Marges
Prod'hom, Jean,
2015, 164 pages, 23 €, ISBN:978-2-88901-097-4
« Bientôt six ans. Un billet chaque jour, chaque jour ouvrable d’abord, quotidien depuis juillet 2012, des billets qui donnent un rythme à mes journées, parfois bien plus. Observer, comprendre, aimer, tout et n’importe quoi, ce qu’on finit par regarder, d’autres couches, d’autres cercles. Même si – et c’est l’une peut-être de ses leçons essentielles – écrire n’est pas tout, tout au plus un attribut, j’entends par attribut ce que l’intellect perçoit de la substance. » Ce recueil, enrichi des photographies de l’auteur, est constitué de ces billets qui portent un regard poétique et vagabond sur le quotidien.
Description
« Sans le trait assuré des ornières, sans les lisières dont je me suis servi comme d’une main courante, sans l’éclat des cloches qui rameutent au loin les fidèles, le cri du coq, sans les tessons qui battent la mesure, sans les brins d’herbe et les épis de blé qui habillent la terre, l’odeur du bois qui brûle, sans la grange aux portes entrouvertes, sans les regrets qui exaucent, serais-je demeuré vivant?
Je tremble toutefois de ne jamais parvenir au repos, de ne me satisfaire ni du soleil ni de l’ombre, de ne pouvoir retenir le fugace, je tremble lorsque le chemin disparaît derrière la crête, je tremble de rien, je tremble de tout, je suis sur la bonne voie, errant sur un chemin qui n’a ni commencement ni fin. »
Jean Prod’hom tient un blog depuis plusieurs années sur lequel il publie chaque jour un billet – www.lesmarges.net. Ce recueil, enrichi des photographies de l’auteur, est constitué de ces billets qui portent un regard poétique et vagabond sur le quotidien. Il a également publié Tessons, en 2014, aux Éditions D’autre Part.
Table des matières
Préface de l’éditeur
- J’ai vécu de bien mauvais moments
- Surveiller mais quoi?
- Juste capable de m’en réjouir
- Le Riau de Corcelles
- Me voilà seul sur le pont
- Vendredi à Naples
- Faire un livre
- J’entends de loin la musique de leur pays
- Laver cette coulée de boue
- Sous les draps les reins
- On sort pour la première fois
- Le fil ténu qui me fait tenir debout
- C’est en 1994
- M’égare sur les hauts de Morges
- À égale distance les uns des autres
- Lacer ses chaussures
- Une dernière clope mercredi
- Sésame
- Revenir là où l’on n’en a pas fini d’aller
- Quitter le giron
- Le garçon s’est fait piquer
- Je n’irai pas à Lourdes
- Colères
- Initiation à l’art du porte-à-faux
- Enfant on le disait bagarreur
- En haut la côte
- Quelques rires encore puis plus rien
- Longue liste des merveilles
- Prés-de-Vidy
- L’enfant tire délicatement les rideaux
- Ne jamais tourner le dos au progrès
- Friedrich Heinze de Rendsburg
- Elles se promènent, retraitées bientôt
- Boules à neige
- Le bruit de la pluie bien serrée qui pianote
- Si je suis couché aujourd’hui à midi
- On a failli l’écraser ce matin
- Journée sans
- Tous ceux de Chez Progel
- Amiraux-chefs d’îles mystérieuses
- Post tenebras lux mercredi
- Sous le jardin d’Éden lundi
- À la fin des journées du milieu de l’été
- Dégel
- Jean-Rémy
- Les chemins de la connaissance
- S’il y a souvent place pour deux
- L’apiculteur a déposé deux ruches
- Deuxième poussée du printemps
- Ils régnaient sans ostentation
- On s’y trouve engagé à demi
- Ce ne sont pas les livres que je regretterai
- Jean-Daniel, Javier ou Élisabeth
- Une VGS couplée à un ampli Jim Marshall de 15 watts
- À l’abri
- Épuisement
- L’intelligence
- À l’ombre du tilleul
- En revenant cette nuit de la fête
- Des échelles sans personne
- Aurait-il pu en être autrement?
- Le chemin des Meilleries
- Cette route sur la carte il n’y avait rien au-delà
- D’une traite
- Bilan
- Il y a des jours
- Un trou au vilebrequin dans le tohu-bohu
- C’était en rentrant un printemps
- Le souffle de l’imprévu
à la marge des marges, postface de François Bon
Presse
Petit Poucet rêveur
Intranquillement serein, lumineux, presque solaire, un livre d’heures offert par le Suisse Jean Prod’Hom.
Les êtres qui aiment la pluie, les paysages détrempés interpellent et fascinent. Dans le chaos des temps, marcheurs infatigables, ils perçoivent la beauté dans des détails infimes, des brindilles fragiles, de petits cailloux incongrus… Tessons (D’autre part, 2014), le premier ouvrage de Jean Prod’Hom apparaissait comme une maison des muses, mosaïque constituée de brimborions, éclats de vaisselle, poterie collectés de par le monde. Fragments de fracas, révélant le passage des temps, la patine, l’érosion, la lenteur, la transmission, le dérisoire, l’éphémère continuum de la vie, des hommes, des civilisations. Les textes de Marges proviennent d’un autre éclatement, un autre entoilement, du « blogue » lesmarges.net que nourrit le quinquagénaire, depuis 2008. Journal intime, carnet de pérégrinations à travers lequel l’auteur se dilue dans l’observation poétique, philosophique, parfois un tantinet sarcastique d’un quotidien aussi prosaïque qu’universel. En exergue à chaque texte, une photographie du natif de Lausanne entre en écho. Depuis 2015, ces écrits adressés à un Cher Pierre, engendrent une correspondance avec un autre natif, d’un pays de pluie, le Briviste Pierre Bergounioux. D’autres écrivains balisent les chemins de traverse de Jean Prod’hom: Jaccottet, Ramuz, Quignard, Trassard, Calet, on pourrait y rajouter André Dhôtel…
Avec une soif inextinguible de réenchanter le monde, de s’émerveiller du si peu, Prod’Hom introduit un rapport au temps, singulier. Sorte d’éloge de la lenteur, volonté de vivre son rythme propre, de se dégager de l’artifice.
Écrire, apparaît non pas comme une façon de mettre les mots au pas, mais de retrouver dans leur alignement, la scansion de la marche, tout en exaltant son caractère erratique. De longues phrases en volutes, de courts paragraphes ponctués de silence engendrent un style d’une grande fluidité. Il aime à égrener les noms de lieux, qui se mettent à résonner, entre exotisme pastoral et mythe alpin: La Moille au blanc, La côte de la Mussily, le chemin des Meilleries, la Corbassière de la Possession…
« Je quitte le Riau en longeant les plans du jour et du ciel, passe à côté, pas moyen de faire autrement, à moins d’aller droit à l’est, là où sommeille le gibier, où règnent les cols et les passes, l’herbe maigre, les pierres, les sentes sur lesquelles on revient parfois, quelques cairns. »
Les territoires de l’enfance sont ainsi sillonnés. Dans le texte inaugural, il stigmatise le peu de confiance que l’école et la maison ont inoculé en lui.
Pire les compositions écrites où on lui demandait d’être original. Il en aurait pu être autrement? évoque le rapport magique qu’il entretint avec les événements.
Il se croit responsable du fait de sa présence au stade, de la défaite de son club de foot de prédilection, le Lausanne-Sport. « Je ne suis pas guéri. Je me surprends parfois à calculer les effets du sacrifice sur le réel, j’aurais pu si souvent infléchir le cours des choses. » Il y a aussi ses rejetons qui enjambent les rites de passage avec une facilité déconcertante et suivent déjà d’autres chemins ou encore les enfants à qui il enseigne. Des portraits à la manière des Caractères de La Bruyère tel Jean-Rémi, tapi dans son antre, il fait fuir les oiseaux. Des rencontres.
Dans Sésame, celle d’un inconnu, croisé sur un plateau enneigé, en pleine tempête et à qui il confie les clés de sa voiture. « On ne s’est pas revu, on ne se reverra pas, les vies parfois se croisent et leurs pas s’emboîtent comme les dents d’une fermeture-éclair, ils font tenir ensemble quelque chose avant quoi et après quoi il n’y a qu’un tapis blanc. » On reste coi, presque jaloux, devant tant de propension au bonheur, de clarté et de grâce.
Dominique Aussenac, Le Matricule des Anges, No 169, janvier 2016, p. 29
Le Café littéraire invite Jean Prod’hom à Vevey
L’auteur de Tessons et de Marges évoquera ce soir son goût de la vie, des mots et de l’écriture, notamment sur le Web.
Avec Tessons (Ed. d’Autre Part) paru l’an dernier, l’écrivain vaudois Jean Prod’hom avait révélé son irrésistible passion pour ces morceaux de verre, de porcelaine, de grès, de brique, vestiges d’objets brisés, polis, que les eaux transportent et amènent jusqu’aux hommes comme lui, qui les attendent en bord de mer ou sur les rives des ruisseaux. Tous ces fragments mis ensemble avaient donné un beau livre soigné, bien mis en pages, plein de charge et d’érudition. L’écrivain revient cette années avec Marges (Ed. Antipodes), un assemblage sensible de textes fins et de photographies à la simplicité convaincante qui ont paru sur son blog lesmarges.net depuis plusieurs années.
Le Café littéraire de Vevey est un endroit idéal, aussi accueillant, rassurant et inspirant qu’un bon livre, pour évoquer avec Jean Prod’hom son bonheur d’écrire, de regarder le monde autour de lui, de laisser respirer sa mémoire et son goût de la vie, jour après jour.
Philippe Dubath, 24 Heures, 19 novembre 2015
Dans Le Matin
Jean Prod’hom est un promeneur solitaire attaché à notre terre et à ses gens, un rêveur éveillé, un grappilleur d’émotions, un poète aux musiques douces et parfois graves, un roseau pensant (sur l’époque) et un chêne pensif (sur nos fins dernières). Un an après Tessons, recueil d’éclats sauvés d’un paradis pas tout à fait perdu, ces Marges confirment l’évidence que « l’inouï est à notre porte ». Souvenirs d’une enfance lausannoise de sauvageon, flâneries dans l’arrière-pays vaudois ou au diable vert napolitain, vacillements et riches heures constituent un kaléidoscope verbal enrichi par le contrepoint d’images photographiques. Miracle combien actuel et inattendu: ce trésor de sensibilité a été tiré d’un blog (les marges.net) par l’éditeur Claude Pahud, enfin éclairé par une fraternelle postface de François Bon.
Jean-Louis Kuffer, Le Matin, 8 novembre 2015
Sur Blogres, le blog d’écrivains (en partenariat avec la Tribune de Genève)
Un billet chaque jour, quotidien depuis 2012 sur le blog de Jean Prod’hom, lesmarges.net. « observer, comprendre, aimer, tout et n’importe quoi, ce qu’on finit par regarder, d’autres couches, d’autres cercles. »
On comprend ainsi que l’essentiel n’est pas le sujet. D’ailleurs, Prod’hom n’a aucune imagination, aucune inspiration, aucune originalité. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui, dans le premier texte du recueil publié par Antipodes, qui s’appelle Marges.
Qu’est-ce qui existe, alors, qui peut faire l’intérêt d’une lecture? La forme, évidemment. Et ce qu’on appelle particulièrement ciselure.
Ciselant, Prod’hom parle un peu de tout. Parfois, c’est le quotidien, le banal à quoi il donne une forme. Parfois, c’est des visions à la Bosch (le Café du Cygne où sont tous ceux de Chez Progel). Les textes évoquent les proches, les cimetières, le chemin des Tailles, ou François Bon qui a fait la postface et parle fort justement de « confrontation vive avec les jours », de « l’autre confrontation la plus directe et la plus aiguë des mots au plus simple de ce qu’ils nomment. »
C’est Claude Pahud, l’éditeur d’Antipodes, qui a fait le choix parmi des quantités de textes parus sur le blog et qui arrivaient sur son mur Facebook. On va évoquer les questions posées à chaque fois qu’on passe du numérique au solide. C’était le cas de mon Transports. Il a fallu se justifier. Pourquoi? À quoi bon? Qu’est-ce que ça change ?
On n’évitera pas d’en parler. Parce que ça change beaucoup. La délimitation d’abord. L’objet qui existe. La couverture qui crée les contours. L’ordonnance des textes, fixée, non plus mouvante dans le rouleau mais qui a sa place déterminée dans le monde. Et la vitesse de lecture n’est pas la même. Et puis feuilleter, c’est bien plus agréable avec tous les doigts.
Bref, c’est bien, Pahud a eu raison.
Il y a des photos, dans Marges aussi, prises par Prod’hom. Est-ce qu’elles illustrent les textes? Je ne sais pas. Ça fait un dialogue, on dira. Ça donne un autre aspect de Prod’hom, une autre corde à son arc ou à sa lyre pincée. Le livre ainsi est joli. Et, on l’aura compris, savoureux.
Alain Bagnoud, Blogres, le blog des écrivains (en partenariat avec la Tribune de Genève), 9 novembre 2015
Modestes proses des jours
« Il convient peut-être de rester modeste en la circonstance et de se contenter, plume à la main, de ce qui est là jour après jour, là, sous nos yeux […] » Jean Prod’hom est cet écrivain des petits riens qu’il sait, de sa prose sensible, rendre à leur universalité originelle. Ainsi des misérables fragments de porcelaine ou de terre cuite qu’il aime à cueillir aux rivages, et à quoi il dédiait l’an passé un petit recueil, Tessons, merveilleuse ode à l’insignifiance et à ce qu’elle signifie.
Une attention méticuleuse que cet enseignant et écrivain vaudois cultive depuis 2008, à l’enseigne de son blog, lesmarges.net. Un journal s’y effeuille en proses numériques quotidiennes, prolongées d’une photo descriptive ou rêveuse. Riche floraison de textes où l’éditeur Claude Pahud a eu le goût de choisir de quoi composer un nouveau bouquet, de papier cette fois. Ainsi, dans Marges, quelque septante chroniques se succèdent pour dire le quotidien, les reflux qu’il impose à la mémoire, les saynètes ordinaires qu’il réserve aux clairvoyants, les tableaux vivants qu’il déroule devant le regard du poète. Lequel plonge aussi bien au cœur du Jorat que dans les remous de l’enfance, toujours tenté de « guigner du côté de ce qu’on ignore ». TR
Thierry Raboud, La Liberté, 31 octobre 2015
Jean Prod’hom invite à se promener dans ses marges
C’est un blog de venu livre. De puis juillet 2012, jour après jour, Jean Prod’hom publie sur les marges.net des proses ciselées et vagabondes qu’une petite troupe de fidèles suit à la trace. La marge, rappelait Jean-Luc Godard, c’est « ce qui fait tenir les pages ensemble ». Et le livre, c’est ce qui réunit les pages. Le nom du blog suggérait donc un destin qu’on se réjouit de voir désormais accompli.
L’an dernier, Jean Prod’hom avait publié un premier livre miraculeux où il apparaissait en collectionneur de tessons roulés et métamorphosés par les eaux (Tessons, Editions d’Autre Part). La même attention portée aux choses modestes se retrouve dans Les marges. Il est question de la vie ordinaire. De joies nonchalantes. D’enfants qui apprennent à lacer leurs chaussures. Des heures creuses ou de la pleine obscurité. De la pluie sur les tuiles ou du chant des ruisseaux dans le Haut-Jorat où vit l’auteur. Pour quelqu’un qui a tant lu, Jean Prod’hom n’a pas l’érudition ostentatoire. Ici ou là, un nom d’écrivain surgit tel une taupe qui sortirait un instant le museau du sol avant de retourner à ses profondeurs: Blaise Cendrars, André Dhôtel, Pascal Quignard ou François Bon qui signe la post face.
On se promène beaucoup dans ces Marges où les textes s’accompagnent de photographies réalisées par l’auteur. Le livre s’arpente comme un ruban de Moebius qui, sans rupture, ferait passer du dehors au dedans, du grain du réel à l’étoffe des songes et de l’enfant que Jean Prod’hom fut dans les années 1960, à Lausanne, aux enfants qui sont aujourd’hui les siens. La marche des jours a gouverné la rédaction de ces proses fluides et méditatives dans lesquelles le lecteur s’installe, lui aussi, comme un passager du temps. On recommande en particulier le très beau texte, inspiré par les cimetières, où les morts sont les « alliés des vivants ».
Michel Audétat, Le Matin Dimanche, 6 septembre 2015