Je suis grosse
Marina.K,
2020, 64 pages, 18€, ISBN:978-2-88901-165-0
Dans ce court roman graphique, l’auteure évoque sa vie de jeune femme, les difficultés et les frustrations inhérentes au fait qu’elle se sent grosse. Avec beaucoup d’humour, d’auto-dérision et de second degré, Marina.K met en scène différentes anecdotes vécues, avec un style naïf et un propos assez direct, comme pour briser ce tabou qui la suit depuis son plus jeune âge: « Oui, je suis grosse, et je suis au courant. ».
Description
Ce récit drôle et percutant est marqué par le second degré pour parler librement du surpoids et d’un quotidien pouvant être très difficile à vivre pour les personnes touchées par la grossophobie.
Et comment elle peut devenir une souffrance face au regard des autres, dans une société qui tend vers l’uniformisation.
Planche(s)
Presse
Avis de lecture sur la plateforme pour le livre jeunesse, Ricochet
Entre les habits toujours trop petits, les régimes sans sucre, les médecins inhumains et la copine qui offre une balance…, la vie de Marina ressemble à un champ de bataille. C’est avec son corps que la jeune femme livre une guerre sans merci pour arriver à un poids autorisé à ses yeux, ou plutôt idéal au regard de notre société normée. L’origine de ses kilos en trop ? Haute comme trois pommes, Marina a vu son père mourir d’un cancer. La nourriture devient alors un refuge et un cercle vicieux, dont aujourd’hui encore elle reste prisonnière. Dans ce roman graphique, la jeune auteure use de l’autodérision comme arme pour faire face aux difficultés (moqueries, grossisme, condescendance…) auxquelles se heurtent au quotidien les personnes en surpoids. Marina.K signe ici une première bande dessinée en noir et blanc, au trait volontairement naïf. Une réussite !
Avis de lecture d’Emmanuelle Pelot, Ricochet
DU CÔTÉ DE CHEZ ZEP
Du côté de l’Helvétie, la maison d’édition Antipodes vient de sortir deux livres qui ont attiré notre attention. Avec Je suis grosse, la dessinatrice Marina K. revient avec énormément d’humour sur sa vie de femme et toutes les frustrations qui vont avec. À lire avec attention tant le contenu vaut le coup d’œil. Dans un autre registre, moins léger, Marion Canevascini raconte dans Notre frère l’arrivée de la maladie dans une famille où les deux petites sœurs cherchent à comprendre ce qui ne va pas chez le grand frère atteint d’un mal au nom tellement compliqué qu’elles n’arrivent pas à le retenir. Livres brochés en noir et blanc, ces deux histoires sont étonnantes.
Géant vert, page Actualités du dBD Magazine #144, juillet 2020
Lignes courbes
Marina K. entre dans le vif du sujet par une première phrase lapidaire: «Je suis grosse.»
Il ne faut pas compter sur son crayon pour la démentir, bien au contraire: entre son autoportrait et la réalité, elle l’affirme, il faut compter double. Et de conclure cette première page sur un laconique: «Je le vis mal.» Niveau estime de soi, on le comprend vite, il faudra repasser. A quel stade de désespérance doit-on en arriver pour se dessiner en poire ou en rôti ficelé, pour parler de son corps comme d’une chose ou d’un gros tas? Entre le constat d’un «je me dégoûte » et l’aveu d’une jalousie à l’encontre de celles et ceux qui l’entourent, Marina K. le prouve à chaque page, son surpoids lui mange la tête.
Le trait naïf, presque enfantin, pondère le propos sarcastique. La dessinatrice s’autorise quelques touches d’un humour bienvenu, pinçant où ça fait mal et offrant au lecteur une distanciation, certes moqueuse, mais complice. Car Marina K. essaie d’ajouter une pointe de légèreté à l’enfer qui est le sien. On sourit des looks de son adolescence, on s’amuse de ses régimes avant de compatir pour ses rechutes, on comprend ses contradictions, et on imagine sans peine une vie où tout agresse, de la banale séance de shopping aux trop classiques réflexions assassines. La moue mi boudeuse mi fataliste de son avatar n’invite pas à la pitié, et ce n’était certainement pas l’objectif.
AMANDINE GLÉVAREC, Le Mag, Le Courrier, Vendredi 18 septembre 2020
UNE VIE DE GROSSE
Sorti aux éditions Antipodes, Je suis grosse est un court roman graphique en noir et blanc dans lequel l’auteure et dessinatrice Marina. K raconte sa vie et les expériences qu’elle a vécues en tant que femme grosse. A travers ses illustrations, elle montre les difficultés et frustrations qu’on peut vivre et ressentir avec un corps enrobé qui grossit dès l’enfance dans cette société. Ces dessins sont emprunts d’humour, de second degré et d’une bonne dose d’autodérision. Elle parle volontiers des pantalons qui ne se ferment pas, du dégoût qu’elle ressent envers ce corps gros dans lequel elle se sent enfermée, mais aussi du regard des autres, des moqueries, des nombreux passages par les régimes, de son rapport au sport et à la nourriture. Elle rend aussi très explicite la grossophobie du milieu médical illustré dans un échange avec un médecin: «J’ai mal aux oreilles, je pense avoir une otite.» «Sûrement à cause de votre poids.» «Mes yeux n’arrêtent pas de couler.» «C’est votre poids.» «J’ai…» «Votre poids.» Percutant et authentique, Je suis grosse est un témoignage précieux qui illustre avec finesse et esprit ce que signifie être grosse.
Selver Kabacalman, Le Courrier, 23.08.20
Avec Yes2Bodies, la Bernoise Melanie Dellenbach espère sensibiliser davantage sur la grossophobie
«On n’est pas qu’un corps gros»
Grossophobie X Insultes, regards désapprobateurs, re-marques désobligeantes et jugements de valeur, ces attitudes et comportements qui stigmatisent et discriminent les personnes en surcharge pondérale forment ce que l’on appelle la grossophobie. Disqualification à l’emploi, mauvais traitement de la part d’un médecin ou ostracisation par la société, les conséquences pour les per-sonnes qui en souffrent peuvent être très graves. De nombreux témoignages repris par la presse en ont déjà fait l’écho. Malgré cela, la grossophobie reste relativement taboue en Suisse. Militant pour le «body respect», la «fat activist» bernoise Melanie Dellenbach veut contrer ce phénomène en créant sa propre association. Interview.
En quoi consiste votre initiative?
Melanie Dellenbach: L’objectif de Yes2Bodies est de sensibiliser aux stigmatisations et discriminations liées aux poids et de créer une nouvelle culture autour du respect du corps en Suisse. L’association n’est pas encore tout à fait prête. Avec l’arrivée du Covid-19, j’ai pris un peu de retard. Mais elle sera basée à Berne où une petite communauté est déjà très active. L’un des objectifs de Yes2Bodies sera de créer une journée annuelle dédiée au respect du corps ainsi que d’alimenter régulièrement un site internet pour informer mais aussi visibiliser les personnes grosses, car elles ne sont pas représentées dans les médias. Le but sera aussi de lutter pour les droits fonda-mentaux de ces personnes. Enfin, de créer un changement de paradigme, passer d’une vision normative du poids à une vision plus inclusive.
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous investir dans cette démarche?
Je suis une femme grosse et je l’ai été tout au long de ma vie d’adulte. C’est l’une des raisons principales. Je me définis comme grosse et non pas en surpoids ou obèse, ce sont deux termes que je refuse d’utiliser. Aussi, j’ai tenu pendant quatre ans un blog de mode grande taille. Activité que j’ai cessée car je suis devenue mère. J’ai passé un an aux Etats-Unis et j’y ai découvert l’approche HAES (Health at every size), qui encourage les soins inclusifs et respectueux quelle que soit la taille des per-sonnes. Là-bas, je me suis aussi intéressée au mouvement social du «fat activism» (activisme des gros, ndlr). En Suisse, malgré les années qui passent, je m’aperçois que rien ne se met en place. La grossophobie est pourtant aussi présente et l’avenir m’effraie. J’ai une fille de 7 ans et je souhaiterais qu’elle grandisse dans un monde où elle se sent respectée et en sécurité.
Comment se manifeste la grossophobie?
Elle se manifeste sous diverses formes. Mais elle est partout. Cela va des micro-agressions, comme des remarques dans es transports, à des agressions plus frontales. Elle est malheureusement normalisée. Il n’y a pas beaucoup de conscientisation autour de cela. En revanche, nous savons beaucoup de choses et nous devons transmettre ces connaissances. Nous savons que les enfants ou les jeunes adultes gros sont très susceptibles d’être harcelés en raison de leur charge pondérale. Nous savons aussi que les enseignants ont moins d’attentes vis-à-vis des enfants gros et leur donnent de moins bonnes notes pour le même résultat qu’aurait accompli un enfant mince. Les nombreux témoignages des personnes concernées nous montrent aussi que le corps médical ne prend pas correcte-ment en charge les personnes grosses. Trop souvent, elles ont peur d’aller chez le médecin ou annulent leurs rendez-vous pour éviter les phrases du type «perdez d’abord du poids» ou «oui tout va bien, mais il faudrait quand même vraiment perdre des kilos». De nombreuses personnes ont un passif avec des régimes amaigrissants qui ont souvent échoué et les remarques de ce type ne sont d’aucune utilité. C’est même plus nocif qu’autre chose. Sur le plan médical, je suis privilégiée car je suis infirmière et quand je vais chez le médecin, je mets en avant mes compétences professionnelles et je dis clairement que je travaille sur les questions de discriminations. Je pense que cela m’aide à recevoir les traitements appropriés. D’autres secteurs de la vie sont touchés. L’emploi, mais aussi la mode. Il est difficile de se vêtir quand on est gros. Il n’y a quasi pas de vêtement pour les personnes rondes. A Berne, par exemple, il y a très peu de magasin grande taille. Même les grandes chaînes comme H&M suppriment les sections grandes tailles de leurs rayons ou ne les mettent en tout cas pas dans des magasins situés en plein centre-ville.
Que faudrait-il faire pour que la situation change?
Il faut sensibiliser, informer, mais aussi montrer la diversité des corps et exiger leur respect. Nous devons expliquer que mal-traiter les gros n’est pas quelque chose d’acceptable. En tant que société, nous devons lutter contre toute forme de discrimination, car tant que nous met-tons une partie de la société à l’écart, nous n’allons nulle part. Nous ne pouvons pas progresser. Nous devons être claire sur le fait qu’aucune discrimination envers les personnes grosses n’a sa place dans nos écoles, nos hôpitaux, nos lieux de travail. Nous devons expliquer que les personnes grosses ne se résument pas qu’à leur corps enveloppé. Nous sommes gros, certes, mais nous ne sommes pas que cela. Ensuite, il faut aussi comprendre que la santé est un sujet complexe. Qu’elle a aussi beaucoup à voir avec le fait d’être traité avec respect et dignité. Nous avons tous le droit de recevoir des soins médicaux adaptés. Nous avons tous, en tant que société, une responsabilité à prendre soin les uns des autres et de se traiter mutuelle-ment avec respect.
Mais la situation n’est-elle pas meilleure aujourd’hui qu’il y a dix ans? Il y a tout de même des mouvements de «bodypositivity» par exemple. Les activistes sont de plus en plus nombreux, notamment sur les réseaux sociaux.
Pas nécessairement. Ces mouvements sont très petits et axent davantage sur la beauté d’un corps gros que sur le respect de nos droits fondamentaux. Cet aspect est encore trop mis de côté.
Avec le Covid-19, avez-vous observé une différence?
Je trouve que la grossophobie s’est même aggravée. En pleine pandémie, Boris Johnson lance un plan pour faire maigrir les Britanniques, pour leur santé, mais aussi pour éviter les risques de complications avec le Covid-19 parce que selon le gouvernement, les personnes en surpoids ou obèses auraient plus de chance de développer une forme sévère de la maladie. Ils espèrent ainsi réduire le risque d’issues terribles. Mal-heureusement, cette campagne blâme les personnes grosses et conduit à une plus grande stigmatisation autour du poids. Il n’y a pas de consensus ni assez de preuves scientifiques pour étayer leur affirmation. En Suisse aussi, c’est un pro-blème. Du jour au lendemain, l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) a décrété que l’obésité (IMC>40) était un facteur de risque, sans donner de véritables explications alors qu’ils ont pris le temps de le faire avec les femmes enceintes. Je ne suis pas d’accord avec le fait que l’OFSP inclut les personnes grosses dans la catégorie à risque. Il n’y a pas suffisamment de preuves. En revanche, il y a clairement un risque d’une plus grande stigmatisation et davantage de discrimination envers les personnes grosses, notamment sur les lieux de travail. Et cela peut avoir un impact à long terme.
Cette stigmatisation est un réel danger. Je trouve dangereux de faire ça car certaines études, notamment une sur le virus influenza A H1N1*, a montré que les personnes grosses mourraient plus souvent de ce virus car elles recevaient un traitement plus tardivement que les autres et non pas parce qu’elles étaient grosses.
Site internet de l’association:
www.yes2bodies.ch/ Etude citée: Sun, Ying et al., «Weight and prognosis for influenza A(H1N1)pdm09 infection during the pandemic period between 2009 and 2011: a systematic review of observational studies with meta-analysis», Infectious diseases (Lon-don, England), vol. 48,11-12 (2016): 813-22. doi:10.1080/23744235.2016 .1201721
Melanie Dellenbach, Propos recueillis par Selver Kabacalman, Le Courrier, 23.08.20
Avis de lecture sur le site de Ricochet
Entre les habits toujours trop petits, les régimes sans sucre, les médecins inhumains et la copine qui offre une balance…, la vie de Marina ressemble à un champ de bataille. C’est avec son corps que la jeune femme livre une guerre sans merci pour arriver à un poids autorisé à ses yeux, ou plutôt idéal au regard de notre société normée. L’origine de ses kilos en trop ? Haute comme trois pommes, Marina a vu son père mourir d’un cancer. La nourriture devient alors un refuge et un cercle vicieux, dont aujourd’hui encore elle reste prisonnière. Dans ce roman graphique, la jeune auteure use de l’autodérision comme arme pour faire face aux difficultés (moqueries, grossisme, condescendance…) auxquelles se heurtent au quotidien les personnes en surpoids. Marina.K signe ici une première bande dessinée en noir et blanc, au trait volontairement naïf. Une réussite !
Emmanuelle Pelot, Ricochet, 26.08.20
Confession XXL
Marina. K (pour König) signe une première bande dessinée autobiographique choc. Son titre: «Je suis grosse». Dans ce journal intime, cette jeune Fribourgeoise raconte avec humour et sans détour son existence contrariée de nana en surpoids.
Un visage tout rond, au regard triste, qui déborde de la page. C’est l’image de couverture de la bande dessinée Je suis grosse de Marina. K (König pour l’état civil). En feuilletant ce journal intime en noir et blanc, qui vient de paraître aux éditions lausannoises Antipodes, l’on comprend mieux ce que signifie vivre dans une peau XXL, subir la grossophobie au quotidien, encaisser à longueur de temps propos acerbes et regards désapprobateurs. Guère possible, dans ces conditions, d’accoucher de cette bédé sans douleur. «À la base, c’est un travail de bachelor (à l’époque, elle était étudiante à l’école d’arts visuels Ceruleum à Lausanne, ndlr), je n’imaginais pas qu’il allait être publié, il devait juste me permettre de sortir ce que j’avais au fond de moi. C’était une thérapie en quelque sorte, au cours de laquelle j’ai remué des souvenirs pénibles, des choses de mon passé que je pensais guéries, de vieilles rancoeurs que je croyais oubliées…»
Un choc dans l’enfance
Le regard de cette jeune artiste fribourgeoise de 26 ans se trouble à l’évocation de l’événement qui a fait basculer son existence: le décès de son père, emporté par un cancer. Elle n’était alors âgée que de six printemps. «C’est vraiment à partir de là que j’ai commencé à prendre du poids.» Et à essuyer ses premiers sarcasmes et quolibets. «Les enfants sont cruels, ils n’ont pas de filtre. Les plus grands non plus d’ailleurs.» Cette fillette apprend très vite et à ses dépens qu’il vaut mieux ne pas être en surcharge pondérale dans une société qui met en valeur cuisses de mouche et taille de guêpe. Cela devient carrément insupportable lorsque arrive l’adolescence, période où l’on souffre du «complexe du homard», où l’on se retrouve sans carapace, plus fragile et vulnérable que jamais. «À la puberté, j’ai fait une énorme crise. J’étais exécrable avec tout le monde.» Elle y compris. Pour effacer ses kilos en trop qui l’encombrent et la protègent à la fois, elle enchaîne les régimes. Ceux que conseillent les magazines. «C’était sans doute le pire moment pour essayer ce genre de chose, parce que le corps change et a besoin de beaucoup d’énergie. Et moi, je l’affamais.» La teenager perd du poids, puis en reprend, puis en reperd… C’est l’effet yoyo connu de toute personne ayant testé pareils programmes minceur. «Je me dégoûte», «Ce corps est une prison», «J’étouffe». En trois illustrations pleine page, Marina plante le décor. «C’est ce que je ressentais.» Elle ne supportait pas de se voir en photo, ni même de croiser son propre reflet dans une vitrine. Dans son roman graphique, elle use d’humour pour ne pas sombrer dans le mélo. «Ça ne m’aurait pas correspondu. Mais il ne fallait pas non plus que ça soit Mickey, car ce que j’ai traversé n’a été ni drôle ni facile à vivre.»
Lâcher prise
Avec le recul, elle arrive à en sourire. Il faut dire que cette conceptrice en multimédia a fait du chemin depuis la fin de ses études. Elle est à la tête, avec une amie, de sa propre agence de communication, Grafiikka à Chiètres, et a enfin réussi à maigrir. «J’ai lâché prise et perdu 16 kilos.» Le résultat d’un processus entamé avec son récit autobiographique, qu’elle muscle désormais en s’adonnant intensivement au crossfit, une discipline mêlant exercices de cardio, gym et haltérophilie.
«Ce sport est devenu une passion. J’y ai trouvé une famille, des armoires à glace au grand coeur qui m’encouragent et me soutiennent sans me juger. » Cette expérience a boosté sa confiance et son estime d’elle. Cette jeune femme se sent à nouveau capable de prendre soin de ce corps si longtemps rejeté, maltraité. Mieux, elle arrive à l’assumer. «Je m’entraîne en short. Pour moi, franchir ce pas, c’était énorme, c’était comme me promener nue dans un village.» Elle rit.
Marina envisage même de replonger dans les eaux du lac de Morat cet été, de retourner à la plage en maillot de bain, un truc qu’elle n’a plus fait depuis des années. «Oui, je vais essayer et on verra si ça passe! Au pire, ça me fournira une anecdote à raconter dans ma prochaine bédé…»
Article d’Alain Portner, Migros Magazine n°62, 6.7.20
Une enfance de «gros tas»
Je suis grosse» : le titre de la BD de la graphiste lausannoise Marina.K est sans ambiguïté.
La jeune femme au perpétuel bonnet sur la tête n’a pas soin de calcul d’IC pour le savoir: « Ce n’est pas une question de chiffre. C’est une question de ressenti ». La voilà donc qui raconte son quotidien avec un dessin fausse-ment simpliste et terriblement efficace. Comment gérer une enfance de «gros tas»? On reproche aux gros de ne pas faire assez d’exercice ? Marina pratique poutant le bock y et le crossfit mais cela ne change rien. Entre les amies qui offrent une balance et les autres des leçons, la jeune femme voit arriver l’été et les maillots de bain avec anxiété. «Lorsqu’on est gros, on pense forcément de manière égocentrique. Par exemple, on persuadé que dans la rue tout monde nous regarde.»
David Moginier, 24 Heures, 18 juin 2020
Je suis grosse
En écho à une BD où une jeune dessinatrice romande raconte son surpoids, notre chroniqueuse se souvient des rondeurs de son adolescence et comment elle a minci en changeant de focale.
Je suis grosse. Ce n’est pas moi qui dis ça, c’est Marina K., jeune artiste romande qui titre ainsi son récit. «Je suis grosse et même si j’essaie de le cacher, je le vis mal.» Dans un roman graphique qui vient de paraître aux Editions Antipodes, une maison lausannoise, la jeune femme aligne les misères que lui impose son surpoids. Aucune revendication de « fat acceptance », ce mouvement made in USA qui défend l’image de l’obésité dans la société. Aucune mention militante de la grossophobie, cette discrimination dont sont victimes les personnes enveloppées. L’ouvrage est cash, malin, teinté d’un humour désespéré.
Avec un dessin efficace, Marina K. explique comment elle est devenue «une poire» de plus de 80 kilos pour 1 mètre 69, comment elle a connu les joies des régimes et du yoyo, comment elle subit les moments humiliants du shopping, de la plage ou des photos. Une lueur d’espoir? Le hockey et le crossfit qu’elle pratique avec passion. «Mais même si j’y vais au minimum trois fois par semaine, je ne suis pas foutue de perdre un gramme sur la balance.» «Je me dégoûte», «ce corps est une prison», «j’étouffe». A intervalles réguliers, un dessin pleine page exprime le côté écrasant de son état.
Pourquoi parler de cette BD dans une chronique d’opinion? Parce que cette publication contient sa propre solution. «Récemment, je me suis fait la réflexion que lorsqu’on est gros, on pense forcément de manière égocentrique, observe l’autrice. Par exemple, on est persuadé que dans la rue, tout le monde nous regarde, comme si on était le centre du monde.» Cette observation, illustrée par une Marina-sphère plantée au centre d’un globe terrestre, touche la cible en plein cœur. Tellement, d’ailleurs, que l’artiste reprend cette découverte en quatrième de couverture.
Sortir de soi. Sortir de l’image qu’on a de soi. Sortir tout court, bouger et profiter des joies du jour. Ne plus faire de la nourriture un sujet. Ouvrir le champ des possibles et savourer une journée, une semaine, un mois passés sans penser à manger… J’ai été une adolescente ronde, je sais ce que la nourriture rempart veut dire. Protection, cocon, prison. Bien sûr que le surpoids est un problème de société. Entre la malbouffe et les injonctions à la minceur qui virent à l’obsession, les personnes fortes sont victimes d’un complot qui les dépasse.
Mais, paradoxalement, je ne pense pas que la solution réside dans la prise en charge du problème. Je crois au contraire qu’elle tient dans l’abandon du sujet et le changement radical de focale. C’est en oubliant totalement les histoires de poids, de régime et de balance, que j’ai minci. S’alléger en pensée avant de s’alléger pour de vrai. Aucune privation, juste une nouvelle orientation. Vous n’y croyez pas? Essayez!
Marie-Pierre Genecand, Le Temps, Rubrique Société, 9 juin 2020