Nouvelles Questions Féministes Vol. 33, No 2

Féminismes au Maghreb

Delphy, Christine, Mahfoudh, Amel,

2014, 152 pages, 21 €, ISBN:978-2-88901-105-6

Ce numéro est consacré à l’histoire des mouvements féministes en Tunisie, en Algérie et au Maroc, et à leur développement actuel, analysés par des chercheuses et des militantes du Maghreb. Avec les « printemps arabes », les Européen·ne·s ont découvert avec surprise la forte présence des femmes dans les manifestations et surtout qu’elles se mobilisaient pour revendiquer l’égalité des sexes. Jusque là, les Maghrébines et même l’ensemble des femmes arabes et musulmanes étaient vues à travers des lunettes coloniales comme soumises et résignées. Mais en fait, elles luttent pour leurs droits depuis près d’un siècle, avec constance.

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Description

Ce numéro est consacré à l’histoire des mouvements féministes en Tunisie, en Algérie et au Maroc, et à leur développement actuel. Avec les « printemps arabes », déclenchés par la révolte tunisienne de décembre 2010, le regard du monde occidental sur le Maghreb a changé. Les Européen·ne·s ont découvert avec surprise la forte présence des femmes dans les manifestations; et surtout qu’elles se mobilisaient pour revendiquer l’égalité des sexes. Cette méconnaissance est l’héritage d’un colonialisme qui a construit une image passive, résignée, des femmes maghrébines et, plus largement, arabes et musulmanes. NQF a voulu contribuer à la diffusion d’une autre mémoire, celle de chercheuses et de militantes du Maghreb dont les analyses et les expériences prennent le contrepied de cette image.

Leurs articles montrent que les femmes au Maghreb se sont toujours mobilisées, soit en participant aux luttes de libération nationale, soit en développant des luttes autonomes. Mais les états du Maghreb se sont en partie construits sur leur invisibilisation et sur l’exclusion politique et civile des femmes. L’invisibilité de la contribution des féministes reste d’ailleurs de mise aujourd’hui: même si les droits qu’elles ont acquis ont largement aidé les états du Maghreb à revendiquer, face à l’Occident, le statut d’état moderne, l’égalité des sexes ne constitue pas, pour eux comme ailleurs, un enjeu politique prioritaire. Les féministes ont ainsi encore beaucoup à faire. 

De type réformiste à des visées plus universalistes, les luttes analysées par les auteures prennent la forme d’une myriade de groupes, d’associations, de tendances politiques qui nous donnent une vue d’ensemble des féminismes maghrébins et de leurs possibilités d’échanges dont témoigne, dans ce numéro, le collectif Maghreb-égalité 95.

Ces luttes montrent des féminismes qui ne sont pas de simples répliques ou imitations des mouvements occidentaux, et qui sont eux-mêmes différents les uns des autres, et parfois divisés, mais qui sont des féminismes.

Table des matières

Édito

  • Entre dictatures, révolutions et traditions, la difficulté d’être féministe au Maghreb (Amel Mahfoudh et Christine Delphy)
 

Grand angle

  • Mobilisations des femmes et mouvement féministe en Tunisie (Dorra Mahfoudh et Amel Mahfoudh)
  • Algérie, pause dans les mobilisations féministes? (Feriel Lalami)
  • Le mouvement des femmes au Maroc (Rabéa Naciri)
  • Les féminismes marocains contemporains. Pluralité et nouveaux défis (Houria Alami M’Chichi)
 

Champ libre

  • Convergences et divergences entre le féminisme radical et la théorie queer
 

Parcours

  • Sana Ben Achour, féministe tunisienne. « C’est le féminisme qui m’a amenée en politique et pas le contraire. » (Entretien réalisé par Amel Mahfoudh)
 

Comptes rendus

  • K. Jasbir Puar, Homonationalisme. Politiques queers après le 11 septembre (Jules Falquet)
  • Sonia Kruks, Simone de Beauvoir and the Politics of Ambiguity (Michel Kail)
  • Nicole Van Enis, Féminismes pluriels (Hélène Martin)
  • Aurélie Olivesi, Implicitement sexiste? Genre, politique et discours journalistique (Martine Chaponnière)
  • Dorothée Dussy, Le berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, livre 1 (Yeun L-Y)
 

Collectifs

  • Le Collectif Maghreb-Égalité 95: pour un mouvement féministe maghrébin (Dorra Mahfoudh)
  • Le réseau Wassila, un collectif algérien pour les droits des femmes et l’égalité (Dalila Iamarene Djerbal et Fatma Oussedik)
 

Hommage

  • Brigitte Schnegg: les études genre en Suisse sont en deuil

Presse

Dans Remmm. Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée

Fondée en 1981 par un groupe de femmes engagées sous la houlette de Simone de Beauvoir, cette publication fait suite à la revue Questions féministes, créée en 1977. Ce qui explique sa nouvelle dénomination: Nouvelles Questions Féministes (NQF). Les animatrices, toutes des militantes de la cause féminine, mettent ensemble, au service de la cause, à la fois leurs expériences multiples et leurs savoirs variés puisés dans des horizons disciplinaires divers (anthropologie, droit, géographie, histoire, linguistique, littérature, philosophie, science politique, sociologie).

Éditée à Lausanne, NQF publie deux numéros par an sur des thématiques en lien avec la question féminine et le combat des femmes. Ce second numéro de l’année 2014 est consacré aux mobilisations des femmes et aux mouvements féministes comme le précise l’édito signé par Amel Mahfoudh et Christine Delphy. Polémiste, cet édito prend à partie l’opinion occidentale qui, selon les auteures, aurait été surprise par la vitalité des luttes des femmes arabes à l’occasion des révoltes du « printemps arabe » inaugurées par la Tunisie. Il donne cependant quelques indications sur la particularité du Maghreb par rapport au reste du monde arabe, en faisant notamment référence à son fonds berbère et aux différentes conquêtes (notamment arabe et française) qui ont forgé son histoire.

Trois articles signés par les ressortissantes des trois pays décrivent la situation de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, en résonnance notamment avec les révoltes arabes de l’année 2011. L’article cosigné par les Tunisiennes Amel et Dorra Mahfoudh retrace l’historique des mobilisations féminines en Tunisie depuis l’époque coloniale, en les insérant dans un cadre plus large, celui du monde arabe. Transcendant l’opposition femmes/hommes, le texte insiste sur l’apport de quelques hommes à ce combat, à l’instar de Tahar Haddad. Ce retour à l’histoire permet aux deux auteures de conclure qu’ »à l’image des autres pays arabes, le mouvement des femmes en Tunisie est né du mouvement national et l’a accompagné ». Elles jugent cependant que l’histoire officielle n’aura retenu, presqu’exclusivement, que « ce que les intellectuels masculins éclairés du moment ont réalisé et écrit », ignorant ou minimisant l’apport des femmes.

Toujours à la lumière des soulèvements des pays arabes, l’Algérienne Feriel Lalami, se demande si les mobilisations féminines en Algérie n’ont pas marqué une pause, car les femmes algériennes sont apparues moins actives dans ce contexte. Pour y répondre, elle revient sur les différents temps de mobilisation depuis la fin des années 1970, bien avant le multipartisme, en passant par la période difficile des années de violence et l’environnement hostile qui en découlera dans les années 2000.

Les conditions ayant changé, estime Feriel Lalami, les répertoires d’action se sont aussi transformés. Si les limitations des libertés publiques empêchent une opposition frontale, précise-t-elle, d’autres formes d’actions demeurent à l’œuvre: déclaration publiques et interpellations des autorités. Pour l’auteure, au lieu d’une pause, il s’agit d’ »une bifurcation, résultat d’un changement réfléchi de stratégie pour survivre et poursuivre les objectifs de changement de la situation des femmes ».

La marocaine Rabea Naciri, quant à elle, s’appuyant sur un rapport commandé par le palais à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Maroc, tente de faire le point sur le mouvement des femmes au Maroc en relatant l’évolution des termes du débat féministe au Maroc depuis le milieu du XIXe siècle. Elle montre notamment sa sécularisation progressive, après avoir longtemps été prisonnier de la référence au religieux. Elle montre combien la question du statut des femmes fut, durant tout le XXe siècle, le lieu et le biais de « confrontation et d’affrontement entre les courants conservateurs, nationalistes et modernistes ». Un des moyens de sortie fut la réappropriation par des hommes et des femmes de textes religieux fondateurs et leur réinterprétation en faveur des causes féminines. Ainsi, estime Rabea Naciri, « les travaux de chercheur-e-s universitaires comme Fatima Mernissi, Abderrazak Moulay Rchid, Farida Bennaniat et Zineb Maadi, ont ouvert la voie aux organisations féministes, leur permettant de mieux argumenter leurs revendications de l’égalité ». Ce qui, ajoute l’auteure, suscite de grands débats avec les organisations féminines du Maghreb et des pays de l’islam, qui estiment que l’islam ne peut garantir une égalité conforme à la déclaration universelle des droits de l’homme.

Un autre article consacré aux féminismes marocains contemporains par Houria Alami M’chichi, vient compléter et actualiser l’article de Rabea Naciri, en effet un peu daté. Elle montre notamment comment les révoltes de 2011 ont pu mettre en scène diverses formes de féminismes (pragmatique, islamique, de jeunes), révélant la diversité des conceptions de la place des femmes dans la société marocaine.

À côté de ces contributions, il faut noter la longue et intéressante interview relatant le parcours de la militante tunisienne Sanaa Benachour. Les questions posées par Amel Mahfoudh à cette figure du féminisme tunisien nous font rentrer dans une histoire à la fois emblématique et singulière d’une descendante d’une des plus grandes familles savantes de la bourgeoisie tunisienne contemporaine, ancrée dans la tradition, mais également tout aussi engagée dans la modernité. Le parcours de Sanaa Benachour est une sorte d’égo-histoire qui éclaire à la fois une partie de l’histoire des élites tunisiennes, mais aussi l’histoire singulière du féminisme en Tunisie. Issue d’une famille savante de clercs zaytouniens, Sanaa Benachour montre comment la tradition a pu cohabiter avec l’esprit de l’ouverture et de la liberté en partant de l’expérience de sa propre famille.

Outre un article plus général sur le féminisme et la théorie queer, signé Debbie Cameronet et Jan Sacanlon, dans la rubrique Champ Libre, le numéro contient plusieurs comptes rendu d’ouvrages en lien avec la question du féminisme, et deux focus dans la rubrique Collectifs, l’un sur le collectif Maghreb-Égalité 95, par Amel Mahfoudh; et l’autre cosigné par les algériennes Dalial Iamarene Djerbal et Fatima Oussedik, sur le réseau Wassila, un collectif algérien pour les droits des femmes et l’égalité.

Malgré leur tonalité militante et engagée, les différentes contributions demeurent assez riches en données objectives, et peu enclines à la surenchère. Elles fournissent aux lectrices et aux lecteurs de ce numéro les clefs qui leur permettront de comprendre un des enjeux fondamentaux au Maghreb et dans le monde arabe.

Abderrahmane Moussaoui, Remm. Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [en ligne], in Lectures inédites, 31 mars 2015