La mort appréciée
L'assistance au suicide en Suisse
Berthod Marc-Antoine, Castelli Dransart Dolores Angela, Pillonel Alexandre, Stavrianakis Anthony,
ISBN: 978-2-88901-197-1, 2021, 340 pages, 29 €
Quelles sont les situations vécues par les personnes directement concernées par l’assistance au suicide en Suisse ? Par sa dimension descriptive, cet ouvrage contribue de manière inédite et originale à la compréhension d’un enjeu de société souvent débattu dans les médias.
Description
Ce livre propose une immersion dans les réalités de l’assistance au suicide. Il se fonde sur une étude ethnographique qui restitue le point de vue de personnes recourant à une telle assistance ainsi que celui des individus susceptibles de prendre part à un tel processus : personnes sollicitant une aide au suicide et leurs proches, accompagnateurs et accompagnatrices d’associations d’aide au suicide, médecins, psychiatres, personnels soignants, pharmacien·ne·s, agent·e·s de police, médecins légistes, procureur·e·s ou employé·e·s des pompes funèbres.
Avec force et détail, il rend compte de toute la mise en place d’une assistance au suicide et documente de manière inédite – à partir d’observations directes – la réalisation même d’un suicide assisté et toute la procédure médicolégale qui la suit. Cet ouvrage fait le récit d’une série de cas, suivis parfois durant près de deux ans, pour tenter de saisir la façon dont l’idée consistant à vouloir donner une telle forme à la mort a émergé chez une personne – jusqu’à sa mise en oeuvre. L’ouvrage offre une compréhension aussi complète que possible du dispositif d’assistance au suicide en Suisse.
Table des matières
INTRODUCTION
Itérations collaboratives
L’envergure du terrain
Une entreprise descriptive et narrative
1. L’IMAGINAIRE DU POSSIBLE
L’histoire de Paul-André Damar
Évidence, surdétermination et indétermination
2. LA MISE EN PLACE D’UNE ASSISTANCE AU SUICIDE
Constitution et validation de la requête
Préparer un accompagnement
De l’acceptation de la demande à l’imminence de la mort
3. DE 8 HEURES À 12 HEURES
Le suicide de Germaine Stallian
Scènes et coulisses de l’assistance au suicide
4. POST-MORTEM
Contrôle de police
L’investigation médico-légale
Le Ministère public
La levée de corps
5. CIRCONVOLUTIONS DU DEUIL
Enjeux d’accusation
Appropriations
Affections
TRAVAUX SUR L’ASSISTANCE AU SUICIDE EN SUISSE
Chapitre 1. L’imaginaire du possible
Chapitre 2. La mise en place d’une assistance au suicide
Chapitre 3. De 8 heures à 12 heures
Chapitre 4. Post-mortem
Chapitre 5. Circonvolutions du deuil
DE LA PHOTOGRAPHIE À L’ESQUISSE :
LE POINT DE VUE DE L’ARTISTE
DOCUMENTS ET SITES DE RÉFÉRENCE
BIBLIOGRAPHIE
Presse
Suicide sur ordonnance, le modèle suisse
Profitant d’un vide juridique, des associations aident des personnes à se donner la mort.
Ce modèle pourrait inspirer la France, alors que la convention citoyenne rend son rapport le 2 avril.
Je vais mourir mardi 18.» Ce 7 octobre 2016, dans le canton de Genève, en Suisse, quatre frères et soeurs septuagénaires écoutent leur aîné, Charles (le prénom a été modifié), bientôt 83 ans, expliquer qu’il se suicidera dans quelques jours, avec l’aide d’Exit, une organisation suisse d’assistance au suicide. Le premier-né de la fratrie Mermod leur a envoyé une lettre, datée du 1er avril 2016, faisant état d’une qualité de vie «inacceptable». Parallèlement, Charles sollicite le diagnostic d’un radiologue : «Monsieur Mermod est en bonne santé générale pour son âge, mais la diminution de ses capacités physiques durant les six derniers mois ainsi que les douleurs diverses restreignent significativement sa qualité de vie». Le praticien note une «dégénérescence maculaire liée à l’âge» (baisse progressive de la vue), une déchirure du tendon et une «incontinence urinaire». Un autre médecin, conseil d’Exit, confirme ensuite qu’il souffre de «polypathologies plus ou moins invalidantes», et prescrit le pentobarbital, un barbiturique que le suicidaire doit ingurgiter ou recevoir par intraveineuse.
«C’était d’une très grande violence», se remémore Claude, plus de six ans après, dans son jardin où s’égaillent les poules au pied du Salève, la montagne qui domine Genève. Le cadet, 70 ans à l’époque, est sidéré par la décision de son aîné, avec qui il explore chaque semaine les cimes environnantes. «En septembre 2016, nous faisions encore de la randonnée dans les Alpes vaudoises !», s’exclame-t-il , photos à l’appui. «Mon frère était certes âgé, mais il n’était pas malade du tout.» Très vite, l’instituteur à la retraite est envahi par un malaise. La famille se déchire, entre ceux qui supplient Charles de renoncer à son projet, et ceux qui acceptent sa décision.
DES SUICIDES ASSISTÉS MAIS PAS D’EUTHANASIES
Contrairement à la Belgique, qui a dépénalisé l’euthanasie en 2002 , la Suisse l’interdit par l’article 114 de son Code pénal. En revanche , l’article 115 n’interdit pas clairement le suicide assisté et ne condamne que celui qui participe à cet acte s’il est «poussé par un mobile égoïste». Aider de manière altruiste une personne suicidaire est donc possible, en conclut l’association Exit, qui organise en 1998 la première mort assistée en Suisse romande . En l’absence de loi précise, seuls la capacité de discernement et l’état de souffrance sont retenus comme conditions. C’est la personne elle-même qui met fin à sa vie, en déclenchant une injection ou en ingérant une potion . Le rôle des médecins se borne à établir un diagnostic et à prescrire le produit nécessaire à l’acte, apporté par l’association le jour venu. Il leur est interdit d’effectuer le geste fatal, même s’ils peuvent être présents lors des faits, en civil, non en blouse blanche. En 2020, Exit a assisté 369 suicides en Romandie et 913 en Suisse alémanique et au Tessin. Revendiquant 188000 membres, l’organisation réserve son aide aux résidents suisses, dont la cotisation couvre les frais de suicide. D’autres, comme Dignitas, dissidente d’Exit et basée à Zurich, accueillent des étrangers, qui doivent débourser jusqu’à 10000 euros, hors transport et hôtel. Docteure près de Bâle, Erika Preisig a fondé Lifecircle en 2011 après avoir oeuvré pour Dignitas. «J’ai accompagné des patients en soins palliatifs pendant 21 ans, jusqu’à ce que mon père soit victime de deuxAVC, témoigne t-elle. Il a essayé de se suicider chez moi, en ingurgitant des médicaments. Je lui ai donné la possibilité de mourir avec Dignitas, en 2006. L’expérience d’une mort assistée, sans souffrance, a changé mon opinion. C’est doux, et il y a tellement de gratitude !»
Erika Preisig a ensuite participé à plus de 500 suicides, tout en se déclarant opposée à l’euthanasie. « La responsabilité de mourir doit relever de la personne :je ne veux pas tuer quelqu’un. Même si l’euthanasie était autorisée, je ne la pratiquerais pas. » À l’entendre, cette nuance évite la banalisation. «Les morts assistées ne représentent que 1,5 % des décès en Suisse, alors qu’on est à 2,5% en Belgique et 4% aux Pays-Bas. C’est moins facile de le faire soi-même.»
Ultime différence avec la Belgique, les suicides assistés ne sont pas qualifiés de morts naturelles et déclenchent toujours une enquête de police, contrôle post mortem qui varie selon les individus. «J’ai assisté à la colère d’une légiste, constatant que la capacité de discernement d’une personne atteinte d’une maladie neurologique dégénérative n’était ni signée ni datée», confie Alexandre Pillonel, chercheur à la Haute École de travail social et de la santé de Lausanne, coauteur de la Mort appréciée (Antipodes, 2021), vaste enquête sur l’assistance au suicide. «Le médecin auteur de l’ordonnance a naïvement reconnu qu’il avait délivré un passe-droit, mais les policiers ont jugé que tout était en ordre.»
DES MOTIFS SOCIAUX OMNIPRÉSENTS
Grâce au vide juridique, que l’Etat fédéral ne veut pas encadrer, les critères d’accès au suicide sont souples. Dès 2002, Dignitas organise le suicide de deux trentenaires français souffrant d’une maladie psychique. «Nous n’avons pas encore aidé de mineur, mais on pourrait le faire un jour», estime Jean-Jacques Bise, coprésident d’Exit en Suisse romande, qui a récemment rendu visite à un malade âgé de 17ans atteint d’un cancer. «En tout état de cause, l’article 115 ne fixe pas d’âge.»
Dans ce contexte, les associations acceptent les personnes souffrant d’affections liées à l’âge, sans être en fin de vie. «Au moins 30 % des gens que nous aidons », évalue Erika Preisig. La vieillesse serait-elle une maladie incurable ? «C’est la souffrance qui est importante. Pourquoi attendre, si vous avez bien réfléchi ?» En 2018, la docteure a organisé le suicide du botaniste australien David Goodall (104 ans). Exit a fait de même pour le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard, en 2022.
Erika Preisig précise cependant qu’elle n’aurait pas aidé Jacqueline Jencquel. En 2018, cette retraitée française, sans maladie, avait annoncé son suicide en Suisse pour 2020, avant de changer d’avis à la naissance d’un petit-fils, puis de se donner la mort à Paris, en 2022, à 78 ans. «Elle avait un problème avec sa vieillesse, qu’elle voulait interrompre. Pour moi, c’est affreux! Si ça prend cette tournure, une pression s’exercera sur les gens âgés», estime la docteure. «Il faut toujours une raison médicale pour accéder au suicide assisté, nuance Alexandre Pillonel, mais les motifs sociaux sont omniprésents dans les histoires que nous avons documentées : ”,J’ai perdu le sens de ma vie, je ne veux pas être un poids pour…” De plus, les polypathologies ouvrent la porte à des interprétations très compliquées: j’ai vu des légistes fâchés de lire Vincontinence parmi les motifs d’un suicide.»
Claude, lui, assure que la Suisse a déjà franchi un cap. «Le suicide assisté devient une formule bien éduquée pour faire « partir » les vieux», s’insurge-t-il. Son frère Charles avait exprimé la peur de «devenir soudain une charge» pour ses proches. «Maintenant que nous sommes avertis, voudrais-tu que nous te laissions tomber ?», lui écrit le cadet avec son frère Bernard et une de leurs soeurs. Échouant à le convaincre, Bernard et Claude portent plainte contre le vice-président d’Exit en Romandie, le docteur Pierre Beck, ce qui ajourne l’organisation du suicide. Le 11 novembre 2016, Charles se tue par ses propres moyens. «Je regrette sa souffrance, pas d’avoir essayé de lui sauver la vie, confesse Claude, les yeux humides. On m’a dit que c’était son choix… Mais la mort nous implique, qu’on le veuille ou non. On est tous “dans la sauce”. Au moins je ne me suis pas débiné.»
INFLUENCE DU NÉOLIBÉRALISME
La douleur de Claude se heurte au principe de l’autonomie absolue dont se prévalent Exit et ses organisations soeurs. «Tout en déployant un imaginaire mystique sur le suicide comme “autodélivrance”, des rites et un prosélytisme qui devraient les classer parmi les mouvements religieux, ces associations ont une vision non communautaire de l’être humain, séparé de son environnement, comme si les proches n’étaient pas touchés», constate Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse et ancien membre de la Commission suisse nationale d’éthique. «On voit bien l’influence de l’économie néolibérale. Pourtant, nul n’est une île !» Le médecin n’est pas opposé au suicide assisté en phase terminale, «mais, en Suisse, on s’en écarte pour aller vers la “fatigue de vivre” des personnes âgées». Pierre Beck, poursuivi en 2016, a été acquitté le 6 février 2023, après avoir aidé un couple d’octogénaires à mettre fin à ses jours. L’épouse, en bonne santé, ne voulait pas survivre à son mari atteint d’un cancer.
Paradoxalement, la liberté de se suicider devient force de loi en Suisse : la plupart des cantons romands ont imposé cette pratique aux hôpitaux et maisons de retraite subventionnés par référendum ou vote parlementaire. À Neuchâtel, la congrégation de l’Armée du salut, qui refusait de laisser entrer Exit dans sa maison de retraite, a été déboutée par le tribunal fédéral. «II a jugé que la liberté d’autonomie de la personne est prioritaire sur la liberté de conscience de l’institution»,se félicite Jean-Jacques Bise. «En Suisse, du paradis fiscal on est directement passé au paradis fatal»,tempête Claude dans un livre. Entre-temps, il a découvert que son frère, ruiné, hébergé par sa compagne, Gerlind, avait promis de mourir avec elle le jour de ses 90 ans. « Gerlind est décédée en 2014, avant la date prévue. Charles s’est retrouvé seul, dans une villa qui ne lui appartenait pas. Je suppose qu’il s’était engagé auprès des enfants de sa compagne à libérer la maison.»
Article de Pierre Jova dans l’hebdomadaire La vie, le 30 mars 2023.
L’OEIL ECOUTE.
À propos de l’ouvrage collectif de Marc-Antoine Berthod, Dolores Angela
Castelli Dransart, Alexandre Pillonel, Anthony Stavrianakis (2021). La mort appréciée.
L’assistance au suicide en Suisse. Antipodes.
À partir de plusieurs entretiens très nourris sur le plan biographique et extrêmement respectueux des processus décisionnels, le premier chapitre éclaire les conditions attendues sur un plan médical, sur un plan légal pour être bénéficiaire, ayant-droit à l’accompagnement du suicide assisté, qui mobilise bien des acteurs, le patient, la patiente restant bien évidemment le et la principale destinataire et bénéficiaire. La situation minutieusement décrite de M Paul André rencontré à plusieurs reprises, de son épouse, de son médecin et de son accompagnatrice, reste toujours une affaire très singulière ; « Paul André a pris soin de différencier cette démarche tant par les causes qui l’ont conduit à accomplir le geste ultime que par les conséquences qu’il s’est représentées sur les membres de sa famille … une telle décision a plutôt été conditionnée par la dégradation de son corps, la perte de sa mobilité et ses rôles sociaux qu’il occupait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cercle de ses proches. L’option du suicide assisté a plutôt été appréciée au gré du développement des circonstances médicales, des expertises qui en découlaient et des ressources qu’il avait à sa disposition dans son réseau familial, jusqu’à devenir la seule issue susceptible d’apporter à ses yeux – et à ceux des proches aussi confort et réconfort » (Pillonel et al., 2021, p. 57).
Ces extraits du premier chapitre « L’imaginaire du possible » montrent bien le processus mobilisé, qui demande de prendre du temps, de la patience, de l’écoute et qu’à l’appui à la fois des informations médicales, des points de vue des expertes et experts médicaux, mais aussi de l’entourage proche, que le choix de la date, du moment est toujours de la responsabilité du ou de la patient·e qui met en oeuvre ce choix de fin de vie : d’où le choix du titre de l’ouvrage La mort appréciée : il s’agit bien d’une appréciation par le sujet lui-même éclairé par d’autres, comme le soulignent le et les auteur·es . C’est extrêmement éclairant dans cette démarche évoquée comme un processus lent et complexe : « le suicide assisté de Paul André ne me paraît pas concevable comme le résultat d’un choix, mais comme la finalité ex post d’une trajectoire qui a été marquée par l’horizon d’une mort certaine compte tenu de l’incurabilité de la maladie et du désir de Paul André de conserver – notamment par le biais de nos rencontres – un sentiment de dignité jusqu’à la fin » (Pillonel et al., 2021, p. 58). Ce que nous retenons déjà de l’approche clinique d’avec deux des patients rencontrés, et sans trop paraphraser les auteur·es chez les personnes qui se sont faites à l’idée d’un suicide et qui sont allées jusqu’à approcher une association d’aide à mourir dans la dignité est qu’il reste une part d’ombre. Et au fond, pour le psychanalyste que je suis, c’est aussi ce qui met en relief la part mystérieuse de la vie, de l’existence, même lorsqu’elle est à son terme, la part énigmatique qui échappe toujours, qui reste incompréhensible, qu’aucune rationalité ni logique ne résolvent à vouloir tout éclairer ou comprendre, cette part d’ombre mise en lumière par ces travaux est très précieuse, et très précise également.
Extrait de la recension de Patrick Pelège dans la Schweizerische Zeitschrift für Soziale Arbeit, n°30, 2022.
« La mort appréciée », une étude toute en nuance
Une récente publication des Editions Antipodes donne à comprendre la complexité de l’assistance au suicide. Un travail de terrain en profondeur.
C’est une immersion complète que les Editions Antipodes proposent avec leur nouvelle publication au titre quelque peu interpellant : La mort appréciée. Cette lecture au souffle retenu n’a pas la superficialité du sourire que décroche cette figure de style – un oxymore osé pour un sujet malgré tout encore tabou – mais bien la profondeur d’une étude de terrain impliquant de nombreux·ses partenaires.
La publication a le mérite, avec une juste distance grâce à un travail de narration précis, d’offrir une compréhension du dispositif d’assistance pour la Suisse, ainsi que des enjeux émotionnels et relationnels.
Des chercheur·se·s présent·e·s, parfois jusqu’à la fin
Les 340 pages de cet ouvrage relèvent d’une étude ethnographique. Sa particularité est que les chercheur·se·s ont investi un rôle de participant·e·s durant le long parcours de l’assistance au suicide. Les scientifiques ont rencontré à plusieurs reprises des personnes ayant sollicité une telle assistance, ainsi que leurs proches. Cette présence a parfois duré jusqu’à l’acte même du suicide et à la levée du corps.
Les faits que les scientifiques relatent relèvent de suivis d’environ deux ans, de quinze situations d’assistance au suicide entre 2016 et 2020. Il s’agit ainsi de plus de huitante rencontres formelles et informelles.
Signer de sa présence en tant que scientifique est bien là l’originalité de cette étude. Ce choix, radical, implique des mesures éthiques en termes de participation et de responsabilités. Les auteurs et les autrices mettent en évidence les possibles jeux d’accusation et d’investissement. Le doute d’avoir fait le « bon choix » en étant présent·e demeure en filigrane des diverses situations. Cette remise en question conduit les auteurs et les autrices à aller au-delà des aspects juridiques et ouvre sur une autre interrogation : leur présence, a-t-elle, ou non, facilité l’acte ?
La Suisse ou la pratique de la « parazone »
L’institutionnalisation du suicide n’a rien de nouveau. Guy de Maupassant en avait déjà imaginé les grandes lignes. En Europe, la Suisse occupe une place particulière et les médias, la littérature, ne manquent pas de manifester leur intérêt en la matière. Pour résumer, l’assistance au suicide en Suisse s’y déploie dans une zone faiblement délimitée, poreuse et néanmoins séparée de la pratique médicale. Pour reprendre le titre de l’article du juriste Gunther Arzt [1], il s’agit d’une véritable zone grise.
En Suisse, le passage de la vie à trépas se fait dans une « parazone », contrairement aux autres pays où cela se déroule dans un milieu médical ou en privé sans accompagnement spécifique. Et dans cette « parazone », cette étape s’effectue avec la combinaison d’une autorisation médicale et d’un accompagnement réalisé par une association. Dans cet ouvrage, les deux associations qui ont collaboré avec les scientifiques sont Exit pour les cantons romands, et Lifecircle pour la région de Bâle ainsi que les personnes résidant à l’étranger.
Les motivations ou l’imaginaire du possible
Comprendre le choix de quelqu’un qui sollicite une assistance au suicide demande un véritable travail d’ouverture et d’engagement chez les scientifiques. Dans cet ouvrage, c’est un espace ouvert de raisons, de motivations, d’intentions, d’expériences, de craintes et d’événements qui est exploré, décrit. L’imaginaire des scientifiques rentre en résonnance avec l’imaginaire de celui ou celle qui sollicite l’assistance au suicide. Toutefois, les signataires de cette étude ethnographique ont clairement mis de côté la volonté de saisir l’imaginaire de la mort, du suicide d’une collectivité, tenant également à distance l’impressionnante littérature en bioéthique relative à l’assistance au suicide. C’est bien dans une histoire individuelle, unique, que les scientifiques s’immergent. À cet effet, les scientifiques prennent comme postulat théorique la notion du « possible » et donc de « l’imaginaire du possible », toutes deux notions inspirées des réflexions du philosophe Henri Bergson.
Dans la narration de chaque rédacteur et rédactrice se déploie ce qui a été pensable, devient pensable avant d’être actualisé. Dans le cas présent, pour les personnes accompagnées, il s’agit de leur propre mort.
À l’appui, un travail d’écriture précis
Il est à souligner le remarquable travail d’écriture de cet ouvrage. Pour inviter cet imaginaire à s’ouvrir, les scientifiques ont choisi de rédiger leur texte à la première personne du singulier. Dans la narration des différentes situations, le « je » est pleinement investi, campé sur le fil tendu de l’observation. Il s’y dresse entre un présent foisonnant, un passé qui ressurgit et un futur d’incertitudes, d’interrogations, de soulagement. L’émotion n’est jamais loin. La complexité des situations écrites est redonnée avec une intensité jamais arrêtée dans des conlusions de vérités scientifiques irréfutables.
[1] Arzt Gunther (2009), “Sterbehilfe in de Grauzone”, Recht, 6B, 48/2009, Zweiter Basler Fall
Article de Luisa Campanile sur le site de Reiso.org, 29 juin 2021