoire de cinq ans sur l’usage des OGM dans l’agriculture. Cette fois, la campagne est brève et plus sereine. Le 27 novembre 2005, 55% des votants et tous les cantons disent oui.
La fin du moratoire? En 2012, les Chambres décident de reconduire le moratoire jusqu’en 2017. Mais, en janvier 2013, le Conseil fédéral propose d’autoriser dès 2018 la culture d’OGM en Suisse. Il s’appuie sur un programme de recherche national qui n’a identifié aucun risque significatif pour la santé et l’environnement. Les milieux économiques et scientifiques sont favorables, les Verts menacent de lancer un référendum.

Caroline Zuercher, 24 Heures, 30 mai 2013