Edmond Gilliard et la vie culturelle romande
Portrait de groupe avec maître (1920-1960)
Bays, Florence, Corajoud, Carine,
2010, 368 pages, 28 €, ISBN:978-2-88901-028-8
Edmond Gilliard (1875-1969) a marqué plusieurs époques de la vie culturelle romande du XXe siècle. Enseignant, écrivain, éditeur, conférencier, il s’est rapidement situé en marge du champ littéraire, tentant de constituer un pôle contestataire et formant autour de lui un réseau d’intellectuels, composé surtout d’anciens élèves. Ce livre retrace un pan important de l’histoire intellectuelle et culturelle romande, à travers l’étude de plusieurs réseaux d’influence. Il met en valeur des archives prodigieuses, essentiellement des correspondances d’intellectuels romands et français, souvent inédites. Il présente également un panorama des revues culturelles romandes entre 1920 et 1960 et retrace l’émergence d’une conscience progressiste parmi les hommes de lettres romands.
Description
Edmond Gilliard (1875-1969) a marqué plusieurs époques de la vie culturelle romande du XXe siècle. Enseignant, écrivain, éditeur, conférencier, il s’est rapidement situé en marge du champ littéraire, tentant de constituer un pôle contestataire et formant autour de lui un réseau d’intellectuels, composé surtout d’anciens élèves. Ce livre retrace un pan important de l’histoire intellectuelle et culturelle romande, à travers l’étude de plusieurs réseaux d’influence. Il met en valeur des archives prodigieuses, essentiellement des correspondances d’intellectuels romands et français, souvent inédites. Il présente également un panorama des revues culturelles romandes entre 1920 et 1960 et retrace l’émergence d’une conscience progressiste parmi les hommes de lettres romands.
Tributaire du contexte historique, la réception de la pensée de l’écrivain évolue en fonction des préoccupations de ses admirateurs. Et l’actualité en fait partie. Au début des années 1930, insatisfaits par la recherche purement artistique, certains « gilliardiens » ont apporté une dimension éthique à leur discours alors que d’autres se sont lancé en politique, puis ont soutenu la résistance intellectuelle française pendant la guerre. Durant l’après-guerre, Gilliard est devenu un modèle d’anti-conformiste pour quelques Romands de gauche, en mal de figures tutélaires. Ultime signe de fidélité des anciens, la publication des uvres Complètes (1965) d’Edmond Gilliard a été l’occasion d’unir les forces de plusieurs générations d’amis, rassemblés par leur admiration pour l’écrivain atypique.
Ce livre retrace un pan important de l’histoire intellectuelle et culturelle romande, à travers l’étude de plusieurs réseaux d’influence. Il met en valeur des archives souvent inédites, essentiellement des correspondances d’intellectuels romands et français. Il présente également un panorama des revues culturelles romandes entre 1920 et 1960 et retrace l’émergence d’une conscience progressiste parmi les hommes de lettres romands.
Presse
Paru sur Culturactif Suisse
S’il existe une figure incontournable pour qui s’intéresse à la vie culturelle romande de la première moitié du XXe siècle, c’est bien celle d’Edmond Gilliard. S’attacher à dénouer le fil des nombreuses relations tissées par cet enseignant, critique, essayiste, écrivain et directeur de revues afin de mesurer l’importance de son influence sur plusieurs générations d’intellectuels, tel est l’objectif visé par Florence Bays et Carine Corajoud dans l’étude parue aux Editions Antipodes, Edmond Gilliard et la vie culturelle romande. Portrait de groupe avec maître (1920-1960).
De prime abord on s’interroge. Comment se fait-il qu’un écrivain dont les uvres restent à ce jour peu connues du grand public ait marqué autant de générations? Qui connaît en effet les écrits d’Edmond Gilliard? Citons par exemple Alchimie verbale (1925), Du pouvoir des Vaudois (1926), La Passion de la mère et du fils (1928) et La croix qui tourne (1929).
Né le 10 octobre 1875 à Fiez-sur-Grandson dans une famille de propriétaires paysans rattachés à l’Eglise libre, Edmond Gilliard fait des études de lettres à l’Université de Lausanne puis décide de s’établir à Paris (1901-1904). Il y rencontre un occultiste flamand, S.U. Zanne, dont il suit passionnément les enseignements et dont l’empreinte le marquera durablement. De retour à Lausanne, il débute une carrière d’enseignant, d’abord au collège puis au gymnase. Auteur d’articles relatifs à Henri Warnery, rédigés pour la Feuille centrale de Zofingue, Edmond Gilliard publie plusieurs chroniques littéraires dans la Gazette de Lausanne ainsi que dans la Bibliothèque universelle. La liberté de ton de ses contributions suscite rapidement de vives polémiques. S’opposant frontalement aux jugements de valeurs défendus par les intellectuels de l’époque, il accorde la primauté en matière de création littéraire à l’expression de critères subjectifs et donc non soumis à des critères moraux ou religieux. De même défend-il vigoureusement l’appartenance des écrivains romands à l’aire culturelle française, rejetant le mouvement de valorisation du sentiment national dans les sphères artistiques.
Comme pédagogue, revendiquant une totale autonomie de jugement pour lui et pour les autres, E. Gilliard s’attache à transmettre à ses élèves le goût de l’indépendance et du libre arbitre. Agissant de la sorte, il réussit à marquer de son empreinte des générations d’écoliers qui se sentiront redevables de l’exigence qu’il a su faire naître en eux. Homme de conviction, il est doté de talents oratoires manifestes. Les conférences qu’il donne régulièrement sont autant d’opportunités pour lui de développer ses idées en s’engageant résolument dans la critique des institutions. Comme le résume Pierre-Paul Clément, « qu’il s’exprime devant une classe ou à l’occasion d’une conférence publique, son style d’approche, souvent provocateur, répond à un besoin viscéral de se désolidariser de toute critique moralisante ou conventionnelle. [ ] Modeleur de mots, maître en énergie verbale, il joue de la parole comme d’autres jouent de l’ombre et de la lumière ». En 1914, poussé par son désir d’offrir un espace de liberté à toute une nouvelle génération d’écrivains, Edmond Gilliard décide de créer avec Paul Budry et C. F. Ramuz une publication collective, les Cahiers vaudois, susceptible d’accueillir leurs textes. Cette première expérience le forme aux responsabilités qu’il assumera plus tard comme directeur des Editions du Verseau, puis à la tête de ses propres éditions Les Petites lettres de Lausanne, ou en participant activement à la mise sur pied de revues, telles Présence, Suisse romande, La Semaine, Traits ou Suisse contemporaine. Si l’analyse de Florence Bays et Carine Corajoud est si intéressante, c’est qu’en dressant l’inventaire minutieux de la participation d’Edmond Gilliard à la vie littéraire des années 1920 à 1960, les auteures décortiquent la façon dont cet enseignant, critique, essayiste et écrivain a réussi à constituer autour de lui un réseau très performant d’étudiants, disciples et amis. Mû par la nécessité de trouver des appuis bienveillants et susceptibles de favoriser la libre expression de ses idées, Edmond Gilliard va élargir le cercle de « jeunes clercs réceptifs à sa pensée » en attirant à lui les étudiants fraîchement sortis de l’université, parmi lesquels figureront de nombreux membres de la Société de Belles-Lettres. Ceux-ci apprécient la pensée non conventionnelle de leur « maître » et le fait qu’elle se double d’une attitude contestataire a tout pour les réjouir. Ils vont ensemble participer activement à l’éclosion de plusieurs revues, offrant une tribune aux nouvelles générations d’écrivains partageant les mêmes valeurs. Parmi ces anciens élèves fascinés par l’esprit de cet homme engagé figurent Pierre Beausire, Gilbert Trolliet, Jean Descoullayes, André Muret, Alfred Wild, François Lachenal, Daniel Simond, André Bonnard, Jean Moser et Louis Junod.
Dans leur essai, Carine Corajoud et Florence Bays analysent près d’une dizaine de périodiques ayant paru entre 1920 et 1960. L’ensemble restitue avec force détails le climat historique et socio-politique ambiant. La première publication qui intéresse les auteures a été initiée par Gilbert Trolliet, Aloys Bataillard, Louis Salou et Henri Ferrarre, et porte le titre d’un texte de Ramuz, Raison d’être. En réalité, les rédacteurs revendiquent moins son héritage que celui d’Edmond Gilliard dont les textes paraissent régulièrement dans la revue de 1928 à 1930. Dès 1932, succédant à cette revue de poésie, paraît Présence. Fondée par Jean Descoullayes et Gilbert Trolliet, sa mission est « d’être une passerelle pour les jeunes auteurs à l’échelon romand (d’où une direction bicéphale entre Genève et Lausanne) tout en accordant une large place aux essais ». Confrontés à différents événements politiques comme le feu ouvert par l’armée à Genève sur des manifestants socialistes (1932), les rédacteurs s’insurgent contre la violence exercée par les forces de l’ordre à l’encontre des militants, entraînant des vagues de désabonnement. Rassérénés et confortés dans leur prise de position par Gilliard, ils éprouvent alors les difficiles conditions de survie d’une revue dirigée par un collectif se définissant « par une position de rupture face à la pensée et à l’esthétique dominantes ».
1935 marque une nouvelle étape dans la vie du réseau au centre duquel évolue l’écrivain. Coïncidant avec sa retraite de son poste d’enseignant et son départ de Suisse pour aller vivre à Dieulefit, ses amis souhaitent publier un cahier lui rendant hommage. A cette occasion, Jean Descoullayes et Louis Junod décident de fonder les Editions des Trois Collines afin de lui offrir un lieu d’expression. L’Hommage à Edmond Gilliard réunira 22 contributions signées par des intellectuels restés proches de lui comme G. Trolliet, A. Bataillard, J. Descoullayes, A. Wild, J. Moser, A. Muret, H. Rohrer, L. Lavanchy, A. Bonnard, J.-P. Zimmermann, R. Bray, P. Kohler, H. Perrochon et H.-L. Miéville.
En 1937, Suisse romande succède à Présence, alors que la guerre civile espagnole fait rage. Sous la direction d’André Muret, engagé politiquement au Parti socialiste lausannois, paraît La Semaine. Ancien élève de Gilliard avec lequel il a gardé des liens étroits, Muret fait appel à ses anciens compagnons belletriens du comité de rédaction de Suisse romande et sollicite directement Edmond Gilliard. L’orientation très à gauche du périodique suscite craintes et critiques au sein de son lectorat et de plusieurs rédacteurs. Ce faisant « Muret a sans le savoir préparé le terrain à Traits, héritière légitime de La Semaine« . Dès 1940, la future équipe de rédaction regroupant François Lachenal, Jean Descoullayes, Alfred Wild, Jean Moser et Pierre Beausire réfléchit à la création d’une revue de « résistance intellectuelle ». Fait majeur pour la connaissance des idées prônées par Edmond Gilliard en matière d’éducation, c’est dans Traits qu’il fait paraître son pamphlet « L’Ecole contre la vie ». Il y dénonce le traditionalisme désuet et destructeur de l’institution scolaire. Résolument ancrée à gauche, la revue doit faire face régulièrement aux menaces d’interdiction proférées par les autorités en place pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès 1942, elle profite cependant de la protection diplomatique dont jouit François Lachenal. Devenu attaché à la légation suisse à Vichy, ce dernier use de sa position pour importer clandestinement des textes d’écrivains et de poètes français de la Résistance, tels Pierre Emmanuel, Pierre Seghers, Paul Eluard, Louis Aragon ou Pierre Masson, faisant de Traits un relais privilégié de la résistance au nazisme et au fascisme.
Le mouvement autour de la figure d’Edmond Gilliard vieillissant (il décède le 11 mars 1969) ne s’arrête pas à la fin de la guerre. Une nouvelle génération d’intellectuels émerge dans les années cinquante. Suivant la trace des anciens, ils s’impliquent à leur tour dans l’animation de revues tournées vers les avant-gardes artistiques et littéraires, reconnaissant toujours en Edmond Gilliard la figure du maître. Freddy Buache, Michel Denoréaz, René Berger, Jeanlouis Cornuz développent des projets littéraires et culturels sous l’autorité de cet aîné atypique. Les revues lausannoises Carreau (puis Carrérouge), Pour l’Art , Formes et Couleurs et Alambic se réfèrent, chacune à leur manière, à l’écrivain et l’homme engagé, réinterprétant son discours ou publiant des extraits de ses écrits. A ces figures s’ajoutent celles d’Henri Debluë, Georges Haldas, Yves Velan, Georges Anex, René Dasen, Georges Peillex et Jean-Pierre Schlunegger.
Arrivé au terme de ce compte rendu, il n’est qu’une seule chose à regretter: que cette longue étude ait paru sous la forme traditionnelle d’un livre imprimé. Augmenté de documents dynamiques tels que coupures de presse, écoute de documents audio et visionnement de documents filmés, le panorama esquissé aurait été d’autant plus convaincant et séduisant. L’écoute des entretiens radiophoniques avec Gilliard, diffusés d’avril à juin 1958 sur Radio-Sottens et menés par Georges Anex, permettrait sans aucun doute à quiconque n’a pas cotoyé Gilliard de comprendre les raisons de l’ascendant exercé par cet homme, dont toutes les études vantent des talents d’orateur exceptionnels. Qu’il aurait été passionnant de pouvoir feuilleter en ligne les numéros de ces revues évoquées à de si nombreuses reprises ou encore de pouvoir visualiser les extraits de correspondances citées en sources. Sachant que des entretiens filmés existent (réalisés par l’Association Plans-Fixes), il aurait vraiment été passionnant de voir et d’entendre Anne Ansermet, Freddy Buache, Julien-François Zbinden, Paul Vallotton, Edmond Pidoux, Jean-Daniel Subilia, Georges-André Chevallaz ou Diane Gilliard (sa petite-fille) évoquer la personnalité d’Edmond Gilliard qu’ils ont tous connu et rencontré à divers titres. De telles perspectives auraient enrichi d’une façon exceptionnelle ce travail de longue haleine. La forme du livre « enrichi » aurait en outre permis aux générations actuelles d’entrer de plain-pied dans une époque charnière où les reseaux de connaissances ont joué un rôle capital. Quoi qu’il en soit, cette étude très aboutie est parvenue à dévoiler progressivement les liens tissés par les différents acteurs entre eux et à montrer comment ceux-ci ont convergé pendant toute cette longue période vers une figure aussi atypique et hors norme que celle d’Edmond Gilliard.
Portrait d’un véritable éveilleur de consciences
Un ouvrage est consacré à Edmond Gilliard et à son influence sur la vie culturelle romande.
Dans la Voix Ouvrière du 8 octobre 1960, André Muret rendait un vibrant hommage à celui qui avait été son professeur au Gymnase, à l’occasion du 80e anniversaire de ce dernier. Il décrivait comme « un maître d’une espèce rare, qui s’est donné pour tâche de former d’autres esprits libres, responsables de leurs actes et de leurs pensées. » Edmond Gilliard (1875-1969) fut en effet d’abord un « éveilleur » de talents et de consciences, un enseignant au charisme rare, allergique à tous les conformismes, qui marqua de son empreinte des volées d’étudiants. Comme pédagogue, on peut le comparer à Henri Roorda, Adolphe Claparède et Adolphe Ferrière. C’est à lui qu’on doit cette sentence fameuse: « Il n’y a de jeunes voyous que parce qu’il y a de vieux crétins. Si les jeunes sont impertinents, c’est que les vieux sont inconvenants. » Il publia en 1942 L’Ecole contre la vie, où il descendait en flammes l’enseignement traditionnel: « On lui donne des enfants normaux; elle s’efforce d’en faire des hommes retardés. Elle met tout son soin à émousser le dard de la vie. A la liqueur d’enfance, elle mêle le jus de la sénilité. » Paradoxalement, l’uvre de l’écrivain et essayiste Edmond Gilliard, peu lue de son temps et, il faut le dire, quasi oubliée aujourd’hui, aura pâti de son aura de pédagogue. Il en a sans doute souffert. Il faut dire que lui-même, homme de l’oralité dont le verbe fascinait, se mettait volontiers en posture de « maître », aimant à s’entourer d’un cercle de fidèles admiratifs. Mais entre le mentor vénéré et ses disciples se créa, en dépit de la différence d’âge, une véritable complicité intellectuelle. Ce réseau allait enrichir toute la scène culturelle romande. L’ouvrage de Florence Bays et Carine Corajoud rend compte méticuleusement et de manière vivante des multiples revues et mouvements littéraires qu’il a générés.
Dès 1913, Edmond Gilliard fonde avec Paul Budry, les Cahiers vaudois qui condamnent l’helvétisme, soutiennent Ramuz et sont considérés aujourd’hui comme le mouvement fondateur de la modernité artistique en Suisse romande. Des affinités particulières se tissent rapidement entre Gilliard (lui-même Zofingien) et les Bellettriens, une association d’étudiants réputée pour son anticonformisme. Parmi eux, André Muret, pour qui Edmond Gilliard a joué le rôle de véritable père spirituel. Ainsi la Revue de Belles-Lettres, pendant les années 1920-30, est-elle très « gilliardienne ». De nombreuses revues littéraires et intellectuelles (souvent avortées ou éphémères) se créent au sein de ce réseau. C’est d’abord pour offrir au « maître » un espace d’expression que sont fondées en 1935 les Editions des Trois Collines (en référence aux collines lausannoises). Dès 1943, dirigées par François Lachenal, elles joueront un rôle éminent dans la publication d’auteurs résistants (Aragon, Eluard, Elsa Triolet, Vercors, etc.) On constate donc une politisation du réseau gilliardien, et de Gilliard lui-même. Sans doute ce dernier subit-il aussi l’influence de son fils Marc qui, avec André Muret, François Jaeggy et Michel Buenzod, s’est engagé en communisme. La montée du fascisme, la fusillade du 9 novembre 1932, la guerre civile espagnole ont profondément marqué les consciences et ont fait descendre certains intellectuels de leur tour d’ivoire vouée à la littérature pure. Tout en gardant son indépendance d’esprit, Edmond Gilliard devient peu ou prou un « compagnon de route » du PC puis, après 1945, du POP. Le groupe Gilliard participe dans sa quasi-totalité à La Semaine, hebdomadaire progressiste et antifasciste, suppléant l’absence de la presse communiste interdite, et publié par André Muret entre 1938 et 1939. On retrouve aussi le réseau gilliardien dans la revue de résistance politique et spirituelle Traits (1940-1945): dénonciation des pleins pouvoirs accordés au Conseil fédéral, mise en évidence des inégalités sociales, refus de la capitulation devant la menace fasciste extérieure ou intérieure, révélations sur le martyr des juifs, admiration envers l’Union soviétique combattante, participation à l’épuration des écrivains français collabos qui ont trouvé un bienveillant refuge en Suisse, telles sont les lignes de force de cette revue engagée, l’une des rares à faire honneur à la presse suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. D’autres admirateurs et émules d’Edmond Gilliard, comme Freddy Buache, Michel Denoréaz, René Berger, Henri Debluë, Jeanlouis Cornuz participeront au renouveau de l’art engagé – au sens sartrien – dans l’après-guerre. On les retrouve dans la revue Carreaux, qui prône toutes les formes nouvelles de l’art: comme le trait, le carreau d’arbalète est un engin balistique de l’esprit! Les disciples de Gilliard participent aussi au mouvement culturel Connaître, dont le but est de diffuser la culture, et notamment la grande littérature, dans toutes les couches de la population.
Tel fut le paradoxe d’Edmond Gilliard. Lui-même resté un écrivain de l’ombre, au lectorat confidentiel, insuffisamment reconnu pour son uvre propre, il inspira, par son irradiante personnalité et son statut de figure tutélaire, de multiples expériences culturelles, non purement esthétiques ni coupées des graves enjeux politiques de leur temps.
En cela, il demeurera une figure majeure de la vie intellectuelle romande au XXe siècle. Le livre de Florence Bays et Carine Corajoud, rigoureux et bien écrit, rend compte de cette influence et de cet apport déterminants.
Pierre Jeanneret, Gauchehebdo, 28.01.2011