L’invention de l’horloger

De l'histoire au mythe de Daniel JeanRichard

Marti, Laurence,

2003, 141 pages, 16 €, ISBN:2-940146-36-5

En 1766 paraît pour la première fois un récit relatant l’introduction de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises par le dénommé Daniel JeanRichard.

Format Imprimé - 20,00 CHF

Description

En 1766 paraît pour la première fois un récit relatant l’introduction de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises par le dénommé Daniel JeanRichard.

Ce texte fondateur, repris et transformé à de multiples reprises, alimente la mémoire collective régionale depuis plus de deux siècles, et ses différentes versions témoignent des préoccupations économiques propres à chaque époque. Il a donné lieu à une production artistique importante (statue, peintures, roman, gravures, etc.) et Daniel JeanRichard, élevé au rang de héros local, puis national, a été célébré lors de plusieurs fêtes organisées en son honneur.

En suivant l’histoire de ce récit, ce livre offre une approche originale de la manière dont la Suisse est progressivement passée d’une culture agricole à une culture industrielle.

Presse

L’histoire suisse racontée dans une nouvelle collection tout public

Les Éditions Antipodes proposent les deux premiers volumes d’une collection consacrée à l’histoire suisse. « Histoire.ch » comptera trois à quatre titres par an, des petits livres de synthèse, illustrés et accessibles à un large public.

L’histoire suisse est un domaine très travaillé, mais les publications qui en résultent s’adressent à des spécialistes, constate Claude Pahud, fondateur des Editions Antipodes. Avec « Histoire.ch », l’éditeur lausannois veut mettre la recherche académique à la portée de toutes les personnes intéressées par le sujet. D’un format de 20,5 sur 13,5 centimètres, forts de 140 à 160 pages, les ouvrages présentés hier, sont enrichis d’une trentaine d’illustrations. Ils se terminent par un petit dossier de documents et une bibliographie sommaire.

Le premier, écrit par Laurence Marti, offre une approche originale de la manière dont la Suisse est progressivement passée d’une culture agricole à une culture industrielle. L’invention de l’horloger. De l’histoire au mythe de Daniel JeanRichard se base sur le récit, paru pour la première fois en 1766, de l’introduction de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises. Le spectacle cinématographique en Suisse (1895-1945), de Gianni Haver et Pierre-Emmanuel Jaques, est le deuxième titre de la collection. Cet ouvrage analyse le développement des salles, du réseau de distribution et de la production locale durant les cinquante premières années du cinéma.

Plusieurs volumes sont en préparation, dont un consacré aux étrangers en Suisse. Les ouvrages sont coédités avec la Société d’Histoire de la Suisse romande. Le choix des sujets et l’adaptation des manuscrits est supervisé par une équipe de trois historiens.

Claude Pahud a fondé les Éditions Antipodes en 1995 à Lausanne. La Jeune maison d’édition s’est spécialisée dans les sciences sociales.

ATS, La Côte, 3 décembre 2003.

Un regard neuf et original sur l’Histoire

La collection Histoire.ch voit le jour, portée par la publication, de deux œuvres consacrées à l’introduction du cinéma et de l’horlogerie en Suisse.

« L’Histoire doit être ouverte à un public plus vaste qu’elle ne l’est aujourd’hui. » Le rêve de Claude Pahud, fondateur des éditions Antipodes, pourrait devenir réalité avec la nouvelle collection Histoire.ch. Née d’une triple collaboration, cette collection est supervisée par les historiens Bertrand Muller, Laurent Tissot et Alain Clavien et coéditée par Antipodes et la Société d’histoire de la Suisse romande (SHSR).

Deux livres introduisent cette nouvelle collection: L’Invention de l’horloger par Laurence Marti et Le Spectacle cinématographique par Gianni Haver et Pierre-Emmanuel Jaques. Qui donnent le ton de la collection. Les livres sont courts (de 130 à 160 pages), le style agréable. Vulgarisés, les thèmes n’en sont pas moins riches et les approches originales. « La production de livres d’histoire suisse oscille entre manuels scolaires et thèses universitaires. Avec Histoire.ch, nous souhaitons offrir une vision plus dynamique et plus particulière de l’Histoire au niveau national », explique Bertrand Muller. Les éditeurs souhaitent. également favoriser une meilleure compréhension des problèmes actuels du pays avec cette approche historique.

Deux naissances

Laurence Marti, sociologue, retrace dans L’Invention de l’horloger le passage d’une culture agricole à une culture industrielle dans les montagnes neuchâteloises. Pour ce faire, l’auteure se base sur le premier récit, daté de 1766, relatant l’introduction de l’horlogerie par Daniel JeanRichard à La Sagne. « Le contenu de ce récit évoluant au cours des siècles devient la mémoire d’une culture locale. Parallèlement, il permet de remonter à la source de l’industrialisation en Suisse. Enfin, cette histoire révèle le phénomène plus global des mythes fondateurs », raconte la sociologue.

La seconde publication d’Histoire.ch tourne autour de la bobine cinématographique., Gianni Haver et Pierre-Emmanuel Jaques se penchent sur les cinquante premières années du cinéma en Suisse, en tenant compte du développement des salles, du réseau de distribution et de la production, locale. « Nous avons abordé notre sujet en partant de la séance de cinéma, qui représente la rencontre entre la production et le public, dans un lieu qui participe à la mise en scène. Ce moment restant insaisissable par son évanescence, nous nous sommes donc plongés dans les différentes phases qui créent cet instant », précise Gianni Haver.

Deux autres publications sont déjà prévues pour le printemps 2004, sur l’immigration entre 1850 et 1930 ainsi que sur la question jurassienne.

Aline Andrey, Le Courrier, 4 décembre 2003

Les Editions Antipodes, à Lausanne, publient les premiers ouvrages d’une série populaire.

Histoire.ch, une collection au service de la vulgarisation

Sous le titre Histoire.ch une nouvelle collection souhaite redonner ses lettres de noblesse à l’histoire suisse contemporaine. Cette initiative éditoriale originale revient aux jeunes Editions Antipodes à Lausanne, en collaboration étroite avec la Société d’histoire de la Suisse romande. Le principe est de proposer au grand public des ouvrages de synthèse. Pour son baptême du feu, histoire.ch revient sur la manière dont la Suisse est progressivement passée d’une culture agricole à une culture industrielle, ainsi que sur les cinquante premières années du cinéma sur notre territoire.

Le souhait de Claude Pahud, responsable des Editions Antipodes fondées en 1995, participe ainsi d’une tentative de vulgarisation, d’éviter à tout prix les travaux encyclopédiques classiques qui rebutent généralement les non spécialistes. En un mot: mettre la recherche académique à la portée du plus grand nombre, dilettante comme simple curieux. Un désir ardemment partagé par Alain Clavien, l’un des trois directeurs de publication réunis sous la bannière de l’Association Histoire.ch: « Il y a peu d’ouvrages historiques que l’on peut faire lire à des étudiants, dans un volume de pages et à un prix raisonnable. » Collection à portée de bourse (26 francs), Histoire.ch a aussi déjà imaginé les deux prochaines publications qui auront pour cadre les mouvements ouvriers et la question des étrangers sur le sol suisse.

Les deux premiers volumes de cette série, qui compte publier trois à quatre références par an, totalisent quelque 150 pages chacun. Et sont agrémentés d’illustrations. Si les bibliographies et annexes de ce type de travaux ne se sont pas vues supprimées pour autant, elles n’encombrent pas le lecteur par d’incessants renvois. L’Invention de l’horloger, de la sociologue Laurence Marti, suit l’histoire d’un récit fondateur relatant l’introduction de l’horlogerie dans les montagnes neuchâteloises. Quant au Spectacle cinématographique, il se focalise sur les dimensions de la consommation des films à travers le pays. Du développement des salles au réseau de distribution, le cinéma se voit appréhendé ici par l’entremise d’aspects architecturaux, économiques ou législatifs.

Olivier Horner, Le Temps, 5 décembre 2003.

Mythe et fourmis en pays horloger

La Chaux-de-Fonds: deux auteurs se sont penchés sur l’épopée horlogère des Montagnes neuchâteloises et l’histoire de son héros fondateur, Daniel JeanRichard.

Encore marginale dans les Montagnes à la fin du XVIIe siècle, l’horlogerie, industrie légère et subdivisée en de multiples métiers, entra bientôt dans la plupart des fermes et occupa dès le milieu du XVIIIe siècle une vaste fourmilière. Deux auteurs se sont penchés sur les origines de l’essor industriel de la région, reconstituant le puzzle de cette formidable épopée et de celle de son héros, puisqu’il lui en fallait un: Daniel JeanRichard.

L’invention de l’horloger

Laurence Marti, docteure en sociologie, et aussi spécialiste de l’histoire industrielle et du travail, a déjà publié plusieurs articles consacrés à l’industrialisation de l’Arc jurassien. Dans le cadre d’une collection historique, « histoire.ch », coéditée par les éditions Antipodes et la Société d’histoire de la Suisse Romande, elle signe L’invention de l’horloger. De l’histoire au mythe de Daniel JeanRichard.

Héros industriel

Colportée dès 1766 par le récit d’Ostervald, l’histoire de l’horloger de La Sagne a souvent fait référence, servant les préoccupations économiques du moment. Fortement ancré dans la mémoire collective comme sur les plaques des rues, le mythe subsiste depuis plus de deux siècles et demi. Représentant d’une culture rurale, le paysan-horloger, « héros industriel » malgré lui, est devenu le garant de « l’industrie en harmonie avec l’environnement dans lequel elle prend naissance ». Symbole de la force de cette communauté horlogère, il représente « le développement économique, d’une société et d’une culture nouvelles en rupture avec le peuple des bergers ». L’auteure propose un éclairage pertinent du récit d’Ostervald, un texte fondateur maintes fois remanié.

 Sylvie Balmer, L’Impartial, 15 décembre 2003

 Daniel JeanRichard, père légendaire de l’horlogerie suisse

Mythes fondateurs: Guillaume Tell et Winkelried ne sont plus seuls. La Suisse s’est aussi donné une mythologie industrielle. Gérard Delaloye a lu la fabuleuse histoire du Neuchâtelois.

S’il est en Suisse un horloger dont la popularité reste depuis des siècles au beau fixe, c’est bien Daniel JeanRichard. Tout le monde a entendu l’histoire de ce jeune paysan qui se retrouve un beau matin avec, dans les mains, une montre anglaise détraquée. À force de patience et d’habileté, il parvient à la réparer et, prenant goût à la chose, il décide d’en fabriquer une autre, donnant du même coup naissance à l’industrie horlogère. Mais attention! On le connaît sans vraiment le connaître. On sait qu’il vivait dans les montagnes neuchâteloises, mais où? À quelle époque? Et comment s’y est-il pris pour réparer la fameuse montre?

Ces imprécisions sont le propre des récits légendaires qu’à partir de quelques faits réels la mémoire collective des peuples agrémente, développe, enrichit selon les besoins d’un moment donné. Ou selon la mode. Ou bien encore selon les idées du temps. La figure de celui qui passe aujourd’hui pour le père de l’horlogerie suisse n’a pas échappé à ce phénomène. Dans un livre passionnant, Laurence Marti, spécialiste en sociologie et en histoire de l’industrie, nous décortique la fabrication des multiples visages de Daniel JeanRichard, l’homme qui est à l’horlogerie ce que Guillaume Tell est à la vaillance des Waldstätten. Son archétype.

Créature d’un notable

Comme souvent dans les grands mythes contemporains, l’histoire débute au XVIIIe siècle, à l’époque des Lumières, au moment où l’on commence à découvrir les sciences et les techniques et à en vulgariser la connaissance. L’inventeur de Daniel JeanRichard s’appelle Frédéric Samuel Osterwald. C’est un notable neuchâtelois qui, à côté d’une carrière politique, poursuit surtout une œuvre scientifique vulgarisatrice en s’intéressant à la géographie, à l’imprimerie, au journalisme. En 1766, il publie une Description des Montagnes et des Vallées qui font Partie de la Principauté de Neuchâtel et Valangin. C’est un ouvrage tout à fait dans le ton de l’époque. Il s’agit de faire découvrir l’intérêt de la région à un large public: « Depuis plusieurs années, écrit Osterwald, les Montagnes de la Principauté de Neuchâtel et de Valangin sont devenues l’objet d’une curiosité justifiée par le grand nombre de choses singulières qu’on y trouve. Mais de tous les Voyageurs qui les ont visitées, aucun ne s’est attaché à les décrire. » L’auteur va donc combler une lacune d’autant plus regrettable que Rousseau vient, par son récent séjour, d’attirer le regard des Européens sur Neuchâtel.

C’est dans ce livre qu’il raconte qu' »un nommé Peter, marchand de chevaux, apporta en 1679, à son retour dans sa patrie, une montre faite à Londres, meuble absolument inconnu aux montagnes ». Le marchand remarque l’habileté du jeune Daniel JeanRichard, lui confie cette montre pour qu’il la répare. Le jeune homme y parvient et se décide à en construire une pareille. Pour ce faire, il doit commencer par fabriquer les outils nécessaires, ce qui l’occupe pendant un an, puis il consacre six mois à réaliser sa première montre. Il apprend qu’à Genève, les horlogers disposent d’une machine capable de tailler les roues à engrenages indispensables au mécanisme de base. Il s’y rend mais se heurte au secret professionnel des Genevois qui ont peur de la concurrence. Qu’importe! Rentré chez lui, il réinvente la machine! Le succès est tel que sa famille et ses voisins s’y mettent aussi. Puis, nous dit le chroniqueur, « on ne doit pas être étonné si cet homme de génie se rendit bientôt célèbre et s’il forma de nombreux ateliers, de sorte qu’on peut le regarder comme le premier mobile des talents de ses compatriotes ».

Un emblème national

On s’en doute, au moment où Osterwald met en scène la première mouture de la légende de JeanRichard, les montagnes neuchâteloises sont tout entières tournées vers l’élevage. Quoiqu’homme des Lumières, Osterwald ne tranche pas vraiment entre agriculture et industrie. Mettons qu’il voit plutôt cette dernière comme complémentaire aux activités traditionnelles. C’est l’évolution de la société après la Révolution française et les guerres napoléoniennes qui va donner le branle au formidable mouvement d’industrialisation du Jura. En quelques décennies, l’horlogerie devient dominante et fonctionne selon des caractéristiques propres à la région: dispersion des ateliers familiaux, division du travail au sein même des familles. La figure de Daniel JeanRichard prend de plus en plus d’importance. Il devient une source d’inspiration pour les peintres et les écrivains qui chantent les bienfaits de l’industrialisation. À tel point que lorsque les autorités construisent une nouvelle école d’horlogerie au Locle, il va de soi qu’elle ne peut qu’être flanquée d’une statue de l’illustre Daniel JeanRichard.

Le 15 juillet 1888, l’inauguration en sera fastueuse, avec ce qu’il convient de pompe républicaine. Le conseiller fédéral Numa Droz, ancien ouvrier horloger, trouve les mots justes: « Au pied de cette statue, où se trouve réunie la grande famille horlogère dont Daniel JeanRichard fut le procréateur, je forme des vœux ardents pour que notre belle industrie nationale puisse au milieu de la paix extérieure et de la paix sociale grandir sans cesse et prospérer, pour le bien de la patrie, suivant cette triple devise qui sera toujours la nôtre: perfectionnement, loyauté, solidarité. »

Numa Droz voit juste: l’horlogerie a pris une telle importance en Suisse que son héros fondateur ne peut que devenir un emblème national. Ce sera chose faite pendant la Deuxième Guerre mondiale. Alors que le Rütli et Guillaume Tell vivifient la fibre patriotique rurale et alpine des Helvètes, le preux JeanRichard va unir classe ouvrière et patronat autour du drapeau à croix blanche. En 1941, tout ce que les montagnes neuchâteloises comptent comme personnalités-politiciens, patrons, syndicalistes-concernées par l’horlogerie se donne à fond pour célébrer le bicentenaire de sa mort.

Pourquoi célébrer sa mort? Parce que cela tombe bien politiquement et que cette date est à peu près la seule donnée historique établie concernant le héros. Les festivités s’étalent sur une semaine, du 20 au 29 juin 1941. Pile au moment où Hitler déclenche son agression contre l’Union soviétique. Le général Guisan est bien sûr présent. Les discours sont de circonstance. « En Daniel JeanRichard, nous saluons la démocratie suisse, cet esprit de simplicité, de collaboration qui est si remarquable dans vos montagnes, qui supprime les profondes différences de classe et qui conduit à la prospérité du plus grand nombre », s’exclame un conseiller d’Etat.

Far West jurassien

On le voit, l’histoire du paysan bricoleur de la fin du XVIIe siècle est non seulement inusable, mais de plus utilisable dans n’importe quelles circonstances. Une des versions les plus rigolotes du mythe est celle qu’élabora un auteur des années 50 qui compara la saga de Daniel JeanRichard luttant pour la technique dans un pays vierge au climat hostile à celle des rudes pionniers qui dans le Far West jetèrent les bases de la prospérité américaine. Il est vrai que les années 50 furent celles où les westerns triomphaient sur tous les écrans.

Même la terrible crise des années 70-80 qui emporta l’essentiel de l’industrie horlogère et réduisit par milliers ses ouvriers au chômage ne tua pas Daniel JeanRichard. Au contraire, l’adversité lui redonne une nouvelle vie. En 1984 paraît une nouvelle édition du livre d’Osterwald. En 1991, Le Locle organise une grande exposition pour célébrer le 250e anniversaire de sa mort. Si, comme le note Laurence Marti, « sur le plan collectif les célébrations officielles ont perdu de leur force et de leur superbe », son livre apporte toutefois la preuve que le prétendu fondateur de l’horlogerie suisse se porte bien. Que, de surcroît, par le truchement d’une marque de montres, son nom soit lié depuis peu à la fortune d’un club de football aussi prestigieux que la Juventus de Turin ne va pas nuire à sa notoriété!

Gérard Delaloye, L’Hebdo, 8 janvier 2004

 

Au XIXe siècle, l’invention de la tradition n’a pas concerné que, les commémorations nationales. Elle a aussi porté sur l’économie et l’industrie. Ainsi l’horlogerie neuchâteloise aurait-elle été introduite par un certain Daniel JeanRichard. En plein XVIIe siècle, encore tout jeune, il aurait réparé une montre amenée de Londres par un marchand de chevaux. Il se serait aussi mis en tête d’en faire une pareille pour devenir le premier horloger de la région. Ce récit apparaît pour la première fois dans une Description des montagnes qui font partie de la Principauté de Neuchâtel de Frédéric Ostervald, parue en 1766 et régulièrement rééditée depuis (dernière édition: 1986 à La Baconnière). Il est à l’origine d’un véritable mythe. De Daniel JeanRichard, les portraits ne manquent pas. Un monument inauguré avec solennité en 1888 lui a été consacré au Locle. Il apparaît sur les diplômes de l’Ecole d’horlogerie et de mécanique de la même localité. Sa figure a donné lieu à bien des commémorations, des rues portent son nom et une fresque, qui date de 1974, reproduit aujourd’hui encore ce récit originel au Musée international de l’horlogerie de La Chaux-de-Fonds. En 1941, dans le contexte particulier de la guerre, le bicentenaire de la mort de JeanRichard donna lieu à beaucoup d’initiatives pendant une dizaine de jours. Ce fut l’occasion de renouveler cet aspect de la mémoire collective en faisant du héros un symbole de l’union sacrée. « En Daniel JeanRichard, nous saluons la démocratie suisse, cet esprit de simplicité et de collaboration qui est si remarquable dans vos montagnes, qui supprime les profondes différences de classe et qui conduit à la prospérité du plus grand nombre », s’exclama alors le conseiller d’État genevois Albert Picot. Étudiant cette invention, Laurence Marti souligne que ce travail symbolique peut faire penser aux mythes nationaux observables à la même époque. Elle précise toutefois que « cette mémoire vise d’abord à ancrer l’activité [horlogère] dans la continuité des structures et des spécificités régionales et non dans une perspective nationale ». Il existe donc une mémoire, locale, de l’origine de l’industrie horlogère neuchâteloise. Mais l’histoire ne la confirme pas dans les mêmes termes. Elle la déconstruit et étudie l’évolution du mythe à travers le temps.

Charles Heimberg, Le Courrier, 14 février 2004

 

Comme l’indique d’emblée le sous-titre de l’ouvrage, le regard de la sociologue Laurence Marti s’est essentiellement concentré sur la figure emblématique de Daniel JeanRichard. On ne trouvera donc pas ici d’éléments nouveaux liés à la genèse de l’industrie horlogère dans les Montagnes neuchâteloises ou sur les mutations successives subies par le métier d’horloger dans l’Arc jurassien pendant près de trois siècles. L’attention de l’auteure s’est en effet tout entière portée sur les manières dont le récit primal d’Ostervald (la fameuse Description des Montagnes et des Vallées qui font partie de la Principauté de Neuchâtel, 1766), qui fait apparaître Daniel JeanRichard, évolue au travers du discours historique et contamine progressivement les champs artistiques, politiques, industriels, économiques, commerciaux publicitaires, au fil du temps. On relèvera la riche iconographie (en noir et blanc) qui illustre et, souvent, étaie avec pertinence le propos ainsi que les nombreuses citations d’auteurs au travers desquelles serpente plaisamment l’étude. L’ouvrage est découpé en quatre chapitres (l’artiste, seconde moitié du XVIIIe siècle au début du XIXe-l’horloger, de 1830 au tournant du XIXe siècle-le fabricant, du début du XXe siècle aux années 1960-le commercial, des années1970 aux années 1990), suivant la chronologie des sources de référence, de 1766 à 1992, auxquels s’ajoutent une introduction et une conclusion en forme de synthèse. Le corpus des données sur lequel repose l’analyse est « classique », au sens où la plupart des documents cités appartiennent aux sources connues, répertoriées, voire traitées, ou ayant été signalées dans nombre d’articles ou d’études publiés. La thèse essentielle développée tout au long de l’ouvrage repose sur l’idée que le personnage de Daniel JeanRichard a été instrumentalisé, dès l’origine, en fonction de l’évolution du milieu horloger et, plus généralement, de la société. Dans un premier temps, il a servi à asseoir un modèle de développement horloger proche des structures agricoles, fondé sur les théories des Physiocrates. Puis il a servi à symboliser la notion de progrès aussi bien social qu’industriel sur laquelle repose le développement horloger du XIXe siècle, avant de devenir le symbole du pionnier en qui se reconnaît l’entrepreneur des deux premiers tiers du XXe siècle, pour terminer par devenir le héros salvateur d’un monde horloger en crise profonde où priment les parts de marchés, le chiffre d’affaires et la capacité d’adaptation et d’innovation technologique. Pourtant, l’originalité de l’ouvrage ne réside pas dans le traitement du thème: comme le reconnaît Laurence Marti (pp. 104-105), la démarche poursuivie a été initiée par l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel à partir de 1991, avec la publication de divers mémoires ayant pour objet le rapport entre histoire, mémoire, contextes socio-économiques, voire culturels et mythes horlogers. Le caractère novateur de l’étude présentée ici réside dans le fait que la période considérée a été étendue au passé récent et qu’elle éclaire d’un jour nouveau les crises majeures du dernier tiers du XXe siècle. Notamment l’auteure développe l’idée que le fait « JeanRichard » est parvenu à la fin de son cycle en tant que sujet « historicisable » et, constatant que la nouvelle horlogerie a besoin de forger de nouveaux héros, montre que Daniel JeanRichard appartient désormais au domaine des objets fabuleux susceptibles de favoriser la consommation, d’incarner un produit, d’être l’emblème d’une marque de fabrique. De l’histoire au mythe, du mythe à la légende… commerciale. En choisissant d’examiner l’invention de l’horloger en focalisant toute son étude sur le seul personnage de Daniel JeanRichard, l’auteure parvient à construire une démonstration convaincante et très bien structuréee, mais à laquelle il manque une dimension comparative (les autres figures emblématiques de l’horlogerie neuchâteloise ou française-Mégevand par exemple qui possède bien des similitudes avec Daniel JeanRichard du point de vue de l’instrumentalisation) ainsi que des approfondissements qui nuanceraient le propos, notamment du point de vue de l’histoire politique ou économique suisse ou neuchâteloise, des rapports avec le développement des syndicats ou du contexte social. Plaisant à découvrir et à lire, l’ouvrage incitera le lecteur à remonter le cours de l’histoire des garde-temps en ayant à l’esprit les clefs d’analyse qu’il propose et à (re)lire les études qui ont déjà paru sur ces questions.

Marie-Jeanne LIENGME, Revue historique neuchateloise

 

L’auteur, sociologue suisse versée dans l’étude des phénomènes d’industrialisation, nous offre un ouvrage subtil sur les méandres du « mythe-histoire. Analysant les versions successives de la naissance de l’horlogerie dans la montagne neuchâteloise, elle souligne la place écrasante attribuée à Daniel JeanRichard. En effet, ce paysan-forgeron de la fin du XVIIe siècle réussit à réparer une montre anglaise rapportée par un marchand. Après cet exploit, il se lance dans la production horlogère avec succès.

Laurence Marti se fait également historienne en insistant sur l’imprécision du premier récit, celui d’Ostervald, daté de 1766. Puis elle relève des variations relativement importantes dans les textes postérieurs qui doivent être replacés dans leurs différents contextes de rédaction. Ceci se traduit par une suite de chapitres chronologiques qui reflètent des courants historiographiques divers, chacun insistant sur certains caractères de l’œuvre de Daniel JeanRichard. Tour à tour ce dernier apparaît comme un artiste horloger (chap. I et II), puis comme un fabricant entreprenant (chap. III), et, enfin, comme un commerçant habile (chap. IV). Chacune de ces approches correspondrait à la mise en valeur d’une qualité fédératrice du moment. En effet, l’horlogerie à travers les discours sur ses origines serait un excellent vecteur d’identité et de consensus chez les Montagnons de La Sagne, du Locle et de La Chaux-de-Fonds qui cherchent à s’affirmer face à la bourgeoisie neuchâteloise.

Ainsi, au-delà de leurs différences, tous ces récits étalés sur deux siècles et demi comportent des traits communs. Ils font l’apologie d’une « industrialisation autre », sans grande usine, dont la réussite se révèle exemplaire. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, plus de trente mille horlogers s’activent dans le haut Jura neuchâtelois, élaborant 800’000 montres par an dès 1866 et s’octroyant 90% du marché mondial de la Belle Époque grâce à la qualité de leur production à bas prix (p. 34), ceci au grand dam des Anglais et des Genevois. Cette performance résulte d’une organisation spécifique de la production fondée sur le système de l’établissage: une division très poussée du travail qui mobilise dans des ateliers familiaux souples et flexibles une abondante main-d’œuvre paysanne. Toutefois, la concurrence des grandes usines américaines, révélée par l’Exposition de Philadelphie en 1876, provoque un débat sur la mécanisation. Le mythe de Daniel JeanRichard est alors réactivé par une partie de la bourgeoisie radicale qui craint les conséquences sociales d’une production en grandes usines sur le modèle anglo-saxon. Les écrivains préfèrent insister sur « l’acquisition des connaissances » et « l’amour de l’effort » comme valeurs typiques des hommes de la Montagne. On assiste à une idéalisation de Daniel JeanRichard en petit patron parti de rien, débrouillard et modeste. Les fabricants seraient aussi à l’origine du bien être général dans un monde où il y a du travail pour tous. La crise des années 1920-1930 semble remettre en cause ce beau modèle, mais l’État intervient et les auteurs de l’époque défendent l’idée d’une cohabitation entre petites et grandes manufactures.

Cet ouvrage rigoureux confirme qu’histoire et mémoire ne doivent pas être confondues. Les historiens du XXe siècle, héritiers des positivistes, reconnaissent ignorer l’activité initiale de Daniel JeanRichard et l’emplacement précis de sa ferme. Ceci n’empêche pourtant pas le développement des récits prenant pour prétexte sa biographie et aboutissant à une célébration grandiose du bicentenaire de sa mort en 1941. Cette année de nationalisme exacerbé correspond également au six cent cinquantième anniversaire de la fondation de la Confédération helvétique. Daniel JeanRichard devient alors un héros national, présent dans tous les manuels scolaires, symbole d’une image forte et résistante de la Suisse menacée. Les années 1950 font de lui un pionnier à l’américaine, un homme libre, héritier des défricheurs de la montagne et dévoué à sa communauté. Certains auteurs, tel Aymon de Mestral, imaginent alors la naissance de l’établissage comme le résultat, afin de produire, de la mobilisation des solidarités anciennes en parties brisées. Cette organisation performante se doublerait d’un véritable sens du marché qui n’aurait rien d’étranger aux Montagnons ouverts sur le monde depuis longtemps avec l’exportation de produits locaux comme les dentelles. Daniel JeanRichard symbolise désormais l’entrepreneur schumpeterien à une époque où la rationalisation de la production de masse devient nécessaire entre 1945 et 1970, sans renier pour autant l’enracinement local.

Mais les années 1970 constituent une cassure après deux siècles d’expansion. L’arrivée du quartz, de l’électronique et de la concurrence japonaise engendre une crise dramatique et une chute des effectifs. Daniel JeanRichard donne lieu à moins de publications et à des célébrations plus modestes. Les historiens, à l’image de Philippe Henry, remettent en cause sa place hégémonique et insistent sur la nécessité de mieux connaître les multiples aspects de la naissance de l’activité horlogère. Le mythe est désormais étudié en tant que tel. Cependant, certains auteurs comme Marcel Favre insistent sur l’idée de cycles en affirmant que l’esprit d’entreprise est toujours présent dans la Montagne pour réussir une reconversion fondée sur l’innovation et la conquête des marchés extérieurs. Enfin, la construction de cette mémoire collective, orchestrée en grande partie par le pouvoir, exclut toute mention pouvant aller à l’encontre du projet d’ensemble. Ainsi, elle ne conserve pas de trace des conflits sociaux qui ont pu traverser l’horlogerie.

Au total, une réflexion très stimulante sur l’historiographie du « mythe-histoire », rédigée dans un style clair et agréable. Quelques petits défauts secondaires pourraient être corrigés dans une nouvelle édition: en particulier l’absence de carte, et des titres parfois trompeurs, comme celui du chapitre II intitulé « Horloger » alors que les problèmes d’organisation du travail y sont très présents. De plus, si le verlagssystem est réfuté pour souligner l’inadaptation de ce modèle à l’horlogerie du Jura neuchâtelois qui conserve son indépendance rurale, le concept « d’industrialisation douce » imaginé pour décrire l’essor de l’horlogerie et de la lunetterie du haut Jura français serait efficient.

Jean-Marc Ollivier, Genèses 61, Décembre 2005