Les intellectuels de gauche
Critique et consensus dans la Suisse d’après-guerre (1945-1968)
Buclin, Hadrien,
2019, 523 pages, 34 €, ISBN:978-2-88901-149-0
Les intellectuels de gauche s’intéresse à l’engagement des intellectuels progressistes dans la vie politique suisse, de la fin de la Seconde Guerre mondiale au fameux cycle de contestation de 1968, une période souvent délaissée par la recherche historique.
Ce livre permet aussi de mieux comprendre le conservatisme helvétique de l’époque de la guerre froide et la manière dont l’establishment a marginalisé, voire réprimé, des personnalités jugées trop critiques.
Description
Les intellectuels de gauche s’intéresse à l’engagement des intellectuels progressistes dans la vie politique suisse, de la fin de la Seconde Guerre mondiale au fameux cycle de contestation de 1968, une période souvent délaissée par la recherche historique.
Revenant sur l’action politique de personnalités, parfois oubliées, qui ont préparé le terrain à la contestation des années 1970, ce livre permet aussi de mieux comprendre le conservatisme helvétique de l’époque de la guerre froide et la manière dont l’establishment a marginalisé, voire réprimé, des personnalités jugées trop critiques.
Alors que la recherche historique en Suisse est souvent fragmentée, en raison du plurilinguisme et du fédéralisme, ce livre propose une véritable histoire nationale, impliquant aussi bien la partie alémanique que francophone du pays, sur une période couvrant un quart de siècle, tout en replaçant la vie politique et intellectuelle helvétique en perspective européenne et internationale.
Il restitue enfin dans toute leur complexité la diversité des courants et sensibilités au sein de la gauche et leur évolution.
Table des matières
Introduction
Partie liminaire: un portrait de groupe
Partie I: Espoirs et désillusions de l’immédiat après-guerre (1945-1949)
• L’immédiat après-guerre en Europe occidentale
• La continuité conservatrice en Suisse
• Intellectuels de gauche et courants politiques
• Débats d’immédiat après-guerre
Partie II: Au cœur de la guerre froide (1950-1961)
• L’Europe occidentale des années 1950
• Défense spirituelle et anticommunisme
• Débats des années 1950
Partie III: L’émergence d’une nouvelle génération à gauche (1962-1968)
• L’Europe occidentale des années 1960
• Recul de la Défense spirituelle et essor d’une nouvelle génération à gauche
• Débats des années 1960
Conclusion
• Sources et bibliographie
• Notices biographiques
• Notices des partis, institutions et associations
• Notices des journaux et revues
• Index des noms
Presse
Compte rendu d’Alain Clavien du livre d’Hadrien Buclin paru dans la Revue suisse d’histoire, 2024/2.
« En Suisse, l’histoire culturelle s’est d’abord intéressée aux intellectuels de droite. Parce que dans ce pays l’intellectuel naît à droite, parce que ce sont eux qui longtemps monopolisent les positions dominantes dans ce champ. Par la suite, quelques études et plusieurs biographies ont commencé à défricher l’autre camp. Le livre d’Hadrien Buclin apporte une contribution majeure à cette histoire, d’autant qu’il couvre notamment cette période un peu délaissée de l’histoire suisse que constituent les années 50.»
Article complet à retrouver en ligne sur le site des éditions Schwabe.
Les lectrices et lecteurs de nos Cahiers sont sans doute pour la plupart des intellectuels, et de gauche. Ah, qu’ils seraient comblés d’être reçus comme des prescripteurs, des timoniers guidant le peuple ! Ah, si revenait l’époque de Sartre, de Camus, d’André Gorz ! Oui, vraiment ?
Les intellectuels dont Hadrien Buclin étudie les positions et le devenir dans sa thèse – un pavé – n’ont pu jeter que de petits pavés dans la mare insipide du consensus helvétique de l’époque. Ils l’ont souvent payé cher : qu’on pense à André Bonnard, à Konrad Farner, à Nils Andersson… Ils avaient affaire à un monstre mou, avec son partenariat social, sa culture du compromis et sa formule magique, le mutisme sur les arrangements avec le nazisme et le fascisme, l’intégration de la social-démocratie dans les institutions, les programmes scolaires évitant les questionnements, on peut poursuivre la litanie.
Il n’est pas impossible que certains des personnages présentés aient rêvé d’être des prescripteurs et de se gagner l’adhésion du peuple entier, les premiers pro-chinois sans doute, peut-être aussi un Freddy Buache, voire un Sylvain Goujon. Mais ils ont courageusement été partout, dans les partis, les syndicats, les courants socialistes religieux ; ils ont publié des revues, bravé les critiques, parfois la prison ou les interdictions professionnelles.
Le livre nous raconte cela de manière souvent prenante. Un de ses nombreux intérêts est l’éclairage qu’il offre sur les mouvements et personnalités alémaniques, notamment les « non conformistes » autour de la revue Neutralität, peu connue en langue française.
Hadrien Buclin reste assez attaché à la forme du parti politique, il comprend moins bien les marginaux et dissidents, les pacifistes sans parti, l’anticommunisme de gauche qui a aussi été présent en Suisse. On peut regretter que certaines sources lui aient échappé, mais la faute à qui ? Il ne prétend pas établir un répertoire exhaustif. On croise ainsi dans ses pages Anne-Catherine Menetrey, mais pas Anne Cuneo, ni les premières élues dans les cantons, Eugénie Chiostergi, Marceline Miéville (en 1959, le quotidien socialiste Le Peuple craint une « invasion de jupons »…). Les réfractaires français à la guerre d’Algérie qui ont exercé une influence indéniable sur le Mouvement démocratique des étudiants sont peu identifiés. Et la Suisse italienne est absente, que pouvait-il bien s’y passer ?
On pourrait aussi gloser sur les notions de gauche et de droite. Les pacifistes et antimilitaristes sont-ils toujours de gauche ? Les anticommunistes, de droite ? Le sous-titre de l’ouvrage, Critique et consensus, invite à poursuivre le débat.
Marianne Enckell, Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier n° 36, 2020 ; lire la chronique de Hans-Peter Renk également dans le même numéro.
Les intellectuels de gauche
L’historien Hadrien Buclin revient sur une période généralement peu étudiée, celle qui s’étend de l’immédiat après-guerre à la veille des événements de 1968. Elle correspond à l’intégration du Parti socialiste suisse au sein du Conseil fédéral et à ses débuts difficiles comme acteur gouvernemental. Cette situation inédite a suscité des doutes au sein de la gauche helvétique. C’est l’objet de la recherche. Le PSS évoluait dans un paysage marqué par un fort conservatisme, mâtiné d’un anticommunisme virulent, y compris en son sein. L’auteur propose une analyse fine tant des débats qui ont agité les milieux de gauche que des voix, masculines à de rares exceptions près, qui les ont portés. Le passé récent de la Suisse, la neutralité et le consensus politique sont autant d’objets d’interrogations critiques. La marche du monde et les tensions nées de l’affrontement est-ouest ont également préoccupé la gauche suisse. La force de cette étude est d’avoir embrassé la question à l’échelle helvétique, malgré l’écueil dû au fédéralisme et au multilinguisme. L’auteur offre ainsi un panorama des acteurs et actrices (individus, publications, associations) et des idées qui ont marqué cette période.
Compte-rendu de Nicolas Gex, parution dans le numéro 52 de la revue Passé simple
Compte-rendu sur le site hsozkult, spécialisée en histoire
Cet ouvrage d’Hadrien Buclin, tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 2015 à l’Université de Lausanne, propose une histoire des intellectuels de gauche en Suisse, de la sortie de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux « années 68 ». Il procède pour cela en trois temps, en dressant le tableau de la situation politique dans l’immédiat après-guerre (Partie 1 : Espoirs et désillusions), au cours des années 1950 (Partie 2 : Au cœur de la Guerre froide) et enfin durant les prolégomènes de 1968 (Partie 3 : Nouvelle génération à gauche). Ce très riche travail représente une précieuse contribution à l’histoire culturelle de la Suisse durant la Guerre froide, en rendant compte avec nuance des débats qui ont animé le champ intellectuel helvétique pendant cette période. En guise de fil rouge, l’auteur démontre comment les intellectuels « organiques » (des autodidactes souvent issus du mouvement ouvrier) ont progressivement cédé leur place aux « experts » (généralement universitaires) au cours d’« un phénomène d’autonomisation des intellectuels de gauche » (p. 339).
Cette étude s’ouvre avec une définition de l’intellectuel comme un « producteur d’idées politiques diffusées publiquement à travers l’écrit » (p. 17), avant de passer à un Portrait de groupe (Partie liminaire), établissant une typologie divisée en quatre catégories et quatre générations. En guise de préambule, Hadrien Buclin rappelle également les spécificités de la scène intellectuelle suisse : son caractère très fragmentaire (selon les cantons et les régions linguistiques) ; l’absence d’un évènement fondateur légitimant l’engagement de grandes figures à gauche (telle l’affaire Dreyfus en France) ; et la proximité des intellectuels avec les forces conservatrices au pouvoir. Le lecteur non averti devra alors prendre garde de ne pas se laisser submerger par tous les noms de personnalités que l’historien mobilise pour appuyer son propos, en faisant pour cela appel aux nombreuses notices biographiques placées en fin d’ouvrage.
Dans la première partie du livre, Hadrien Buclin décrit la montée des tensions de la Guerre froide en Suisse, en passant en revue différents courants politiques de gauche : sociaux-démocrates, communistes proches du Parti suisse du Travail (PST), chrétiens de gauche et militants de la gauche radicale (bannière sous laquelle il regroupe – peut-être de manière trop rapide – les marxistes antistaliniens et les anarchistes). L’auteur revient alors sur les succès rencontrés par le PST dans l’immédiat après-guerre avant d’expliquer comment les espoirs placés en l’URSS se sont rapidement évaporés en suscitant une « vague de distanciation forte » (p. 133) vis-à-vis du modèle soviétique. Il rappelle également l’argument de poids que faisaient valoir les milieux chrétiens de gauche, en se réclamant « d’un ensemble de valeurs essentielles du camp occidental, celles de la tradition chrétienne, que les partisans de l’Ouest invoquaient souvent contre l’influence des athées de Moscou » (p. 146).
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Buclin retrace la montée en puissance de l’anticommunisme helvétique lors de la Guerre de Corée (1950–1953) et suite à l’intervention soviétique en Hongrie (1956). Dans ce climat maccarthyste où la défense spirituelle[1] a été réactivée avec « l’appui de larges secteurs de l’establishment académique et de l’intelligentsia » (p. 224), les suspicions autour d’une potentielle infiltration communiste au sein de l’administration fédérale ont en effet entraîné la multiplication des attaques contre des personnalités soupçonnées de communisme, restreignant ainsi fortement leur liberté d’expression. L’auteur brosse ensuite le portrait d’une génération active dans des revues telles que Rencontre, Contacts et Clartés, c’est-à-dire surtout des Lausannois lettrés bientôt réunis par la mobilisation contre la guerre d’Algérie. Il y relate par ailleurs les succès rencontrés par le mouvement anti-atomique, bénéficiant du soutien de quelques universitaires.
Dans la troisième partie de l’étude, l’auteur s’intéresse à la période de détente qui a fait suite à la construction du mur de Berlin (1961) et la crise des missiles cubains (1962). Il y revient sur la nébuleuse gravitant autour de la revue non-conformiste Neutralität en Suisse alémanique et sur les débats quant à l’attitude de la Confédération durant la Deuxième Guerre mondiale, qui ont commencé à sérieusement écorner l’image de la neutralité helvétique. Hadrien Buclin rappelle aussi ici le caractère fractionnaire des mobilisations de 1968, qu’il attribue à l’élitisme et au conservatisme du monde universitaire suisse. Il évoque finalement la désaffection qui a touché à cette période le PST, au profit de divers mouvements maoïstes, trotskistes ou opéraïstes dans une période marquée par un clivage intergénérationnel entre les militants antifascistes de l’après-guerre et les groupes spontanéistes soixante-huitards.
À la lecture de cette somme passionnante, trois thématiques intiment liées se détachent. Il s’agit premièrement de la persistance, jusqu’au sommet de l’Etat, de sympathisants du fascisme et du nazisme, et des intellectuels liés à la droite autoritaire, qui ont gardé un rôle de premier plan sur la scène politique helvétique bien après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Beaucoup d’entre eux ont en effet conservés leur poste au sein du monde académique, des associations culturelles et des principaux organes de presse sans être inquiétés, sauf par quelques voix contestataires de gauche.
Deuxièmement, l’anticommunisme apparaît dans cet ouvrage comme le ciment d’un paysage politique suisse marqué par « un anti-intellectualisme présent de longue date au sein des milieux dirigeants helvétiques » (p. 235). Dans une société où des militants tels que Konrad Farner ont subi de multiples persécutions alimentées par la presse, la gauche radicale a été l’objet d’une répression qui contrastait fortement avec le traitement réservé à l’extrême droite.[2]
Troisièmement, la question anticoloniale et anti-impérialiste, que l’auteur décrit pour les années 1960 comme « une forme de compensation pour de jeunes militants évoluant dans une société helvétique qui paraissait figée dans l’immobilisme autosatisfait de la société d’abondance » (p. 387), semble avoir tenu une place importante, bien que non prépondérante, dans les débats de la gauche helvétique. À ce titre, Hadrien Buclin rappelle justement que les travailleurs étrangers, et en particulier les saisonniers, ont parfois été considérés comme une sorte de «tiers-monde de l’intérieur» (p. 403).
En conclusion, il ressort de cette étude l’image d’une réalité politique bien moins consensuelle qu’il n’y paraît, malgré le ralliement du Parti socialiste suisse à l’anticommunisme revendiqué de l’establishment, dans une stratégie de collaboration avec le bloc bourgeois qui a par ailleurs largement facilité son intégration institutionnelle. On aurait pu souhaiter qu’Hadrien Buclin intègre davantage les femmes intellectuelles suisses au cœur de son propos et non en marge de celui-ci (comme il le fait très bien avec les personnalités d’origine étrangère), mais ce serait diminuer son mérite d’avoir réalisé un impressionnant travail qui offre une indispensable et convaincante synthèse sur le paysage intellectuel suisse de l’après-guerre.
Notes:
[1] Jorio Marco, Geistige Landesverteidigung, 23.11.2006, in: Historisches Lexikon der Schweiz, https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/017426/2006-11-23/ (29.10.2019).
[2] Voir à ce sujet : Carole Villiger, Usages de la violence en politique (1950-2000), Lausanne 2017.
Zitation:
Cordoba Cyril: Rezension zu: Buclin, Hadrien: Les intellectuels de gauche. Critique et consensus dans la Suisse d’après-guerre (1945-1968). Lausanne 2019. ISBN 978-2-88901-149-0, in: H-Soz-Kult, 14.11.2019, <www.hsozkult.de/publicationreview/id/reb-28878>.
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Cyril Cordoba, hsozkult, 14.11.2019
UNE SUISSE DE GAUCHE
Un livre intitulé Les intellectuels de gauche, paru ce printemps aux Éditions Antipodes à Lausanne, est remarquable à plus d’un titre.
Tout d’abord parce qu’il s’agit d’une somme consacrée à l’histoire des idées politiques en Suisse durant la période qui s’étend de juin 1940 (défaite de la France par les armées allemandes) à mal 1968. date mythique d’une nouvelle ère politique. Et ensuite parce que, pour la première fois, un ouvrage de niveau universitaire retrace l’évolution durant les années d’après-guerre des divers courants de pensée de la gauche helvétique, depuis l’extrême gauche communiste incarnée par le Parti suisse du travail (PST) jusqu’à la social-démocratie réformiste personnifiée par le Parti socialiste suisse (PSS), en passant par une multitude de partis, mouvements, journaux et revues à l’existence souvent éphémère.
Son auteur, Hadrien Buclin, est bien connu en Suisse romande pour ses activités politiques. Affilié à SolidaritéS, il est député au Grand Conseil vaudois et a été candidat d’Ensemble à gauche au Conseil d’État en 2017. On aurait donc pu craindre un ouvrage partisan, tenant plus du pamphlet que de l’étude scientifique. Ce serait toutefois méconnaître les filtres par lesquels doit obligatoirement passer une thèse universitaire avant d’être soutenue, agréée et finalement publiée. A c’est égard, l’ouvrage de Buclin me paraît exemplaire bien qu’il s’agisse, par le choix de son sujet, d’un livre centré sur les diverses idéologies qui ont rassemblé ou divisé durant trente ans les intellectuels progressistes de notre pays.
De 1940 à 1968. les années clés
Après une difficile coexistence avec les régimes fascistes qui dominèrent l’Europe durant quatre années à partir de juin 1940, au prix, parfois, de compromissions qui lui valurent quelques ennuis avec les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, la Suisse neutre, laborieuse et économe se fraya tant bien que mal un chemin entre les rivalités des grandes puissances qui s’affrontèrent au cours d’une longue « guerre froide » (rien à voir avec le dérèglement climatique) qui s’acheva en 1990 par le triomphe du « monde libre ».
Épargnant à ses lecteurs le jargon prétentieux dont sont coutumiers les politologues. l’auteur décrit avec clarté l’évolution idéologique de la gauche helvétique jusqu’à la fin des années soixante du siècle passé. En particulier, et son grand mérite, il a pris la peine de compiler, résumer et traduire de nombreux documents émanant des diverses mouvances « gauchistes » de la Suisse allemande d’après-guerre, souvent méconnues en Suisse romande. On peut aussi rappeler que même dans notre paisible canton de Neuchâtel, ce tut également l’époque de grands débats où des libéraux intelligents se mesuraient a des marxistes fins dialecticiens et des socialistes révoltés par l’injustice sociale mais peinant quelque peu à s’affranchir des contraintes du pouvoir partagé avec la majorité bourgeoise. La gauche démocratique dénonçait l’imposture du communisme soviétique (procès truqués, goulag, assujettissement des pays satellites) tout en fustigeant l’arrogance américaine (néocolonialisme, maccarthysme, exclusion sociale des perdants du capitalisme).
Mais pour les jeunes gens aux idées progressistes qui dans les années cinquante voulaient s’engager dans le combat politique, quelle voie choisir entre l’aveuglement des communistes fidèles à Moscou, l’opportunisme « pragmatique » de la social-démocratie et les utopies des intellectuels de la nouvelle gauche qui rêvaient de faire le bonheur de la classe ouvrière par la démocratisation de l’économie, la cogestion des moyens de production et une juste répartition des richesses? C’était l’enjeu de débats passionnés, à une époque où la politique suisse ne se résumait pas à tirer le frein â l’endettement, combattre les pauvres plutôt que la pauvreté, baisser l’impôt sur les bénéfices et multiplier les taxes en tout genre.
Un autre enjeu était le positionnement des « gauchistes » helvétiques dans les divers conflits armés qui déchirèrent la planète pendant toutes ces années: guerre de Corée, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie, guerre du Vietnam. guerre des Six Jours… C’est tout cela que raconte Hadrien Buclin avec talent et beaucoup de finesse dans ce livre passionnant.
Raymond Spira, Le Point, bulletin du Parti socialiste neuchâtelois
La thèse du Lausannois Hadrien Buclin parcourt les années 1945-1968 de l’engagement des intellectuels. A l’instar de l’écrivain Yves Velan, certains ont été frappés d’interdiction professionnelle.
Figure de l’intellectuel, l’écrivain et dramaturge Max Frisch a été poussé vers l’engagement politique par l’exemple de la Seconde Guerre mondiale. (Ustinov Z)
La thèse de doctorat d’Hadrien Buclin constitue un énorme ouvrage de plus de 500 pages. Il a consacré son étude aux intellectuels de gauche en Suisse, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1968.
La partie liminaire, où il s’applique avec beaucoup de rigueur à définir les différentes acceptions du concept d’«intellectuel», est l’une des plus intéressantes de son travail. Il distingue en effet quatre sous-catégories: les intellectuels de parti, les intellectuels universitaires (à l’image du théologien Karl Barth par exemple), une couche intermédiaire d’intellectuels constituée en particulier d’enseignants du secondaire, enfin les intellectuels religieux, dont l’abbé valaisan Clovis Lugon, souvent taxé de «communiste».
Buclin opère aussi une distinction entre quatre générations d’intellectuels. Les premiers, comme André Bonnard, ont été marqués par la Grande Guerre.
Le deuxième groupe, lui, a été poussé vers l’engagement politique à travers l’exemple de la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas par exemple de Max Frisch. Un groupe ultérieur, auquel appartiennent Freddy Buache ou Gaston Cherpillod, a été influencé par le climat de la Libération.
Enfin un dernier groupe s’est affirmé par son tiers-mondisme: on y retrouve notamment les membres du Mouvement démocratique des étudiants (MDE), à l’image d’Olivier Pavillon. Buclin opère aussi la distinction entre quatre courants idéologiques principaux: les sociauxdémocrates, les communistes, les socialistes religieux et la gauche radicale antistalinienne (entendez par là les groupes se réclamant du trotskysme et de l’anarchisme).
Après ces prolégomènes utiles, l’auteur procèdera de manière chronologique. Sa thèse principale – qui constitue le véritable leitmotiv du livre – est que le Parti socialiste et les syndicats vont très vite se fondre dans le consensus national, dès 1945 mais surtout à la faveur de la guerre froide, qui les conduira à des positions anticommunistes virulentes.
Dans ce climat idéologique, l’accès des intellectuels de gauche aux postes universitaires s’avérera vite quasi impossible. Dans le Parti socialiste, c’est l’aile droite qui s’imposera, avec à sa tête Walther Bringolf.
Campagne anticommuniste du PSS
De la part d’un auteur très actif politiquement dans solidaritéS, on pouvait craindre une sorte d’acharnement envers les «staliniens». Or il faut reconnaître sa réelle probité intellectuelle. Il est capable d’empathie envers ces intellectuels sympathisants de l’Union soviétique, qui a écrasé l’hitlérisme au prix de sacrifices terribles, ce qui lui a conféré un grand prestige.
Cependant, l’alignement croissant du PST sur l’URSS, pendant la période considérée, va éloigner de lui une partie de ses intellectuels.
Hadrien Buclin relate aussi une série de débats qui agitèrent cette époque. Certes, une partie de ses propos n’est pas nouvelle, et d’autres études leur ont déjà été consacrées. Ainsi pour l’analyse critique de l’attitude complaisante de la Suisse envers le Reich pendant la Seconde Guerre mondiale, du fameux procès Bonnard lié à la guerre de Corée, du sionisme et du jeune Etat d’Israël. Mais l’auteur a le mérite d’en proposer une utile synthèse.
Au cours des années 1950-1961, on est au cœur de la guerre froide. Le PSS appuie la campagne anticommuniste qui se déchaîne. Or la chasse aux «cryptocommunistes» est spécialement dirigée contre les intellectuels, qui connaissent nombre de difficultés, surtout après les événements de Hongrie en 1956: interdiction professionnelle (qui frappe par exemple Yves Velan dans l’enseignement vaudois), mise au ban de la société, peines de prison (notamment contre le conseiller national bâlois du PST Emil Arnold), insultes et intimidations de caractère ordurier comme celles qui touchent Konrad Farner à Zurich.
D’un autre côté, le choc que constitue la répression soviétique en Hongrie va éloigner du PST nombre de ses militants, et en particulier de ses intellectuels.
Néanmoins la gauche se montre capable d’organiser des manifestations de masse, telles les Marches de Pâques pacifistes et la mise sur pied du Mouvement contre l’armement atomique de la Suisse, qui témoignent d’un changement de paradigme. Dans les années 1950, la question des indépendances nationales – incarnée par la guerre d’Algérie – et le tiers-mondisme font leur entrée dans les débats politiques.
Ce dernier est favorisé par la présence en Suisse de nombreux étudiants africains qui influenceront fortement les membres du MDE. Alors que tant le PSS que le PST se montrent frileux, une nouvelle gauche apparaît. Elle est liée aussi à une génération plus jeune de militants et d’intellectuels.
Changement générationnel
Alors que prend fin l’ère des «intellectuels de parti», prend naissance celle des «anticonformistes». On y retrouve en particulier les objecteurs de conscience et ceux qui les soutiennent. Dans les Jeunesses socialistes aussi naît un mouvement de contestation envers les «pontes» du parti et leurs options politiques. La guerre du Vietnam sera un nouveau ferment de mobilisation, surtout des jeunes, face à la frilosité du Parti socialiste.
On observe donc un clivage générationnel au sein de la gauche, qui se manifestera avec éclat lors des événements de 1968. Mais de nombreux ouvrages récents ont été consacrés à ceux-ci, et Buclin s’arrête à la veille de cette vague de fond qui déterminera de nombreux changements sociétaux.
Relevons aussi la clarté de la langue dont use le doctorant. Son livre se lit agréablement. On regrettera seulement que tout soit dit un peu sur le même ton, qu’il s’agisse de faits majeurs ou de détails.
On aurait aimé qu’ici et là, l’auteur procède à une courte mais vigoureuse synthèse. Ces remarques formelles n’enlèvent cependant rien à l’intérêt d’un ouvrage très complet, qui s’appuie par ailleurs sur des sources abondantes et sur une bibliographie exhaustive.
Pierre Jeanneret, rubrique Culture de Gauchebdo, 30 octobre 2019
Hadrien Buclin invité de Julien Magnollay dans l’émission de radio Tribu (RTS La Première, 30 octobre 2019) >> écouter l’émission
Notes sur le blog de Nils Andersson
Les intellectuels de gauche, une somme de plus de 500 pages dans laquelle Hadrien Buclin rassemble et analyse des informations sur une période, pour moi traversée, allant du sortir de la Seconde Guerre mondiale à 1968[1]. Une lecture qui m’a beaucoup appris et, certaines pages touchant des événements vécus m’ont fait réagir. Sur le conseil d’Eric Burnand, j’ai communiqué ces notes à Hadrien Buclin qui m’a suggéré : « Peut-être serait-il pertinent de publier les commentaires et critiques que vous m’avez envoyés ? Il me semble en effet qu’ils seraient utiles pour la recherche historique et pour de futurs travaux sur le sujet. » Ces notes présentées ici dans leur forme télégraphique, ne sont que quelques gouttes de mémoire apportées à un fleuve de faits, de citations, de références. Ma mémoire ne relate que ce que je sais, dans l’ignorance de tout le reste.
1/ Avant tout s’impose de souligner l’importance du travail de recherche d’Hadrien Buclin, qui fait de Les intellectuels de gauche une somme incontournable sur le sujet et les années concernées.
2/ Une Suisse réactionnaire, j’en étais convaincu, mais jamais je n’ai imaginé que, dans les années 50, la Suisse politicienne restait aussi philofasciste, ni que les dirigeants sociaux-démocrates furent si anticommunistes. Dans le Lausanne du temps des audaces, pour reprendre le titre de Françoise Fornerod, je n’en ai perçu que l’écume.
3/ Un point d’irritation clanique avec Hadrien Buclin, quand le qualificatif de « marxiste » est réservé aux trotskystes. Staliniens, communistes, trotskystes diffèrent et s’opposent par la ligne, le dogmatisme, la trahison, leur histoire, cela ne donne pas droit à une appellation réservée de marxiste aux seuls trotskystes.
Opinion personnelle, au cours du XXe siècle, il n’a pas manqué de marxistes, mais de communistes. Au-delà de la connaissance théorique, il y a le comportement quotidien, la réduction de la part de l’individualisme, cela a plus manqué que la connaissance livresque.
4/ Partant de la thèse de Max Frisch : « L’art pour l’art, l’esthétisme opposé à l’art engagé, voie vers le fascisme », il est établi dans le livre un parallèle avec le rôle du nouveau roman dans les années 1950. Si ce parallèle peut se vérifier ailleurs, l’exemple est fâcheux, l’éditeur du nouveau roman, Jérôme Lindon, fut le premier à dénoncer l’usage de la torture et la nature de la guerre d’Algérie, il fut le seul parmi les éditeurs installés à s’engager contre celle-ci et il fut présent sur nombre d’autres causes et débats, par exemple, puisqu’il en est question dans le livre, en éditant la revue Arguments (p. 197).
5/ J’entends et rejoins la citation de Julia Chamorel sur « la faillite de l’art engagé, le sabordement de la littérature dans le regard glacé du ‘nouveau roman’. » Mais la dédicace reçue en 1960 de son livre Les verts paradis, laisse penser que le contexte des luttes de libération nationale inversait son « défaitisme » et que Julia Chamorel comprenait en quoi, chez Jérôme Lindon, le nouveau roman et La Question étaient indissociables de ses engagements (p. 212).
6/ Sur le procès Bonnard, je regrette que ne soit pas fait mention de sa co-accusée, la belle figure de Fanny Grether (sa « secrétaire »). Son rôle était certes secondaire, mais sa personnalité ne l’était pas. Elle n’a cessé d’être engagée : lors de la guerre d’Espagne, avec la résistance française, contre la répression en Grèce pendant la guerre civile et sous la dictature des colonels, puis avec le FLN (p. 251).
7/ Concernant l’exclusion de Léon Nicole du PST, dont Fanny Grether est restée proche jusqu’à sa mort, il est relevé « la faiblesse culturelle de la gauche autour de Léon Nicole », mais c’est oublié Michel Buenzod, François Jäggi, Robert Dreyfus… courant distinct de Léon Nicole, mais exclu du PST comme courant « intellectuel », quelques mois avant Léon Nicole (p. 260).
8/ Je découvre le projet de Jacques Chessex d’un texte commun de Contacts, Pays du Lac, Clartés et Jeune Poésie contre Marc Chantre. Je n’en ai pas eu connaissance alors : je venais de partir en Suède pour y effectuer mon « école de recrue ». C’est le Chessex combatif et je suis sensible au fait qu’il a joint l’éphémère Clartés à cette initiative (p. 263).
9/ Une belle citation d’André Gorz, plus vraie encore 60 ans après la parution de Le Tricheur: « Ce qui caractérise ce monde… c’est l’inertie monstrueuse de ses structures pétrifiées ; c’est notre impuissance à la changer et l’impossibilité de lui trouver un sens » (p. 265).
10/ Je pense que Marcuse représentait une référence, mais n’était pas la pensée maîtresse pour les animateurs d’Arguments qui étaient, avec Roland Barthes, Kostas Axelos, Edgar Morin, Jean Duvignaud (p. 271).
11/ Très intéressante citation venant d’Yves Velan sur les professions de foi anticommunistes dans le contexte de l’intervention soviétique en Hongrie (p. 301).
12/ La formule de Jean Ziegler : « Genève, un petit Alger au bout du Lac », est belle, mais demande à être précisée. Si à Genève il y avait des soutiens importants aux réseaux Jeanson et Curiel pour les passages de frontières et les hébergements, le centre organisationnel du FLN en Suisse – si l’on excepte le Dr Bentami pour le Croissant rouge algérien -, était à Lausanne. Par le nombre d’Algériens y travaillant et y étudiant, par la présence de leurs représentants, Lausanne fut plus ou aussi « un petit Alger ». Omar Khodja puis Moussa Boudiaf, représentant du FLN en Suisse, comme la direction de l’UGEMA étaient à Lausanne ; c’est à Lausanne que fut signé le communiqué commun entre l’UGEMA et l’UNEF. De nombreux membres de l’UGEMA eurent un rôle important après l’indépendance et le ministère des Affaires étrangères fut un temps baptisé « les Lausannois ». Il y eut également à Lausanne un réseau de solidarité avec les Algériens et les insoumis et déserteurs français, comme, cela doit être rappelé, à Neuchâtel il y eut un réseau de passage de frontière entre la France et la Suisse (p. 305).
13/ Si la position du PCF lors de la guerre d’indépendance algérienne pose les questions que l’on sait, ce ne fut pas simple pour les trotskystes. La IVe Internationale (Frank) a pris position pour le FLN tout en gardant le contact avec le MNA (à l’exemple cité en Suisse du soutien à Merbah), le courant pabliste fut lui clairement pour le FLN et les lambertistes ont fait scission et fondé l’OCI, apportant leur soutien au MNA. Ce qui n’explique évidemment pas la position idéologique et politique de la direction du PCF sur la lutte de libération du peuple algérien, à laquelle des communistes se sont opposés, mais montre que dans leur contexte, les choix ne sont pas toujours évidents (p. 306).
14/ Il est juste de préciser que la position du PST ne fut pas celle du PCF, proche de celle du PCI, elle était beaucoup plus ouverte. Si des réserves existaient envers le FLN au sein du PST, elles tenaient peut-être aux « manières violentes » du FLN (qui rappelons-le menait une guerre), mais dans les échanges que j’ai eus, il était principalement évoqué, réserve plus idéologique : qu’un parti communiste ne peut intégrer une lutte qui n’est pas dirigée par des communistes et dont le parti n’est pas la force dirigeante. Sur cette question, la ligne du PCA, trop méconnue, justifie attention (p. 306).
15/ En Suisse romande, au contraire de la Suisse alémanique, la question FLN/MNA n’a à ma connaissance, jamais interféré dans la question du soutien à la lutte du peuple algérien (p. 315).
16/ Il est surprenant d’apprendre le rôle de Vincent Auriol parmi les initiateurs du PSA. Combien sont-ils en France à le savoir ? (p. 308)
17/ Si j’interprète correctement Hadrien Buclin, j’ai un réel désaccord sur la proposition selon laquelle les tensions entre puissances communistes et capitalistes se seraient déplacées à partir de 1962 vers le tiers-monde. La période de grande intensité révolutionnaire, d’abord principalement en Asie (continent initiateur de Bandoeng), puis en Afrique, va de la fin des années 1940, jusqu’au milieu des années 1960. Le Tiers-monde est alors l’épicentre des luttes, l’Est et l’Ouest s’y confrontent par forces interposées. Les mouvements de libération sont alors ressentis comme une menace par l’impérialisme qui mène, par la guerre et la répression, une contre-révolution dans le tiers-monde. L’année 1965, coup d’État en Indonésie et assassinat de Ben Barka, marquent le tournant annonçant le reflux des luttes anti-impérialistes (sauf pour l’Amérique latine), les limites de Bandoeng et de la Tricontinentale, la victoire du néocolonialisme. Trois victoires révolutionnaires et des peuples, celle du Vietnam sur la plus grande puissance militaire dans le monde, de Cuba, résistant aux difficultés imposées par le blocus des États-Unis et de l’Afrique du Sud qui va se libérer de l’apartheid, vont masquer le fait que la contre-révolution impérialiste a endigué l’impétuosité du mouvement révolutionnaire et que les conditions sont dès lors remplies pour établir la domination néocoloniale et imposer au monde l’idéologie néo-libérale et l’économie de marché. Si 1962 peut être considéré comme le début d’une phase dont le paroxysme sera 1968, c’est comme événement européen et occidental (et également japonais). Y voir une amplification du mouvement révolutionnaire dans le monde me parait une vue occidentalocentriste (p. 319).
18/ À propos des représentations d’Andorra de Max Frisch, la formule texte-programme à l’exemple du TNP de Jean Vilar, comme pour Force de loi de Debluë et Soldats de papier de Jotterand, avait été envisagée avec Charles Apothéloz, mais on n’a pas obtenu les droits. Par contre toutes les pièces jouées par le Théâtre populaire romand (TPR), jusqu’en 1966 sont parues à La Cité comme texte-programme. Il fut aussi dans le moment d’Andorra envisagé que l’Arche (éditeur de Brecht) édite le théâtre de Frisch, je servis d’intermédiaire, mais les conditions de traduction de l’Arche et les exigences éditoriales de Suhrkamp, son éditeur allemand, ne le permirent pas (p. 356-357).
19/ Le Banquier sans visage a été un événement culturel et politique, d’une plus grande importance que le livre n’en fait état. Ce fut un Hernani genevois, comme le relate le remarquable travail de Léonard Burnand sur les événements qui précèdent la création : débats autour du choix de la pièce, quadrillage policier de la première, formation de Vigilance… (p. 370).
20/ Si Bernard Liègme et le TPR sont mentionnés, le rôle intellectuel de Liègme, comme son engagement durant la guerre d’Algérie restent sous-estimés et le nom de Charles Joris, modèle d’obstination pour faire vivre un théâtre populaire, sans qui il n’y aurait pas eu de TPR, oublié (p. 371).
21/ Petite erreur chronologique, on a fondé La Cité diffusion avec Pierre Canova, mais lors de l’édition de La Question et le début de La Cité éditeur, Canova était engagé sur d’autres projets (p. 372).
22/ L’influence de Dellberg et l’importance de cette belle personnalité ne doivent certes pas être sous-estimées, mais l’influence idéologique de ceux qui vont créer la LMR, dont Delaloye et Uldry, est incontestablement plus celle d’Ernest Mandel (p. 375).
23/ Dans la note (p. 381), le ? concerne Jacques Beynac, insoumis français, réfugié à Lausanne, lui aussi influencé par Ernest Mandel.
24/ L’influence de la question algérienne en Suisse romande me paraît plus importante qu’elle n’apparaît dans le livre, si on rappelle la solidarité qui s’est manifestée avec les Algériens et avec les insoumis et déserteurs français, ceux qui se sont engagés dans les réseaux de soutien, la manifestation contre l’intervention de Georges Bidault au Théâtre municipal à Lausanne, la réunion publique où il fut interdit à Claude Bourdet d’intervenir, la réunion de Saint-Cergue à l’origine du Mouvement anticolonialiste français, aux bulletins anticolonialistes et à de nombreuses autres initiatives (p. 381).
25/ Le besoin d’un « second souffle » au MDE la guerre d’Algérie terminée, témoigne précisément de l’importance de la question algérienne et de la vitalité qu’elle a insufflée dans la gauche Suisse romande (p. 385).
26/ Sur les engagements tiers-mondistes, post-indépendance de l’Algérie. S’il y a un romantisme révolutionnaire dans le soutien direct apporté aux Algériens par des intellectuels de gauche, il y a de même un romantisme révolutionnaire à effectuer un service civil dans les pays devenus indépendants, mais les deux ne peuvent être mis sur le même plan. Les risques diffèrent (à l’exemple de Jean Mayerat). Il faut aussi distinguer ceux partis faire un service civil pour apporter leurs connaissances professionnelles apportant ainsi une utile solidarité, de ceux qui partis faire la révolution ailleurs parce qu’il n’y avait pas de révolution chez soi. Cela relevait d’une méconnaissance du caractère et de la nature de la lutte de libération conduite par le FLN et la déception était au bout du chemin (p. 385).
27/ Marc Nerfin est précisément le contre-exemple. Son choix n’a pas été un « passage » tiers-mondiste. Sa proximité en Tunisie avec Ahmed Ben Salah, le soutien qu’il lui a apporté quand il fut condamné (en liaison avec des partis sociaux-démocrates), le rôle qui fut le sien dans la bataille pour un autre développement, étant de ceux qui furent à l’origine du débat onusien sur le « développement durable », démontrent que pour Marc Nerfin ce fut une solidarité et un engagement profonds touchant les problèmes et besoins du tiers-monde. (p. 388).
28/ Au-delà des positions anticommunistes des dirigeants sociaux-démocrates, je reste stupéfait devant celles adoptées lors de la guerre du Vietnam et du pogrom en Indonésie ; jusqu’où peut aller le balancier considérant que l’on est de gauche ? (p. 394-396-399).
29/ Sur la place des immigrés en Suisse, sujet sensible : l’enquête sociologique publiée à La Cité, J’ai quitté l’Espagne, a été à l’origine de plusieurs convocations par la police, notamment pour savoir qui était l’auteur, évidemment jamais révélé. Les conditions d’accueil des étrangers et le « mouvement contre la surpopulation étrangère », premier mouvement xénophobe d’importance en Europe après la Seconde Guerre mondiale, sont justement rapportés dans le livre. On y évoque moins les actions se rapportant à la situation politique dans leur pays d’origine et les initiatives de solidarité avec les luttes antifascistes. L’action du Comité pour l’amnistie des prisonniers politiques en Espagne à l’initiative de Simone Hauert (dont le rôle militant pour le droit des femmes est par ailleurs relevé) est mentionnée. Comité qui a organisé à Lausanne une grande et émouvante réunion avec Julio Alvarez del Vayo, lors de laquelle il lui a été interdit de parler de la République. Encore l’Espagne, à Genève la présence de Jose Herrera Petere. Mais il y eut aussi une aide politique et matérielle aux prisonniers grecs apportée par les sœurs Grether et Bernard Liègme, bien avant 1967, la date indiquée dans le livre, et un comité d’aide aux immigrés portugais anti salazaristes soumis à une forte présence de la PIDE en Suisse. J’ai participé au Comité pour l’amnistie des prisonniers politiques en Espagne, il était à son origine moins « libéral » qu’indiqué dans sa composition, mais l’exécution de Grimau devait sensibiliser l’opinion bien au-delà de la gauche (p. 403).
30/ Concernant la rupture sino-soviétique, de 1963 à 1965, période précédant la révolution culturelle, lors de laquelle a prévalu la désignation de « marxiste-léniniste » pour ceux qui étaient favorables aux thèses du Parti communiste chinois, la Suisse fut – hors l’épisode Bulliard, très bien analysé, par Luc van Dongen -, l’un des premiers pays européens où se regroupèrent des « M.L. ». Le mouvement fut marginal, mais il eut un rôle de propagation dans d’autres pays des textes du PCC, alors boycottées par les partis communistes favorables au PCUS et de soutien à des militants espagnols, portugais et africains, défendant les positions du PCC.
31/ On est surpris que le Tessin, sauf une brève référence, soit ignoré. Le PSA, l’influence chez les jeunes de Gramsci ou de Togliatti, Berlinguer Nenni, celles des intellectuels marxistes italiens dans un moment désigné comme l’âge d’or du marxisme italien, font quel leur cheminement intellectuel et militant y diffère de celui de la Suisse alémanique et romande. Il est vrai que cela aurait complexifié encore un projet déjà immense.
32/ L’absence de maintien dans l’engagement c’est là loi naturelle, génétique : renoncements dus aux aléas de la vie, au fait d’être établi, peurs qui viennent avec l’âge ; une évolution pour les intellectuels favorisée par leur environnement social. Une attitude différente chez les ouvriers dans les années 20/40 est due au fait que, hors leur appartenance au monde ouvrier, ils n’avaient pas d’identité. Lien d’appartenance qui s’est dilué avec les « trente glorieuses », le morcellement de la classe ouvrière, le consumérisme, l’individualisation. S’est ajouté le caractère essentiellement salarial des revendications, réduisant celles-ci, comme l’a si justement formulé Pierre Bourdieu à « j’ai mal au foie, alors, que j’avais mal partout » (p. 420).
33/ L’autonomisation du milieu intellectuel, j’ai le sentiment qu’en Suisse romande cette autonomisation précède les années 1960, imprégné qu’il était par la définition, la connaissant ou non, de Jean Duvignaud de l’intellectuel : « né avec l’affaire Dreyfus, il est celui qui dit non », par le rôle de Sartre, de Merleau-Ponty, d’Henri Lefebvre, pour lesquels l’intellectuel n’est pas le savoir, mais le savoir engagé (un rôle qui va d’ailleurs de Joliot-Curie à Raymond Aron) (p. 423).
34/ Le démarchage de signatures par des jeunes : je peux mentionner, antérieurement aux années 60 deux initiatives, en 1953, un appel de soutien à une manifestation de l’été de l’amitié entre Strasbourg et Amsterdam (manifestation entre les Festivals de la jeunesse organisés par la FMJD) ayant recueilli les signatures d’André Bonnard, Max Frisch, Hans Erni, André-François Marescotti… et en 1960, un appel de soutien à la grève des militants algériens dans les prisons en France, avec les signatures de Karl Barth, Ernest Ansermet, Max Bill, Leopold Ruziscka, Friedrich Dürrenmatt, Max Frisch à nouveau… appel qu’aucun journal suisse ne reprit alors (sauf, il m’a été rapporté, Die Tat) (p. 424).
35/ Le dernier paragraphe est une parfaite conclusion à laquelle j’adhère pleinement : « À l’heure où nombre de citoyens ne perçoivent plus le sens de l’engagement politique, car ils se sentent dépassés par des processus mondialisés sur lesquels ils pensent n’avoir pas prise, ce constat conduit à rejeter tout fatalisme et tout relativisme et à considérer la réflexion, l’organisation et l’activité de chacune et chacun comme le moteur du changement. »
Que d’engagements rappelés ou découverts en lisant Les intellectuels de gauche, notamment sur leur rôle et leur action en Suisse alémanique. Les contacts étaient rares, la frontière linguistique assez étanche pour moi et je fus fortement impressionné par la réunion publique à Zürich lors de mon expulsion, où j’ai découvert une gauche suisse allemande dont la position critique (sur la situation politique en Suisse) était incontestablement plus formulée et structurée qu’elle ne l’était en Suisse romande.
Les intellectuels de gauche, un livre à lire pour connaître ces années et aussi pour comprendre celles d’aujourd’hui.
Nils Andersson, compte-rendu du 17 septembre 2019 sur le blog http://nilsandersson.net
Hadrien Buclin invité de Christian Ciocca à Versus-lire et penser, parle des Intellectuels de gauche (RTS2, 12 avril 2019) >> écouter l’émission
Un ouvrage instructif sur la Suisse de l’après-seconde guerre mondiale
Après un ouvrage sur l’écrivain français Maurice Blanchot, notre camarade Hadrien Buclin vient de publier sa thèse de doctorat en histoire consacrée aux intellectuels de gauche dans la Suisse d’après-guerre.
Cet ouvrage représente le « chaînon manquant » entre les études sur l’histoire sociale et ouvrière de la Suisse publiées par des historiens tels que Marc Vuilleumier, Hans-Ulrich Jost et Claude Cantini (pour ne citer qu’eux, dans le cadre romand) et les témoignages de participant·e·s aux mouvements contestataires de 1968. Plusieurs ouvrages, parus à l’occasion du 50e anniversaire de Mai 1968, avaient notamment déjà relevé les aspects extrêmement conservateurs de la société suisse.
L’ouvrage traite la problématique de l’engagement des intellectuel·le·s de gauche à l’échelle suisse, permettant donc de mieux connaître les débats de cette époque en Suisse alémanique. Il retrace l’évolution du statut des intellectuel·le·s, dans ou hors des partis, et les débats où ceux-ci furent impliqués.
En contrepoint, cet ouvrage fournit également un historique précieux du « maccarthysme » suisse (persécution des milieux non conformistes) dans les années 1950. Ce dernier n’avait rien à envier à son homologue étatsunien et le Parti socialiste, participant au gouvernement fédéral depuis 1943, y apporta sa contribution. Sont rappelés divers épisodes, comme la persécution judiciaire – à l’instigation du conseiller fédéral Eduard Von Steiger (PAB, ancêtre de l’UDC) – du journaliste Peter Surava, rédacteur au journal antifasciste Die Nation, puis au Vorwärts, organe alémanique du Parti suisse du Travail. On y trouve aussi les débats au sein de la gauche sur l’URSS, dont le Parti suisse du Travail faisait à l’époque l’apologie (position qu’il a chèrement payée après l’intervention de l’URSS en Hongrie, en novembre 1956) ou sur le colonialisme européen, pas forcément critiqué au sein du PS.
Mais, avec la détente Est-Ouest des années 1960, la critique du conservatisme suisse et la solidarité avec les mouvements sociaux du « tiers-monde » furent mieux écoutées. On notera, car ce point est souvent ignoré, le rappel du rôle joué dans la création du mouvement contre l’armement atomique de la Suisse (mai 1958) par des militant·e·s de la fort petite organisation marxiste–révolutionnaire Proletarische Aktion.
En résumé, un ouvrage à lire (et à faire lire), car il offre un retour critique sur l’histoire suisse de cette période.
Hans-Peter Renk, Journal SolidaritéS (du 20 juin 2019, n° 352)
Une autre histoire des intellectuels
Trois ouvrages passionnants offrent des approches très particulières sur l’histoire des intellectuels, leurs ressorts émotionnels, leurs opposants et la construction politique de leur rôle.
Devenue une part importante de l’histoire contemporaine, l’histoire des intellectuels tient à la fois de l’histoire culturelle que de l’histoire politique, depuis leur « naissance » en France lors de l’Affaire Dreyfus jusqu’à nos jours, leur « silence » et leur spécialisation (les « intellectuels spécifiques » pour reprendre l’expression de Michel Foucault) faisant l’objet de critiques durant les dernières décennies.
La particularité des ouvrages ici recensés est d’élargir le spectre d’analyse du champ intellectuel. Une histoire émotionnelle du savoir de Françoise Waquet, directrice de recherche au CNRS, ouvre de belles perspectives en privilégiant une « histoire sensible » des intellectuels et des savants, tandis que La haine des clercs de la jeune universitaire Sarah Al-Matary propose une analyse diachronique convaincante de l’anti-intellectualisme en France. Enfin, Les intellectuels de gauche de l’apprenti historien helvète Hadrien Buclin dresse un tableau très précis du paysage politique et intellectuel européen de l’après-guerre (1945-1968) et, plus spécifiquement, en Suisse.
Une ethnologie sensible du monde du savoir et de la recherche
L’approche d’histoire sensible et ethnologique de Françoise Waquet est particulièrement originale et prolonge ses principaux travaux – qui font autorité – Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe-XXe siècle) et L’ordre matériel du savoir : comment les savants travaillent : XVIe-XXIe siècles . A travers de nombreux exemples historiques, la directrice de recherche explore toute la gamme des émotions qui font le quotidien des chercheurs : plaisir et ennui, peur et espérance, enthousiasme et désespoir, bonheur et souffrance…Surtout, de manière particulièrement intéressante, Françoise Waquet analyse « l’écologie émotionnelle » du monde de la recherche et du savoir en s’attardant sur les « lieux émotionnés » (bibliothèque, laboratoire, bureau…), les « objets affectifs » (livres personnels, notes et manuscrits, ordinateurs…) et les liens qui unissent les chercheurs entre eux au sein des communautés de travail et d’amitié (la correspondance entre Marc Bloch et Lucien Febvre est à cet égard souvent convoquée comme un exemple particulièrement emblématique).
De manière sans doute moins aboutie, Une histoire émotionnelle du savoir décrit dans une seconde partie les étapes-phares de la carrière des chercheurs : la thèse, les mentors, les livres-références, les premières publications, le destin d’auteur et ses vicissitudes (écriture, publication, réception critique…)…Le panel retenu est à cet égard trop ambitieux, c’est-à-dire à la fois les sciences humaines – que Françoise Waquet maîtrise parfaitement – et les sciences « dures », qui sont en réalité davantage effleurées. Enfin, dans les trois derniers chapitres (et en l’espace de moins de 100 pages), cette recherche tente une synthèse d’histoire de « la condition des émotions », de « la République des Lettres »(XVIe-XVIIIe siècles) à « la société du savoir » (XVIIe-XXIe siècles), ce qui relève en effet de la gageure.
Une histoire culturelle de la tradition anti-intellectualiste en France
De façon plus ciblée et plus attendue, Sarah Al-Matary privilégie dans La haine des clercs une temporalité plus courte (de l’Affaire Dreyfus à nos jours, suivant le schéma classique de l’histoire contemporaine des intellectuels) pour dresser une fresque historique de l’anti-intellectualisme en France. Cet ouvrage d’une grande qualité démontre que cette tradition est très vivace historiquement au sein d’un « pays qui aime les idées » . De manière passionnante, il plonge lecteur dans l’entrelacs des grands courants de pensée à la fois anarchistes, catholiques, nationalistes, gauchistes…évitant au passage de les opposer de manière trop manichéenne et tentant surtout de comprendre les ressorts de la virulence des haines contre les clercs (« le procès de l’intelligence », « la querelle des mauvais maîtres »…) qui ponctuent le récit national français depuis l’Affaire Dreyfus (acte de « naissance » des intellectuels, selon l’expression de Barrès contre le « J’accuse » de Zola).
Le principal intérêt théorique du patient travail de Sarah Al-Matary, maîtresse de conférences en littérature à l’université de Lyon-2 et rédactrice en chef de La Vie des idées, est de démontrer que l’anti-intellectualisme, loin d’être seulement une « haine de la culture », peut tout autant être analysée comme l’affirmation d’une « culture alternative ». Dès le XIXe siècle, en lien avec la Révolution industrielle, l’opposition entre le travail manuel et le travail intellectuel prend progressivement le pas sur la société des trois ordres, propre à l’Ancien Régime. Les « nouveaux clercs » formés par les intellectuels (jusqu’à la massification de l’enseignement supérieur, dans les années 1960, on ne parle pas encore de « professions intellectuelles » dans les catégories statistiques) tiennent leur prestige (et leur pouvoir) de l’essor de l’enseignement et de l’instruction sous la IIIe République. Cela explique pourquoi l’anti-intellectualisme trouve un terreau favorable à l’antirépublicanisme et à l’antiparlementarisme à la fois à droite (nationalistes maurassiens, catholiques intransigeants) et à gauche (anarchistes sous la IIIe, maoïstes et situationnistes sous la Ve), ce qui ne signifie pas, bien sûr, que la culture de l’anti-intellectualisme ne génère pas, elle aussi, ses propres intellectuels . Dans ses derniers chapitres les plus contemporains, La haine des clercs envisage l’anti-intellectualisme des dernières décennies, symbolisé par des figures médiatiques (et non-universitaires), prolongeant, de manière d’ailleurs moins brillante, des débats anciens mais mettant désormais sur le banc des accusés les politiques culturelles des pouvoirs publics.
De l’histoire des intellectuels à l’histoire politique
Au-delà de ces deux essais d’ethnologie « sensible » du savoir et d’histoire culturelle des anti-intellectuels, le jeune historien Hadrien Buclin propose une belle monographie d’histoire politique des intellectuels avec son ouvrage, issu de sa thèse soutenue à l’Université de Lausanne, intitulé Les intellectuels de gauche. Critique et consensus dans la Suisse d’après-guerre (1945-1968). Au-delà du contexte particulier (et multiculturel) helvétique, peu connu des lecteurs non spécialistes, cet ouvrage s’intéresse de manière plus large à l’engagement des intellectuels progressistes dans la vie politique de la fin de la Seconde guerre mondiale au fameux cycle de contestation des « années 1968 » en revenant sur l’activisme de personnalités du monde universitaire ou des partis politiques (les « intellectuels organiques » au sens de Gramsci) qui ont préparé le terrain à la contestation des années 1970.
Enfin, et surtout, ce livre permet de mieux comprendre la persistance d’une forme de conservatisme (certes très marqué en Suisse, mais également propre aux sociétés occidentales des premières décennies de la Guerre froide) et la manière dont l’establishment a marginalisé, voire réprimé, des intellectuels jugés trop critiques (en les excluant notamment des postes universitaires les plus prestigieux). Plus qu’une histoire strictement nationale (alors que la recherche historique en Suisse est souvent fragmentée en raison du plurilinguisme et du fédéralisme), la recherche fouillée d’Hadrien Buclin met brillamment la vie politique et intellectuelle helvétique dans une perspective européenne et internationale en délimitant trois périodes-clés (l’immédiat après-guerre, le cœur de la Guerre froide dans les années 1950 et l’émergence d’une nouvelle génération de contestations dans les années 1960). Pour finir, il restitue dans toute leur complexité la diversité et l’évolution des courants et sensibilités au sein de la gauche politique et intellectuelle.
Damien Augias, nonfiction.fr, 26 juillet 2019