1979

Becquelin, Hélène,

2020, 159 pages, 22€, ISBN:978-2-88901-184-1

Dans une ambiance de fin des seventies, Hélène Becquelin démarre une nouvelle série de bandes dessinées et raconte son adolescence solitaire et décalée par rapport à son entourage. La découverte du punk rock va bouleverser sa vie : c’est le début d’autres horizons culturels et géographiques qui vont « accessoirement » lui sauver la vie !

LAURÉATE DU PRIX BD ZOOM 2022 et FINALISTE DU PRIX SUISSE DE LA MEILLEURE BD 2021 !

Format Imprimé - 27,00 CHF

Description

Avec son point de vue féminin et distancé du milieu rock en Suisse romande de cette époque, l’auteure nous propulse vers son adolescence explosive dans le Lausanne de la fin des 70’s et nous montre comment une jeune provinciale arrive dans la « grande » ville, découvre le Sapri Shop, le Centre autonome, les punks de la Dolce vita …

 

Soirée de lancement samedi 29 août 2020 à La Datcha !

Dans le cadre du Déconfinature!!! de BDFIL à Lausanne, une soirée festive et musicale s’organise pour le lancement de la BD

Dès 18h, venez dédicacer votre livre et rencontrer Hélène Becquelin
Dès 20h/21h, écoutez votre corps ou faites danser vos oreilles aux sons des morceaux mythiques qui ont marqué la fin des années septante, avec un DJ set « spécial 1979 » concocté par l’auteure et ses amis Djettes aux platines et une projection des planches extraites du livre.

A La Datcha, Côtes de Montbenon 13, 1003 Lausanne (Flon)
Samedi 29 août dès 18h (jusqu’au petit matin)

Playlist de la BD disponible sur 1979laBD.com

 

Exposition des dessins originaux chez Papiers Gras à Genève (17.09-17.10.2020)

Vernissage de l’exposition et dédicaces jeudi 17 septembre
Exposition jusqu’au 17 octobre 2020
Papiers gras, 1 place de l’île, 1204 Genève

 

Dédicaces en Romandie en 2020

Lausanne: samedi 29 août de 18h à 20h à La Datcha
Morges : du 4 au 6 septembre au Livre sur les quais (espaces « dédicace » malheureusement annulés – se référer au programme)
Fribourg : samedi 12 septembre de 14h à 16h à la librairie La Bulle
St Maurice : samedi 19 septembre de 15h à 16h30 à la librairie St Augustin
Lausanne : samedi 26 septembre de 10h30 à 12h chez Payot

disquaire 1979 v

©Hélène Becquelin

Planche(s)

 

joy division 1979 v

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disque 1979 v

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©Hélène Becquelin

 

 

Presse

Hélène Becquelin, illustratrice sans entraves

Elle a le verbe hardi mais un lumineux sourire, ses lunettes noires à la zurichoise ne parviennent pas à dompter un clair regard curieux de tout, elle est fan absolue de musique punk mais affectionne aussi les chemisiers fleuris ou à motifs d’oiseaux: Hélène Becquelin, graphiste, illustratrice et dessinatrice de BD, est la championne des contrastes.

Née à Saint-Maurice en 1963 et installée à Lausanne depuis trente-quatre ans, elle s’est d’abord fait connaître grâce à son blog et ses albums Angry Mum, personnage autobiographique de maman d’ados aussi révoltée qu’attachante. Puis par le biais de Lina, jeune collégienne dont les aventures paraissent dans le magazine Femina dès 2012. Elle a ensuite collaboré à divers ouvrages collectifs, avant de publier aux éditions Antipodes en 2018 et 2019 sa BD autobiographique en deux tomes Adieu les enfants, suite au décès de son frère Philippe – alias le dessinateur de presse Mix & Remix. Puis d’enchaîner avec 1979: le récit en images de sa propre adolescence douce-amère, et l’ouvrage dont elle nous dit «être la plus fière, et qui a suscité de magnifiques réactions très touchantes de gens de tous âges».

Complémentarité gagnante
Ce sont enfin les éditions de La Joie de Lire qui la choisissent fin 2021 «pour la douceur de son trait et sa disponibilité», et lui proposent d’illustrer Le colibri, un texte tiré d’une pièce de théâtre[1] écrite par l’auteure jurassienne Elisa Shua Dusapin, qui raconte le travail de deuil que doit effectuer Célestin, 14 ans, après le décès de son frère, mais aussi sa manière d’appréhender différents moments charnières de son existence.

Forte de ces deux visions féminines, la BD audio[2] qui en résulte remporte en mai dernier le Prix suisse du livre Jeunesse 2023. «La complémentarité entre les dialogues très justes d’Elisa Shua Dusapin et les images à la fois douces et percutantes d’Hélène Becquelin permet d’évoquer beaucoup de choses sans tout dire, de sorte que le jeune public est invité à remplir les blancs du texte avec ses propres pensées», expliquait ainsi le jury dans un communiqué. «Et pourtant, je ne connaissais d’abord pas Elisa, et nous n’avons pas du tout travaillé ensemble», s’émerveille encore aujourd’hui Hélène Becquelin. «Lorsque La Joie de Lire m’a proposé d’illustrer la pièce de cette dernière, ça a été un peu comme si je reprenais le témoin. Je n’avais pas le droit d’ajouter du texte ou de le changer, mais je pouvais en enlever. J’ai trouvé assez amusant de pouvoir décider de couper du texte d’une fille qui a gagné un prix littéraire aux États-Unis[3]!».

Simplifier au maximum
Cet exercice jouissif, la dessinatrice l’a toutefois effectué pour la bonne cause: «Le rythme du récit ne convenait pas tel quel car le dessin permet d’exprimer à lui seul beaucoup de choses, et il fallait que je coupe du texte qui aurait rendu le tout redondant. Alors j’ai fait ma punk, et j’ai cherché à simplifier systématiquement. Étant donné que j’avais quatre mois pour tout illustrer, j’ai travaillé vite, de manière presque industrielle, au rythme de deux planches et demie par jour et sur du papier cheap que je pouvais jeter sans état d’âme si le résultat ne me convenait pas. Et j’ai adoré ça: cela m’a apporté la légèreté nécessaire pour aboutir à l’essentiel, sans fioritures.» Il faut dire que l’art de la concision lui est familier, puisque, juste avant, elle avait collaboré avec le magazine Topo où elle avait déjà dû faire des choix drastiques dans les scénarios proposés: «J’ai ainsi appris à oser simplifier et couper dans du texte qui n’était pas le mien, sans en perdre le sens.»

En sus du travail d’élagage, elle a également dû apposer sa propre patte sur le récit: «La pièce de théâtre se passe à un seul endroit, sur le toit du bâtiment où habite Célestin. Mais moi, je devais créer une histoire à part entière. J’ai donc décidé d’ajouter une partie introductive, afin de mieux m’approprier le personnage principal. Et j’ai commencé par faire d’abord vivre ce dernier au bord de la mer avant de raconter son déménagement en ville, ce qui n’avait rien à voir avec le texte d’Elisa. Je craignais donc sa réaction quand je lui ai envoyé mes trente premières planches par mail. Mais elle m’a répondu qu’elle trouvait ça super, car cela lui rappelait sa propre enfance au bord de la mer!».

Une interprétation très libre
En «décalage complet» – Elisa Shua Dusapin étant alors en tournée promotionnelle aux États-Unis et Hélène en pantoufles, penchée sur sa table de travail –, les deux créatrices parviennent pourtant sans peine à communiquer et collaborer: «Je lui envoyais mes planches, elle donnait son avis. Au final, nous n’avons eu besoin d’ajouter qu’une bulle – “C’est toi qui es aveugle!” à la page 125 –, afin de rendre le récit encore plus compréhensible.» Et l’auteure laissant la dessinatrice très libre dans son interprétation, cette dernière a pu laisser fuser ses idées: «J’ai ajouté des corbeaux en ville, qui font le lien avec les mouettes du bord de mer. Et j’ai dessiné les parents, inexistants dans la pièce de théâtre. Par ailleurs, l’héroïne ressemble à ma fille. Et mon fils m’a fait remarquer à la fin que j’avais également prêté ses propres traits à Célestin, le personnage principal! C’est drôle, comme on glisse à la fois sciemment et inconsciemment des éléments personnels dans notre travail… mais mon fils a quand même dit qu’il trouvait chelou que les deux personnages qui leur ressemblent, à sa sœur et lui, se roulent une pelle à la fin!»

Si elle a accordé une attention particulière aux personnages, l’illustratrice valaisanne a en revanche préféré esquisser rapidement leur environnement: «Je travaille case par case, et étant donné que j’avais peu de temps pour tout faire, j’ai conçu des décors délibérément très simples. J’ai aussi privilégié le noir-blanc pour aller plus vite, même si on m’a ensuite proposé de mettre un peu de couleurs à la fin du livre. Tout cela accentue l’impression de flou autour de Célestin, dont on ne sait parfois pas trop s’il est aussi un fantôme, ou pas. Et cela laisse la liberté aux gens de s’approprier cette histoire de décès et de deuil par le biais de leur expérience personnelle.»

Concerts croqués
Si elle en parle avec toujours le même enthousiasme, la création du Colibri – dont elle conserve soigneusement les innombrables essais dans cinq classeurs fédéraux – paraît toutefois déjà bien lointaine à la dynamique sexagénaire. «J’aime les défis, et je suis partante pour tout», souligne-t-elle, en englobant d’un geste l’ensemble de son atelier – en réalité, l’ancienne chambre de son fils: «Il a été choqué de voir que je l’avais annexée à peine deux semaines après qu’il soit parti de la maison, le pauvre!», confie-t-elle avec une grimace amusée. «Mais ça m’a fait du bien d’avoir enfin un espace à moi, après avoir travaillé durant des années sur la table de la cuisine!». C’est ainsi que sur son bureau s’étalent entre autres divers croquis de musiciens qu’elle rencontre et immortalise au gré des concerts où elle se rend. «Mon mari Momo et moi-même avons la chance d’adorer tous deux la même musique. On se déplace un peu partout pour écouter des groupes qu’on aime et en découvrir de nouveaux», explique-t-elle, les yeux étoilés, en nous montrant l’impressionnante mosaïque de photos qu’elle conserve sur son ordinateur. «Et comme j’ai toujours envie d’améliorer mon trait, je me suis lancée dans les croquis de concerts en 2018. J’ai d’abord commencé par un artiste seul, et là, je me mets à dessiner les groupes, car les mouvements, positions et regards entre les musiciens exigent encore une autre réflexion graphique. Ce type de travail m’a permis de progresser énormément.»

Une activité bien vite repérée par les artistes locaux, qui vérifient dorénavant si elle est présente dans le public. «Je me mets toujours devant, pour bien voir et ne pas être dérangée par le public pas toujours attentif», note-t-elle, avant d’ajouter en souriant: «J’envoie toujours mes dessins à ceux que j’immortalise, et je crois qu’ils apprécient, car ils ont l’habitude d’être photographiés mais pas de se voir en dessin. Un copain m’a même dit l’autre jour que ça leur mettait la pression, puisque je ne dessine que quand j’aime le concert! Et un autre, qui s’inquiétait que je sois partie durant son show, m’a fait remarquer que ce n’était pas difficile de repérer mes allées et venues: avec mes cheveux blancs, il paraît que je brille dans la nuit…».

Métissage de deux amours
En parallèle, l’insatiable artiste est en train de finaliser ses Chroniques palpiennes: nées des croquis saisis ici et là lors des multiples rendez-vous proposés dans le cadre du PALP Festival, elles finiront en une bande dessinée qui parlera des événements et lieux pérennes imaginés et créés par le festival dans le petit village de montagne de Bruson, dans le Val de Bagnes. L’ouvrage sera publié en mai 2024 aux éditions Antipodes.

Un autre projet naît également ces temps entre ses doigts de fée: une BD réalisée pour l’école de Châteauneuf, à Conthey. Ce travail lui a permis de rencontrer l’ancienne directrice, Sœur Candide, «une personne extraordinaire de presque 100 ans, avec une vie et un parcours absolument incroyables». «C’est ça qui est si cool, avec la BD!», s’exclame soudain Hélène Becquelin: «C’est une discipline qui permet de vivre des moments très sympas et dans un milieu où il n’y a pas de compétition. Ainsi, je collabore aussi à La bûche, un fanzine collectif féminin qui permet de réunir toutes les dessinatrices de BD de Suisse. C’est un groupe génial, vraiment positif, qui nous donne de la force et une belle visibilité en tant que créatrices suisses romandes.»

Après 1979, huitante
Toujours fourmillante d’idées, la dessinatrice se projette également déjà dans l’avenir, avec la création de la suite de 1979: «Ça s’appellera Huitante et j’écrirai le titre en toutes lettres, cette fois-ci. Parce qu’en France, quand ils parlent du premier tome, ils disent “soixante-dix neuf” au lieu de “septante-neuf”. Or c’est mon histoire, et je veux que le titre fasse très suisse! Cette fois-ci, il y aura du sexe, d’ailleurs mon mari stresse un peu… mais il ne faut pas que je me censure et que je garde à l’esprit qu’à l’époque, nous, les filles, étions plus dociles face aux comportements toxiques et à la mentalité de certains que celles d’aujourd’hui, tellement plus fortes et volontaires.»

Dans un coin de la pièce, des cartons couverts d’un tissu à motifs d’oiseaux, parfaitement assortis au paravent dressé à côté, attirent mon regard: «Ah oui!», s’amuse-t-elle, «c’est moi qui ai tout fait, j’adore bricoler! J’avais acheté des linges de cuisine dans un musée, et j’en ai recouvert mes cartons de rangement. J’ai trouvé le résultat sympa, et comme j’ai réussi à retrouver le même tissu sur internet, j’en ai fait un paravent.» Ravie de nous montrer le reste de son travail, l’illustratrice pointe ensuite, à droite de son bureau, une table où plusieurs plantes vertes côtoient de curieux objets en tricot: «Ce sont mes poo-pées. J’aime en tricoter pour les offrir comme cadeau de naissance à mes copines, elles adorent mes petits cacas en laine… leurs enfants aussi, d’ailleurs!».

Dans le corridor, d’autres créations sont également exposées: un petit sein en tricot à l’air timide, ainsi qu’une tête de mort sous cloche. «Dans le cadre d’une exposition collective, j’ai eu envie de créer des reliques de différents personnages pour enfants en laine cardée. Là, c’est le crâne d’Harry Potter, avec le vif d’or au-dessus. J’ai cousu une cicatrice dorée sur son front, pour qu’on le reconnaisse bien. C’est drôle, en devenant maman, j’ai continué à vouloir créer du trash, mais en plus kawaï.»

Midi sonne au clocher de l’église du Valentin, il est temps de prendre congé. Ce d’autant plus qu’Hélène Becquelin semble avoir hâte de retourner à ses croquis: «Je suis en train de dessiner un groupe de copains musiciens. Mais c’est drôlement compliqué de reproduire des gens qu’on connaît, je dois encore travailler leurs expressions!».

[1] Le spectacle, mis en scène par Joan Mompart et en musique par Christophe Sturzenegger, a été donné du 10 au 15 mai 2022 au Théâtre Am Stram Gram, à Genève, avec la participation de l’Orchestre de la Suisse romande.
[2] Un QR-Code donne accès à une lecture sonore de la BD avec des comédiennes et comédiens, et un accompagnement musical de l’Orchestre de la Suisse Romande.
[3] Elisa Shua Dusapin a remporté le National Book Award, dans la catégorie «littérature traduite», pour Winter in Sokcho (Hiver à Sokcho).

Article de Véronique Kipfer, mis en ligne le 14 septembre sur Ricochet.

Léman TV
Léman TV

Hélène Becquelin invitée de Céline Argento dans l’émission Céline, ses livres du 19.04.22 sur Léman bleu TV en compagnie de Marion Canevascini >> à voir ici

 

Interview musicale d’Hélène Becquelin sur le podcast WestFM par David Glaser ! Ça punk ici >> https://soundcloud.com/user-205022366

 

Punk, pour soigner l’ « Agaunie »

Comme un beat de batterie de Stephen (Saint-) Morris de Joy Division lors d’une soirée mémorable dans le grand bassin des Bains-Douches (n1), le cœur d’Hélène Becquelin est une boule d’énergie battant la chamade. La Lausannoise est une véritable fan de musique et de dessin qui crée en rythme, qui ne mâche pas ses mots ni ne compte ses heures pour dire et faire ce qu’elle aime. Originaire de Saint-Maurice (elle est Agaunoise pur jus et sa ville joue un rôle très important dans son œuvre), son art l’a amenée à beaucoup chercher ailleurs ce qu’elle ne pouvait trouver chez elle, dans sa chère ville de 5000 habitants. Depuis, comme diraient les rappeurs West-Coast, elle « reminisce » les vieux temps. Pas si vieux, pas si lointains tant la passion née dans les années 70 et 80 perdure sur les platines et « applis » de l’artiste. D’où « 1979 »! Un témoignage d’une existence commencée dans une petite ville valaisanne provinciale et enclavée et une existence sublimée depuis. Hélène trace d’un crayon affirmé les bulles de passé qui lui reviennent en fonction des aléas de la vie, des événements qu’on ne peut contrôler mais qui relatés en dessins sur papier deviennent goûteux, plaisants voire carrément révoltants. L’Agaunoise soigne son côté punk avec un verni d’histoire, la chroniqueuse revisite les événements à sa façon croquant le passé sans le « glamouriser » plus que de mesure. On sent à la lecture des livres d’Hélène des valeurs récurrentes : la franchise, l’amitié, le travail et la rigueur, l’exigence d’un trait précis, l’éthique punk, on a beau être destroy, on fait les choses « à la bien », et si un curé passe par là, il y a du respect même si au fond on sait qu’il n’y a « Ni Jah, ni Maître ».

Hélène n’a jamais eu peur de parler vrai. Comme tous les punks qui ont compris l’ethos du mouvement éphémère né à la fin des années 70, d’abord aux Etats-Unis puis très vite en Angleterre. Cette vérité, cette façon d’adresser la vie en disant ses sentiments sans se cacher derrière un cache-sexe, elle la chérit. Le punk a sans doute été une force salvatrice dans le parcours sans trop de bosses de Hélène Becquelin. Illustratrice, diplômée de l’ECAL, elle a cumulé les travaux de référence ces dernières années, entre les BD « Angry Mum » (Glénat), « Adieu les Enfants » et « 1979 » (les deux chez Antipodes), qui plongent le lecteur dans un décor agaunois du passé ou dans une vie lausannoise d’avant, plus culturelle qu’en Valais, mais une culture teintée d’une insouciance très XXe siècle. Sur son blog aussi, Hélène sourit au passé. Le blog est pour elle un moyen de création prolifique qui va lui permettre de documenter sa vie de fan absolue de rock et de faire des vas et viens entre les concerts vus à Lausanne, Dudingen (le Kilbi du Bad Bonn de Guins dans le canton de Fribourg) ou en Valais (le PALP et ses Rocklette parties…), le blog permet le récit réactif et une licence poétique totale.

Saint-Maurice dans les années 70, c’est un rythme lent, perturbé – à peine – par le carillon des nombreux clochers de la bourgade. On est dans une réalité valaisanne très montagnarde ou campagnarde selon où on se situe dans la région. L’image que l’on donne de soi est importante, on est observé et critiqué directement en cas de faute de carre. Mais il y a des détournements de cette tranquillité apparente parfaitement envisageables. Comme lors d’événements carnavalesques, on y reviendra un peu plus tard. La vie de famille des Becquelin, à la maison ou en vacances en Italie, est décrite comme heureuse et créative (in « Adieu les Enfants »), mais les discussions au pied du pick-up sont souvent tendues entre frangins (in « 1979 »). « Ah ah famille heureuse quand on est frère et sœur » chantait Helno des Négresses Vertes (quel joli groupe mais quel nom, on ne pourrait plus aujourd’hui) (n2).

Dans la fratrie Becquelin, on a des goûts différents, l’aîné Philippe (plus tard connu sous le nom d’artiste de Mix & Remix) est à l’époque un amateur de prog-rock et fumeur de joints, la plus jeune Laurence adopte le disco sans ciller, où se trouve Hélène? Loin de tout ça. La Valdo-valaisanne raconte aussi dans « 1979 » ses escapades de petite « valesco » de 16 ans comme des aventures impressionnantes, intimidée par la « grande » ville Lausanne où elle faisait ses courses en 33 tours de ses artistes idolâtrés avec ses maigres lovés (The Clash, The Ramones…). Mais comme « vouloir c’est pouvoir » comme dirait l’alpiniste lausannoise d’adoption Henriette d’Angeville, dont Hélène a dessiné le portrait pour le livre « 100 femmes qui ont fait Lausanne », elle économisait chaque sou et se rencardait pour ne pas faire d’erreur de choix d’albums, dévorant la presse rock de Paname, le « Rock & Folk » de Philippe Garnier et le « Best » de Gérard Bar-David comme on regarderait un phare dans une mer déchaînée.

Hélène raconte dans son livre « 1979 » ses amours détournés pour Joy Division (« en live uniquement ») et des dizaines d’autres noms issus du punk, du ska, du post-punk et du rock alternatif anglo-saxon. L’année 1979 est en effet charnière pour cette artiste qui observe chaque tendance nouvelle avec curiosité critique et passion. Formée à l’art, aux rythmes de sons anglais sortis tout droit de poêles à frire électriques nommées Gibson ou Fender, Hélène cherche, de son œil de lynx, l’élégance de ces artistes aux mèches et aux tenues vestimentaires détonantes pour l’époque. La dessinatrice n’a pas eu de mal à mettre toute sa vie de fan de punk dans son œuvre, plongeant le lecteur dans une ambiance d’un Valais qui enferme insidieusement les mentalités et ne libère pas assez les talents débordants de la jeune rebelle. Elle ne s’est pas faite prier pour tailler la route dès les études d’art à portée de fusain. Hélène s’est ensuite créée une vie comme jamais elle n’aurait jamais imaginé pouvoir la vivre quand elle était encore étudiante.

Hélène reçoit chez elle avec dans le quartier du Valentin à Lausanne, dans l’ancienne chambre du fiston Boris, parti enseigner les maths à des étudiants un peu plus étudiants que lui et parti pour marcher, au passage, dans les pas de Yves Mottet son père. C’est une chambre d’ex-ado transformée en atelier spacieux, lumineux, un havre. « 1979 » a beau être sorti en 2020, le livre va s’inscrire dans la continuité car il raconte une époque qui a touché un bon nombre de quinquas romands. Au détour de passages délicieux sur les soirées valaisannes et lausannoises d’Hélène, la BD met au jour des scènes très #MeToo dans les ruelles cachées de Saint-Maurice lors des « Bals Nègres » où les black faces (n3) étaient presque obligatoires pour s’intégrer dans le délire du Carnaval tel qu’on le célébrait à l’époque.

Mais voilà que la playlist Spotify crache dans les oreilles de Hélène « A message to you Rudy » des Specials en 1980, « un groupe que j’ai vu ici, mon tout premier concert. Ils sont trop classes, sapés comme des rois. Le concert a été filmé – je me suis vu dans le film et je dansais comme une folle. Dans le public suisse, personne n’était looké, on ne savait pas comment ils étaient ces Specials. J’avais été impressionnée en revoyant cette soirée à Montreux, à part un ou deux gars qui avaient piqué le chapeau du papa, personne n’avait encore eu l’occasion d’adopter le look ska. En étant valaisan, tu bougeais beaucoup. On allait voir des concerts à Genève, au Palladium. On avait peur en arrivant en voiture tellement ça partait dans tous les sens. La Dolce Vita, à Lausanne, est arrivée quand j’ai eu 25 ans, j’étais déjà une adulte. »

Ses souvenirs de concerts mythiques, fondateurs, à la fin des années 70 et au début des années 80 reviennent à la surface. « J’ai aimé The Cure qui devenaient pop, mon mari s’en était désintéressé car ils devenaient trop mainstream. Je les ai vus à Montreux en 1981 et c’était fou car ils mettaient des diapositives derrière eux. Et on ne connaissait par leurs têtes. Robert Smith le chanteur s’était promené dans le public, maquillé avec des cheveux incroyables, on ne l’avait pas reconnu car les photos que l’on connaissait de lui n’était pas les mêmes… » Le style vestimentaire a son importance donc. Si le punk fracassait les conventions ennuyeuses de la société britannique post-James Callaghan, il y avait toujours une boutique SEX (n4) pour les rappeler à une certaine obligation de respecter le dress-code « no future ».

Hélène se souvient d’Elli et Jacno, le couple (et groupe de punk) mythique de Paris qui se faisait draguer de partout mais qui rentrait tout le temps le soir ensemble se coucher, « par rapport aux Lausannois, je m’imaginais vivre cette vie de couple. Et je pense que mon mari et moi sommes « un peu » les « Elli et Jacno » de Lausanne. » Hélène a aussi beaucoup de respect pour les « underdogs », les « prols » (ndla: prolétaires) venus à la musique dans leurs fripes toutes fripées. « Les Undertones étaient habillés très cheap, il n’y avait pas de lycra dans les habits à l’époque, leurs jeans et chemises sont tous chiffonnés, comme les Buzzcocks, un groupe qui me touche énormément. J’adorais le chanteur Pete Shelley, je lui ai dédié mon livre « 1979 ». » Touchants, mais pas très élégants les Buzzcocks? Pareil pour les Undertones (groupe préféré du DJ anglais de la BBC John Peel), vraiment? Bah oui, vraiment, un documentaire diffusé cette semaine sur la BBC portant sur la variété de groupes venant jouer au « Top of the Pops » le prouve. C’est vrai que ce n’était pas du Jean-Paul Gaultier ou du Alexander McQueen, ce que portait les groupes en 79, c’était eux dans leurs fringues de pauvres. Le punk était aussi un moyen pour les prolos de paraître un peu plus cools, enrichis de leurs guitares, basses et baguettes et animés de leur plus grande fougue.

Si vous appréciez le travail de l’illustratrice romande, retrouvez cinquante dessins de femmes incarnant Lausanne entre le Moyen-Âge et la fin du XXe siècle. Un deuxième tome de « 1979 » sera bientôt en préparation. La vague Hélène Becquelin n’en finit plus de tout emporter sur son passage en Romandie. Le punk, le féminisme, un attachement évident à cette région et tout un tas d’anecdotes à raconter tout le temps sur le Valais des années 60 et 70, puis sur les manies des « mommies » agaçantes dans son quartier du centre de Lausanne (« Angry Mum ») 90 et 2000. L’espace de jeu de Hélène est une terre de libertés et de petits bonheurs, qui expriment sa personnalité et son sens du plaisir de vivre intensément. Hélène a donc un blog et il regorge de news importantes sur son évolution. Un blog fréquenté ces dernières années par des groupes qu’Hélène a croqués sur scène, d’IDLES ses idoles aux Viagra Boys en passant par Protomartyr, des groupes pas comme les autres, des titulaires du onze idéal de la sélection punk becquelinesque en 2021, tous descendants de Cure, du Clash, des Pistols ou de Joy Division.

Note 1: Les Bains-Douches furent un temple de la punk-culture voyante – avec le Palace – dans le centre de Paris. Des chroniqueurs décadents décrivaient l’ambiance à longueur de papiers brûlants. Feu-Alain Pacadis, le gonzo-reporter qui tentait de ressembler à Warhol est l’auteur de beaucoup d’entre eux, toujours disponibles dans des recueils ou des éditions rééditées de certaines publications comme Libération ou Rock & Folk.

Note 2: Les Négresses Vertes faisaient partie de la scène alternative française. Leur nom ne posait pas de problème car le groupe était multi-kulti et antiraciste. Il est fort probable qu’un groupe – même punk – ne pourrait plus s’appeler ainsi en 2021, le mouvement Black Lives Matters et d’autres équivalents condamnent l’utilisation de ce mot.

Note 3: Ces bals n’existent plus que depuis 2016, aussi incroyable que cela puisse paraître. On se grimait le visage au cirage noir pendant ces bals.

Note 4: La boutique SEX était le lieu de ralliement des punks londoniens. Elle était tenue par Vivienne Westwood et Malcolm McLaren.

Pour écouter la playlist 1979 commentée par Hélène, cliquez ici.

 

Portrait d’Hélène Becquelin par David Glaser, sur notrehistoire.ch

 

 

Avis de lecture sur la plateforme pour le livre jeunesse, Ricochet

1979 débute par la projection du film musical Hair, à laquelle assiste l’adolescente Hélène Becquelin, entourée de ses camarades de classe et de leur professeur. Le film terminé, alors que les élèves ravies entourent l’enseignant avec ferveur, Hélène préfère s’éclipser, frustrée du choix cinématographique et peu désireuse de s’éterniser auprès de personnes avec lesquelles elle se sent en décalage ; une dissonance ressentie également auprès de sa famille, qui s’inquiète de la voir s’isoler. La découverte du mouvement punk, notamment du groupe The Clash, se révélera salvatrice pour la future autrice-illustratrice, son sentiment de différence et son esprit contestataire enfin réverbérés dans les riffs de guitare aux accords bruts. Accompagnée de sa conscience, illustrée sous la forme d’une ombre noire, Hélène entame alors sa transformation, délaissant ses pantalons évasés et une coiffure à la Mireille Mathieu pour embrasser l’esthétique punk à la coupe courte et aux pantalons étroits, se démarquant non sans plaisir de ses camarades choquées par son appartenance affichée à un mouvement à la mauvaise réputation.

Lettre d’amour au punk, 1979 témoigne plus largement du pouvoir de connexion de la musique, d’autant plus primordial à l’adolescence, une période marquée par la distanciation familiale et la quête d’une individualité et d’une appartenance propres, en phase avec ses valeurs et ses aspirations profondes. Une période d’affirmation de soi qu’Hélène Becquelin dépeint avec humour grâce au dialogue instauré avec sa conscience. Maitrisant autant le verbe que le trait de crayon, elle livre un album autobiographique aux sonorités féministes et rebelles d’une grande authenticité.

Pour tout lecteur ouvert à une immersion auditive de cette année déterminante, l’autrice-illustratrice propose d’écouter une liste de lecture sur le site dédié à la bande-dessinée. Un bonus qui mérite de s’y attarder si l’on souhaite saisir l’énergie si innovatrice qu’a été le punk sur la scène musicale.

Avis de lecture de Nicole Tharin, Ricochet

 

 

Conférence d’Hélène Becquelin – Littératures suisses d’automne au CCS

Covid oblige, la conférence que devait tenir Hélène à Paris au Centre Culturel Suisse le 20 novembre dans le cadre des rendez-vous littéraires, s’est faite dans son salon. Elle y présente son parcours et sa façon de travailler pour « 1979 ». On peut la voir sur YouTube.

 

 

Les années punk d’Hélène Becquelin

Hélène Becquelin avait 16 ans en 1979. Quarante ans plus tard, le cheveu blanc coupé court, elle est « Angry Mum » – maman en colère, genre mégère tendance bobo pétrie d’autodérision – et son blog lui assure mieux qu’un succès d’estime. Dans 1979, elle revisite son adolescence, années de tous les doutes, de tous les dangers, de tous les espoirs aussi. Des années en décalage complet avec ceux et celles de sa génération, fumette, alcools forts et tentatives d’« émancipation ». Tout au long de ces pages sublimes, elle refait la route en compagnie d’un personnage, sorte d’imposante ombre noire sans nom qu’elle est la seule à voir, qui lui parle, la critique parfois, ne la quitte jamais et dont un jour elle a dit que « tout au long de l’élaboration de cette bande dessinée [elle lui avait] servi de « coach mental » ».

Née à Saint-Maurice, Hélène Becquelin rejoint Lausanne, « capitale » à la fois inquiétante et riche de promesses en tous genres, pour y suivre, en section graphisme, les cours des Beaux-Arts. C’est là qu’elle découvre la musique punk, le rock, le Centre autonome, la Dolce Vita. D’autres ouvertures, d’autres horizons dont elle dit qu’ « accessoirement » ils lui ont sauvé la vie. Et qu’elle nous livre là par le biais de dessins d’une beauté à couper le souffle.

Roger Jaunin, Vigousse, vendredi 27 novembre 2020

 

 

Coup de coeur de Frédéric Bosser dans les critiques de dBD Magazine (Actualité de toute la bande dessinée)

Un pogo et ça repart …

A la fin des seventies, Hélène Becquelin a 16 ans et elle s’ennuie ferme avec les jeunes de son âge. Et pour cause … Alors que ses copines fondent sur le premier chanteur disco à la mode [en Suisse, c’était Patrick Juvet] et ses copains sur Supertramp ou les Bee Gees, Hélène Becquelin ne rêve que des Clash, Cure, Joy Division, Sex Pistols, Police dont elle a lu la critique des albums dans Rock&Folk. Quand elle finit par se procurer lesdits vinyles chez un disquaire de Lausanne, sa vie s’en trouve bouleversée … Elle trouve une famille d’adoption. Son premier acte consistera à se couper les cheveux, au grand étonnement de sa famille, car elle veut ressembler aux rockeurs qu’elle prend comme modèle. Puis elle parfait sa culture en ajoutant Best à ses revues favorites, en suivant l’émission Chorus présentée par Antoine de Caunes, en lisant les écrits de Fritz Zorn et en allant voir des films comme Alien, où la bête est dessinée par un compatriote suisse, ou ceux de Russ Meyer. De fil en aiguille, elle rencontre des personnes ayant les mêmes goûts qu’elle et apprend à s’émanciper. Cet album d’une grande humilité est un formidable regard sur le milieu rock en Suisse à cette époque et sur une jeune fille qui s’ouvre à la vie.

Coup de coeur de Frédéric Bosser, CRITIQUES/ LES ÉTOILES dBD, dBD magazine #148, novembre 2020

 

Hélène Becquelin, invitée de Julien Magnollay dans l’émission Tribu, RTS la première, lundi 26 octobre 2020 : écouter l’émission

 

Critique de Katia Furter sur le blog viceversalitterature.ch, le 06 octobre 2020

Lorsqu’en 2010, parut Angry Mum voit rouge, Hélène Becquelin réfutait avec véhémence avoir quelque lien que ce soit avec le monde de la bande dessinée. Elle était graphiste, un point c’est tout. Mais surtout elle n’avait pas la langue dans sa poche et ne l’a toujours pas ; d’où l’idée – le besoin ? – de s’exprimer sur un blog, celui d’Angry Mum, créé en 2006 et inspiré par Lynda Corazza et Lisa Mandel. Elle y dépeignait la vie quotidienne d’une mère de deux enfants. Le blog a fait l’objet d’une adaptation papier chez Glénat Suisse, qui fut suivie en 2021 de Angry Mum s’énerve. A propos de cette mère en colère, on peut lire sur le site de l’auteure la présentation suivante :

Y’a pas que le shopping dans la vie, il y a aussi les amis qui divorcent et ceux qui vieillissent mal, les sorties entre copines qui ne se passent pas comme dans les films, les corvées ménagères et les aléas de la vie de famille, les autres mamans et leurs gamins qu’on doit supporter… Pas de plans mode ni de recettes de cuisine mais des histoires qui racontent la vraie vie d’une maman face aux petites désillusions quotidiennes…

Tant le blog que les albums remportèrent un certain succès car on y retrouvait des scènes familières et des lieux lausannois connus. Il s’agissait de petites histoires allant d’une à quelques planches où texte et images, souvent bicolores, étaient ou non intégrés dans des cases. Si Hélène Becquelin commençait à entrer dans le monde de la BD et à y prendre goût, elle continuait à exercer son métier de graphiste, à créer des objets en laine cardée ou au tricot, à crier son amour pour la musique punk et pour Momo son compagnon. Les enfants grandissaient, elle sortait de plus en plus pour aller danser et voyager avec Momo. Un peu maman, de plus en plus Hélène, elle retrouvait une forme de liberté.

Fin 2016, on apprend, sidérés, la disparition du talentueux Philippe Becquelin, dit Mix & Remix, l’aîné d’une fratrie de trois dont Hélène est la cadette et Laurence la benjamine. Ce décès la plongea dans les souvenirs d’enfance et le désir de les raconter. Chose faite dans l’album, Adieu les enfants, paru en 2018, suivi d’un second tome l’année suivante.

On note une progression entre les deux albums. Le premier est une somme d’instantanés, de petits riens de l’enfance qu’on prend plaisir à découvrir ou à se remémorer. Au départ, prévus pour une exposition à l’Espace Richterbuxtorf à Lausanne, dans le cadre du Off du festival BD-Fil 2017, les dessins à la mine de plomb, isolés ou en planches, ont été complétés et organisés en album. Dans le second album, plus fluide et abouti, on retrouve les enfants, le père, la mère, les copines, la famille, héros de petites histoires qui viennent comme ça et nous touchent d’autant plus qu’on y reconnaît des symboles propres à la Suisse dans les années 60-70 ou à caractère universel.

Place à l’adolescence et à 1979. Son auteure nous avait avertis à la fin du tome 2 d’Adieu les enfants que le déménagement de la famille dans un autre quartier de Saint-Maurice et l’entrée au collège sonnaient la fin de l’enfance. Effectivement. 1979 débute par une double page sombre, vue en plongée sur Saint-Maurice de nuit, comme enserrée dans sa gangue. S’en échappe une voix : « Pffff… Je n’en peux plus » et quelques paroles de chanson. À l’occasion d’une sortie scolaire, Hélène est au cinéma, en porte-à-faux avec le film – Hair –, ses camarades, son professeur. Rien n’a grâce à ses yeux. Apparaît alors un drôle de personnage, sorte de saucisse noire sur pattes que seule voit la jeune fille ; réminiscence de l’ami imaginaire qu’on se choisit quand on est enfant. À ce stade, il s’agit de sa conscience, ce Jiminy Cricket va l’accompagner tout au long de l’album, y apportant un plus, une épaisseur au récit.

Cet ami-saucisse a de quoi faire car, l’adolescente de retour à la maison, les choses ne s’arrangent pas. Son frère l’agace avec son rock ; sa sœur l’agace avec sa musique disco. Une réflexion nous éclaire sur ce qu’elle ressent : « Pour l’instant, je sais ce que je déteste, mais pas encore ce qui me plaît. » La petite ville de Saint-Maurice, dont elle s’accommodait enfant, prend de nouvelles teintes, entre celles de l’aube des bonnes sœurs, omniprésentes, et celle de l’uniforme des militaires. Alors elle se cloître dans sa chambre, ce qui inquiète ses parents. Elle tente bien de retourner dans son ancien quartier pour y retrouver les amis d’alors, mais n’y trouve que des « babas » fumeurs de haschich qui picolent l’abricotine dérobée dans la cave du concierge et écoutent en boucle une musique qu’elle n’apprécie pas. Après leur avoir fauché quelques exemplaires de Rock&Folk, elle s’en va. C’est dans ce magazine qu’elle va tomber sur des groupes qui lui semblent – enfin – intéressants et dont font partie les Clash.

Lorsqu’Hélène veut s’offrir les disques découverts dans Rock&Folk, elle doit prendre le train pour Lausanne – toute une aventure – et oser entrer chez Sapri Shop, disquaire import alternatif. L’adolescente y détonne avec sa gentille coupe de cheveux et son duffle coat. Cela dit, le disquaire apprécie son choix de disques. Hélène se cherchait ? Elle a peut-être trouvé son style de musique et les attributs qui vont avec : cheveux courts, pantalons étroits, etc. Le tout en noir. À Saint-Maurice, elle passe dès lors pour la « pounk ».

1979 est organisé en chapitres qui portent chacun le nom d’albums sortis en 1979 et forment un ensemble hétéroclite. Ainsi on y croise Mireille Mathieu, Pink Floyd ou encore The Village People. Sur la fin apparaissent des groupes plus représentatifs de la musique qu’elle découvrait alors et qui était en phase avec ses aspirations : The Police, The Cure, Joe Jackson. En fin d’ouvrage, elle a recensé des disques de tous styles parus en 1979, ainsi que des films. On réalise alors la richesse de cette année-là.

À travers ce voyage dans le temps, Hélène Becquelin, avec le recul de l’adulte, livre au lecteur un récit tendre et souvent drôle sur l’adolescence, la vie de famille, l’émergence d’un nouveau type de musique représentatif des aspirations d’une partie de la jeunesse dans les années huitante. Et comme elle travaille à une suite, on se réjouit de la voir s’épanouir, « s’éclater » dans un Lôzane qui bouge sur cette musique punk qu’elle aime tant.

 

Sauvée par le punk

Hélène Becquelin croque son adolescence transfigurée par la musique punk dans «1979». Aussi électrisant qu’un solo de guitare.

Saint-Maurice: ses chanoines, ses nonnes, ses troufions… Comme tant d’autres adolescentes, Hélène Becquelin traîne son spleen dans cette ville qui a perdu la magie dont la parait son regard d’enfant. Avec des copines branchées Supertramp, une soeur cadette qui se déhanche sur les Bee Gees et un frère aîné (feu le dessinateur Mix & Remix) adorateur de Frank Zappa, la collégienne de 16 ans se sent en profond décalage «avec ses goûts bizarres».
Jusqu’à un jour de l’an de grâce 1979 où un son craché par le poste de radio familial rétablit l’harmonie. Ce son ébouriffant et totalement novateur, c’est le morceau «London Calling» des Clash. «Le punk rock m’a sauvé la vie!». Naufragée à la fin des seventies, Hélène va s’accrocher à cette planche de salut, ballottée au gré des envolées des Ramones et des Cure pour ne citer qu’eux dont elle écume les concerts avec sa bande de potes. Cette marmite de souvenirs, c’est paradoxalement le calme plat du confinement qui l’aura fait bouillir. Attisée par l’écoute de quelques disques cultes dans son appartement lausannois. La musique comme machine à remonter le temps. «C’est fou, c’est comme si elle s’emparait de mon crayon! Tout jaillissait», commente la graphiste qui signe avec «1979» son troisième roman graphique après les deux tomes d’«Adieu les enfants». «C’est davantage une BD», rectifie celle qui a le privilège d’exposer ses dessins jusqu’à la mi-octobre dans le temple genevois des phylactères, la galerie Papiers Gras.

Résonances actuelles

«1979» aurait dû voir le jour bien avant. Mais la vie et ses hourvaris en ont voulu autrement. Pas forcément un mal. «Finalement, ça m’a permis de faire écho à des thématiques actuelles, comme la place des femmes dans l’espace public», confesse la Lausannoise d’adoption, en référence au mouvement MeToo. Nimbé d’une tonalité plus sombre que les précédents albums, l’ouvrage n’en est pas moins d’une lecture plaisante. Le monstre noir – surnommé in petto «Spleen» par son auteure – dont est constamment flanquée la juvénile héroïne apporte une touche sympathique, un peu comme une voix off. «Il me permet bien des ellipses et facilite le déroulement du récit», explique Hélène Becquelin-Mottet en brandissant un tote bag à l’effigie de l’amène spectre. Pour cette plongée dans son passé, l’illustratrice a fait beaucoup de recherches iconographiques en plus de se repasser l’intégrale des Clash. «Je me suis retrouvée à mes 16 ans», sourit l’Agaunoise d’origine. Qui a poussé le vice jusqu’à créer, avec son mari, un site internet contenant la bandeson de l’album papier, soit une dizaine de morceaux emblématiques de l’époque. La veine autobiographique est loin d’être tarie puisqu’un prochain tome est déjà dans le pipeline. Un volet sur sa vie de jeune adulte à Lausanne. «J’y évoquerai plus la séduction et même le sexe. Ça risque d’être plus space», annonce la joviale artiste qui ne lâchera pas le morceau de si tôt.

Sarah Wicky, Le Nouvelliste, 5 octobre 2020

 

 

Hélène Becquelin, invitée d’Emmanuel Khérad dans l’émission La librairie francophone sur France Inter le 3 septembre 2020 aux côtés de Gaël Faye, Laurent Binet et Antoine Benneteau >> écouter l’émission

 

Hélène Becquelin, invitée dans l’émission Les Barbouzes sur Radio Chablais le 27 septembre 2020 >> écouter l’émission

 

Article de Samuel Jordan pour La Liberté, paru le 26 septembre 2020 >> vers l’article

 

HÉLÈNE ET LES GUITARES

Avec humour et noirceur, Hélène Becquelin évoque dans «1979» l’année de ses 16 ans, quand The Clash vient ébranler la morosité de Saint-Maurice. Punk not dead!

Son graphisme opérant la synthèse entre l’art pariétal et le no future, il est communément admis que Mix & Remix était un punk de la première heure. Seuls quelques intimes savaient qu’au moment où les Sex Pistols proclamaient Anarchy in the U.K., le dessinateur mimait dans sa chambre les solos de guitare de Frank Zappa… Dans 1979, Hélène Becquelin rétablit la vérité historique: c’est elle qui a vu la sombre lumière du Clash et de Joy Division, c’est elle qui a initié son «frangegomme» à leurs accords frustes et pleins de colère.

Hélène Becquelin a entamé avec Adieu les enfants 1 & 2 un émouvant travail de ressouvenance. Dotée d’une mémoire étonnamment précise, elle exprime le suc d’une enfance qui serait banale si elle ne la regardait pas avec les yeux du cœur. Après cette suite de tableaux aux saveurs douces-amères, la dessinatrice se concentre sur la fin des seventies et son adolescence. C’est en 1979 que sortent London Calling, du Clash, et Three Imaginary Boys, de Cure. Une année charnière pour Hélène. Elle a 16 ans et se sent différente. Le monde lui pèse, la musique des Bee Gees et de Supertramp l’ennuie. Et voilà qu’un riff de guitare l’arrache à sa morosité. Wam! Wam! Wam! Taadam!: l’intro de London Calling! Une épi-phanie! Elle contracte la punk attitude comme on entre dans les ordres et ne l’abjurera jamais. Elle rend aujourd’hui hommage à tous les gratteurs de guitare qui l’ont aidée à vivre. Dans 1979, Hélène la solitaire s’est inventé un compagnon, un doppelgänger qui ne la lâche pas d’une semelle. Cette ombre fuligineuse évoquant certains fantômes miyazakiens tente de la raisonner, de lui faire voir les beautés cachées de la vie – sans grand succès. Ce Barbapapa charbonneux introduit une touche d’humour. Sa noirceur contamine l’atmosphère. Le crayon d’Hélène Becquelin reste léger et précis, mais s’adonne à des noirs profonds traduisant aussi bien la suie existentielle que le drapeau anarchiste ou l’obscurantisme régnant encore à Saint-Maurice il y a quarante ans.

SAINT PATRON

Le récit d’Hélène s’inscrit dans l’histoire de la Suisse romande. En 1979, il fallait prendre le train jusqu’à la mégapole, Lausanne, pour trouver les disques qui faisaient du bruit – et éviter de se retrouver au milieu d’une manif de Lôzane bouge. Les vieux autochtones retrouvent avec émotion Sapri Shop, le petit magasin de disques sous le Grand-Pont qui vendait les musiques les plus extrêmes.
Saint-Maurice, ville de garnison au soleil parcimonieux, résiste aux avancées du progrès. En camp de ski, les bonnes sœurs montrent aux jeunes filles des diapositives de maladies vénériennes propres à les dégoûter de la sexualité. Et puis, le saint patron de la bourgade étant une des rares figures africaines du martyrologe, le carnaval s’enorgueillit d’un «bal nègre». Au cours de cette frénésie «blackface» bien imbibée, à la faveur de la nuit et sous leur couche de cirage, les mères de famille se font cougars, et la mine de plomb d’Hélène de s’enténébrer. Il faut signaler qu’à la dernière image, l’adolescente sautille dans la rue au soleil levant. Une belle rencontre et Damaged Goods de Gang of Four peuvent dissiper les ombres.

Antoine Duplan, Le Temps, 19 septembre 2020

 

Hélène Becquelin retrouve sa punk attitude

L’autrice romande revient dans 1979 sur l’importance du rock durant son adolescence.

Comme pour tout un chacun, chez Hélène Becquelin, un jour, l’enfance passe à la casse. Le charme guilleret et désormais désuet des activités du premier âge laisse place à d’autres types de passe-temps, exercés avec autant de passion qu’auparavant. Si l’origine de son art prend naissance à l’aube de son existence, dans une forme frénétique l’invitant à s’exprimer sous forme graphique, l’adolescence constitue aussi une période clé. Elle marque durablement l’autrice par une sorte de dépouillement du monde enfantin, puis un processus d’incorporation, notamment de bonnes vibrations aux sons de riffs de guitares principalement punk.

Mais en premier lieu gît un sentiment de décalage vis-à-vis du monde extérieur, une solitude. Alors que d’anciens camarades ne jurent que par Supertramp et que sa soeur se trémousse sur les Bee Gees, l’adolescente ressent un profond sentiment de vacuité renforçant son isolement. Tandis qu’elle se trouve en quête de sa propre identité pour pouvoir s’affirmer, un soir, la radio diffuse un morceau du groupe Joy Division. Cette écoute fait office de véritable révélation. Grâce à des revues (Rock & folk, Best), la jeune Hélène découvre les groupes phares de la scène rock.

Son look change. Dans sa ville de Saint-Maurice, on la traite de «pounk». A l’école religieuse, Soeur Fulberte fuit en la voyant. Il faut faire face aux questions liées à la «mauvaise réputation», au sein d’une localité à forte densité de curés et de militaires. Mais le monde de la musique se caractérise aussi par des liens d’amitié, sources d’échanges complices. Le sentiment d’éloignement vis-à-vis de ses contemporains s’atténue. Et les monologues intérieurs désabusés face à la société cessent de s’autoalimenter. Retour d’une certaine légèreté, d’une joie de vivre, traits révélateurs d’Hélène Becquelin, tant au niveau personnel qu’artistique.

Après les deux premiers tomes d’Adieu les enfants, on attendait que la bédéaste aborde cette nouvelle étape de sa vie. La dessinatrice a été profondément marquée par l’effervescence de la mouvance punk. Dans son atelier lausannois, elle évoque sa passion pour la musique, affirmant que les Clash lui ont «sauvé la vie». Le 6 mai 1981, jour où elle les a vus sur scène, resurgit de sa mémoire et est ainsi décrit comme l’un des moments les plus importants de son existence. Dans le même mouvement, le 22 décembre 2002, lorsque le chanteur du groupe Joe Strummer décède, Hélène Becquelin se souvient avoir pleuré toute la journée.

Nombre de lectrices et lecteurs se reconnaîtront dans cet assemblage de souvenirs, cette mise en scène de soi-même, et y verront un pan d’une mémoire collective, le souffle d’une génération. Pour ce roman graphique, l’autrice a adapté son style et trouvé un puissant ressort narratif en créant un personnage fictif: un fantôme, une sorte d’ange gardien, de coach. Cette figure facilite les transitions, et constitue un point de repère dans la succession des événements. Elle favorise aussi l’ellipse et la fluidité du récit, amenant également de la douceur. Car, malgré le côté parfois sombre de la transition entre l’enfance et l’adolescence, c’est sans pathos mais avec humour et décalage que l’artiste se remémore cette époque qui se révèle, au final, fort féconde au regard de sa création et de son apport au monde de la bande dessinée.

Fabrice Bertrand, Le Mag, Le Courrier, vendredi 18 septembre 2020

Hélène Becquelin: « la musique punk m’a sauvée »

Hélène Becquelin, dite « Angry Mum » (la maman en colère), raconte son année 1979 dans un roman graphique tout juste sorti des presses de la maison d’édition lausannoise Antipodes.

Hélène Becquelin pratique l’illustration, le graphisme et la BD sous une forme largement autobiographique. Elle se met d’abord en scène sur un blog, « Angry mum », qui va être à l’origine de son succès au cours des années 2000. Ses dessins la font découvrir mégère tendance bobo, mais douée de beaucoup d’autodérision. Elle a déjà exploré son enfance dans deux albums intitulés « Adieu les enfants », tome 1 et 2.

Elle s’attaque dorénavant à l’adolescence, période de tous les dangers… et des grandes illuminations aussi! « 1979 », année de ses 16 ans, raconte l’histoire d’une adolescente en décalage, qui va finalement trouver sa voie, sa tribu, grâce à la musique punk et retrouver espoir en l’avenir grâce à la vitalité de ceux qui pourtant criaient « no future ».

Un « coach mental » pour l’accompagner

Cela commence par une séance au cinéma, le film de Milos Forman « Hair » vient juste de sortir, tout le monde trouve ça génial sauf elle. Il faut dire aussi que, dans « 1979 », il y a un drôle de personnage qui accompagne l’auteure pas à pas, une longue ombre noire, qui n’a pas de nom, qu’elle est seule à voir, qui lui parle, qui commente tout ce qu’elle fait, la critique souvent, est parfois un peu dépassée: c’est sa dépression, raconte Hélène Becquelin, son « coach mental ».

« Quand j’ai commencé ma bande dessinée sans en faire un personnage, ça me rendait trop triste, parce que j’étais de nouveau plongée dans cet état d’âme de mes 17 ans où je n’allais pas bien. Et dès que je l’ai mis en place, il a amené un côté un peu fun à la bande dessinée », explique Hélène Becquelin à la RTS.

La rencontre avec le punk

Sa vie de famille est plutôt harmonieuse, même si on sent que quelque chose est en train de se disloquer, les frère et sœur se préparent à quitter le nid… mais il règne une compréhension, une tolérance, une acceptation de la jeune Hélène. En revanche, à l’extérieur, rien ne lui correspond: ni les petites parties de fumette dans les caves, ni l’école et ses bonnes sœurs, ni les élèves soumises, ni celles qui « s’émancipent ».

« Brigitte se la pète parce qu’un mec de plus de 18 ans vient la chercher à l’école. Mais ce type a la répute d’être tellement crétin qu’il ne peut se taper que des filles bien plus jeunes que lui. Se faire tringler par un bofiaud sur la banquette arrière d’une Opel Manta, bof, bof… » Extrait de « 1979 », Hélène Becquelin

Mais heureusement, il y a la rencontre avec cette musique punk dont la rage et la liberté (et les interprètes) vont lui montrer la voie d’un autre monde. Pour raconter cette rencontre, une planche, une double page très belle, où tout à coup l’artiste échappe à la pesanteur du quotidien et de la solitude: elle écoute Joy Division, est littéralement transportée, elle s’envole!

« En dessinant certaines scènes, je me suis retrouvée comme à l’époque, quasiment sortie de mon corps, presque une sorte de mini-transe… voilà pourquoi c’est chouette de dessiner, on est dans notre petit monde » Hélène Becquelin

Départ pour la « métropole »

C’est la musique qui pousse Hélène Becquelin à sortir de la ville de Saint-Maurice (VS). Elle va se rendre à Lausanne, la « métropole », la « grande ville » qu’elle voit dans « 1979 » très grande, un peu inquiétante, et en même temps riche de promesses… musicales mais pas seulement!

Restée une passionnée, elle continue de débusquer des nouveaux talents, de participer à des concerts en Suisse romande et bien au-delà, et à partager avec générosité ses goûts et émotions.

Reportage d’Isabelle Carceles, site RTS-Culture, 16 septembre 2020

Hélène Becquelin, invitée de Nadine Haltiner dans l’émission du 12h30, RTS, radio la Première, 14 septembre 2020 >> écouter l’interview

Hélène Becquelin la joue cash avec les Clash
L’auteure d’«Adieu les enfants» raconte son adolescence solitaire et décalée dans «1979»

Sur la platine, elle a posé le troisième album des Clash, «London Calling», qu’elle venait d’acheter. Aux premières notes – quelque chose comme Wam! Wam! Wam! » -Hélène Becquelin a écarquillé les yeux. Puis tandis que les membres du groupe punk rock britannique envoyaient toute la sauce sur fond de «Taaadam, Tadaaam!» l’adolescente qu’elle était à la fin des seventies a cru voir les murs de sa chambre s’écrouler dans un grand fracas de batterie et de guitares. «J’ai vraiment ressenti cette impression d’ouverture sur quelque chose de différent. La musique des Clash a bouleversé mon existence> assure l’Hélène d’aujourd’hui en tirant d’un rayonnage le vinyle original, à la pochette usée à force de manipulations.

Des rifts en rafale

Dans un coin de son atelier installé à l’intérieur de l’ancienne chambre de son fils Boris, une pile d’exemplaires défraîchis de «Rock&Folk» témoignent de la passion de l’auteure lausannoise pour la musique de Joy Division, des Ramones, de Cure et autres The Specials. Sans oublier les Clash, évidemment. Autant de groupes dont les ritfs résonnent au fil des pages de «1979», son nouveau roman graphique, une BD épatante à la tonalité plus sombre que ses précédents ouvrages. En couverture, Hélène Becquelin s’y dessine avec un étrange Barbapapa géant en burqa, qui l’accompagne en permanence. «On peut le voir comme un ami imaginaire. Il m’autorise différentes ellipses. Mais il symbolise surtout mon mal-être.» Car en 1979, l’Hélène de seize ans n’en mène pas large. «j’étais en pleine crise d’adolescence, dépressive. Je me sentais seule, isolée.» Pas du tout comme ses copines de collège qui écoutaient Supertramp et s’en allaient mater les garçons après les cours. «Jusqu’à ce que je découvre ce qui me plaise, ça n’allait pas fort.» Elle qui se sentait plouc, va devenir punk. Ou plutôt «pounk» comme on di· sait à Saint-Maurice, la ville où elle a grandi, bourrée de militaires et de religieux. Aux Tuileries, un établissement scolaire réservé aux filles, des bonnes sœurs patrouillent dans les couloirs. Durant une «retraite religieuse» au Simplon, elles gratifient les élèves de cours d’éducation sexuelle. Mémorable soirée diapos, ponctuée de cette mise en garde: «Si vous faites l’amour avec des garçons, vous risquez de vous faire infecter par des maladies vénériennes!» Hélène, elle, ne s’en laisse pas conter. La petite provinciale au look BCBG se teint les cheveux en noir et se les coupe à la garçonne, pour mieux ressembler à ses idoles. Les bonnes sœurs fuient en courant, effrayées. À la maison en revanche, ses parents acceptent plutôt bien la mutation de leur fille. «Ils ont toujours été supercool. Les Clash ou les Ramones ne les intéressaient pas, mais ils respectaient ce que j’aimais.» En famille, difficile de parler musique. Son frère aîné Fifi (ndlr: le futur dessinateur Mix&Remix) est branché Frank Zappa. Hélène abhorre. Sa cadette, Lolo, écoute les Bee Gees en boucle et réalise des chorégraphies avec leurs chansons: «Ah, ah, ah, staïyngue alaaïiiive!» Ambiance … «En réalité, j’ai un peu déformé la réalité pour les besoins de la narration», avoue l’Hélène de 2020. «Mon frère et ma sœur constituent des alibis qui me permettent de montrer les autres courants musicaux de l’époque. Réellement, j’ai fini par contaminer tout le monde avec mes goûts. C’est Fifi qui m’a acheté mon premier vinyle des Clash (ndlr: le fameux «London Calling»), Ça lui a tellement plu qu’il est retourné au magasin de disques en chercher un pour lui!»

La force de la musique

De l’authentique pas piqué des hannetons et du presque vrai teinté d’humour, Hélène Becquelin en a plein la besace. Comment s’est-elle remise en mémoire des faits remontant à plus de quarante ans? «La musique aide beaucoup. J’ai réécouté des titres de différents albums et j’ai replongé instantanément dans cette époque. Le dessin possède lui aussi cette force. Certains événements sont revenus sous mon crayon sans que je m’y attende.» À l’aise dans ce registre, l’auteure de «1979» n’en a pas fini avec l’autobiographie. Dans un coin de sa tête, elle songe déjà à son prochain roman graphique. «J’évoquerai ma vie de jeune adulte. Ça va pas mal parler de séduction. De sexualité aussi. Et de concerts forcément … »

Philippe Muri, Tribune de Genève, Samedi-dimanche 12-13 septembre 2020

Liens audio et video

Léman TV
Léman TV

Hélène Becquelin invitée de Céline Argento dans l’émission Céline, ses livres du 19.04.22 sur Léman bleu TV en compagnie de Marion Canevascini >> à voir ici

 

Hélène Becquelin, invitée dans l’émission Les Barbouzes sur Radio Chablais le 27 septembre 2020 >> écouter l’émission

Hélène Becquelin, invitée d’Emmanuel Khérad dans l’émission La librairie francophone sur France Inter le 3 septembre 2020 aux côtés de Gaël Faye, Laurent Binet et Antoine Benneteau >> écouter l’émission

Hélène Becquelin, invitée de Julien Magnollay dans l’émission Tribu, RTS la première, lundi 26 octobre 2020 >> écouter l’émission

Hélène Becquelin, invitée de Nadine Haltiner dans l’émission du 12h30, RTS, radio la Première, 14 septembre 2020 >> écouter l’interview

Prix

1979 a reçu le Prix BDZOom 2022 et figurait parmi les finalistes du Prix suisse de la meilleure BD 2021 !

Prix BDZOom, article dans le 24H
Prix Delémont’BD