Dans l’oeil des autres

Perception de l'action humanitaire et de MSF

Abu-Sada, Caroline, Médecins Sans Frontières,

2011, 205 pages, 23 €, ISBN:978-2-88901-067-7

Cet ouvrage présente les résultats et les réflexions issus d’une étude lancée par Médecins Sans Frontières Suisse, pour mieux comprendre la manière dont son travail et ses principes – neutralité, impartialité, indépendance – sont perçus par les travailleurs humanitaires ainsi que les populations fréquentant de près ou de loin ses projets. Il offre des clés de compréhension, autant pour les travailleurs humanitaires que pour des personnes désireuses de saisir les enjeux cruciaux en cette première partie du XXIe siècle.

Format Imprimé - 28,00 CHF

Description

Médecins Sans Frontières? Un organisme basé en Arabie Saoudite et financé par une oeuvre de charité musulmane? Une compagnie privée chinoise? Une organisation exigeant le port d’une arme pour pénétrer dans ses structures médicales?

Telles sont certaines des réponses recueillies lors d’une étude lancée par Médecins Sans Frontières Suisse pour mieux comprendre la manière dont son travail et ses principes – neutralité, impartialité, indépendance – sont perçus par les travailleurs humanitaires ainsi que par les populations fréquentant de près ou de loin ses projets.

Dans un monde « post-septembre 2001 » qui voit une redéfinition des rapports de force dans le monde, ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs contestant les fondements de l’action humanitaire ou son utilisation à des fins militaires, il a semblé important pour l’organisation, forte de quarante ans d’expérience, de mener une recherche d’envergure sur la perception qu’en a le public et de partager ces résultats, afin d’offrir quelques clés de compréhension, autant pour les travailleurs humanitaires que pour des personnes désireuses de saisir les enjeux cruciaux en cette première partie du XXIe siècle.

Aux résultats de cette recherche s’ajoutent des articles écrits par des chercheurs, étudiants, humanitaires qui explorent les diverses facettes de l’action humanitaire d’aujourd’hui.

Table des matières

I. Étude sur la perception de MSF

Origine du projet Perception

Méthodologie

 Choix des projets visités sur le terrain

  • Instruments de méthodologie
  • Revues préliminaires
  • Questionnaire
  • Enquêteurs
  • Groupes de discussion
  • Entretiens semi-directifs
  • Rapports
  • Autres recherches sur la perception

Thèmes issus du projet

 MSF en tant qu’institution

  • Enjeu de définition
  • Principes humanitaires
  • Facteurs influençant la perception
  • Durée des opérations MSF dans un pays
  • Impact de la présence des cinq sections opérationnelles
  • Importance du contexte local, national et international
  • Importance du cadre analytique des populations
  • Le système de l’aide humanitaire

 Perception par groupe

  • Perception des patients
  • Perception des autorités
  • Perception par le personnel de MSF
  • Perception par les autres acteurs institutionnels

 Conclusion

Dynamique du projet

 En interne

 En externe

  • Consensus
  • Points de débat
  • Questionnement
  • Recommandations

II. Articles externes

Introduction aux articles

  • Le projet Perception: un remède contre l’autosatisfaction (Bruno Jochum)
 

L’action humanitaire et MSF vues d’ailleurs

  • MSF Suisse dans le sud-est nigérien (Abdul Wahab Soumana)
  • Le regard de l’autre sur l’action des organisations humanitaires et de MSF à Akonolinga et à Yaoundé, au Cameroun (Jean de Dieu Fosso)
  • Médecins Sans Frontières vu par un membre d’une équipe de secours sur le terrain (Linda Ethagatta)
  • La coopération médicale sino-africaine: une autre forme d’aide humanitaire (Li Anshan)
 

Action humanitaire et missions de stabilisation

  • « Miroir, mon beau miroir… » Stabilisateurs, humanitaires et chocs des perceptions (Samir Elhawary)
  • Dommage collatéral. Contre-insurrection internationalisée et ses conséquences néfastes
sur l’action humanitaire (Abby Stoddard)
  • Perception de la médecine humanitaire par les acteurs militaires et politiques (Paul Bouvier)
 

Autres points soulevés par la question de la perception

  • Humanitaire, médecine et éthique(Jérôme Singh)
  • La dialectique de l’image, de l’acceptation et du travail humanitaire dans les situations de conflit et de violence organisée (Ronald Ofteringer)
  • Action humanitaire, perceptions et pouvoir (Antonio Donini)

Biographies des auteur·e·s

Charte de Médecins Sans Frontières

Presse

MSF dans le regard des autres

Quelques 210 pages pour aborder un sujet éminemment complexe. Médecins Sans Frontières Suisse a publié à la fin de l’année 2011 un ouvrage intitulé Perception de l’action humanitaire et de MSF, dirigé par la coordinatrice de son unité de recherche, Caroline Abu-Sada. Cet ouvrage est la synthèse des résultats et des réflexions issus d’une étude démarrée en 2007 et conduite sur une durée de trois années.

Cette préoccupation n’est pas nouvelle, d’autres études existant en la matière, qu’elles soient menées par d’autres ONG, des instituts de sondage ou des chercheurs. Destinés à comprendre les mécanismes de perception de l’action humanitaire, ces travaux s’attachent à rendre compte de la perception de  l' »entreprise humanitaire » (c’est-à-dire qu’ils s’intéressent à l’ensemble des acteurs impliqués, non gouvernementaux et étatiques). Mais ils se focalisent aussi sur l’examen de la perception de l’aide humanitaire par les populations en zones de conflits. Or, les problèmes de sécurité liés à une intervention dans un pays en guerre – souvent à l’origine de cette préoccupation dont les enjeux se trouvent exacerbés – ne couvrent pas l’entière réalité de l’intervention humanitaire. C’est tout l’intérêt de la présente étude que de ne pas se cantonner à cette dimension sécuritaire tout en provenant d’une association médicale qui réfléchit sur elle-même.

A la suite de graves incidents de sécurité ou de problèmes d’image rencontrés sur le terrain – attribués dans certains cas à une confusion avec d’autres acteurs présents (humanitaires, militaires, politiques…) -, Médecins Sans Frontières s’est posé des questions sur son modus operandi, à l’image d’autres organisations d’aide. Elle a donc décidé de se lancer dans cette recherche « perception » afin de mieux comprendre comment elle était perçue sur le terrain par une multitude d’acteurs, et ce, afin d’optimiser la mise en place de projets médicaux (p.12). Il s’agit donc et avant tout d’une recherche à visée opérationnelle.

La coordinatrice de l’ouvrage est donc partie du postulat que l' »acceptation » de l’ONG – condition sine qua none pour la réussite d’un projet – repose en grande partie sur la connaissance et la compréhension que les populations ont de cette structure. Cela concerne bien sûr ses activités mais également ce qui serait la « marque de fabrique » de MSF (et finalement de beaucoup d’autres ONG), autrement dit ce par quoi elle entend se différencier des autres intervenants (Etats, belligérants… ), à savoir l’objectivation de principes humanitaires tels que l’indépendance, la neutralité et l’impartialité. Cette recherche vise au final à éclairer ce que C. Abu-Sada appelle « l’écart de perception, c’est-à-dire l’écart entre la façon dont MSF se pense perçue et la manière dont elle l’est réellement. » (p.74)

Il s’agit donc de « saisir comment cette identité institutionnelle est reçue et comprise par les personnes qui entrent en interaction avec elle à la fois en tant qu’organisation, en tant qu’employeur et enfin en tant que structure médicale. » (p.21) Cette problématique initiale a ouvert d’autres questionnements tels que ceux relatifs à la manière dont est appréhendé sur le terrain l’aspect médical de l’organisation dans la mise en œuvre de ses programmes (p.21).

Cette recherche, portée par le département des opérations de l’organisation, se voulait en mesure d’émettre une série de recommandations pratiques dans les aétions médicales de l’organisation. Ainsi, des rapports par pays ont déjà été rédigés à la suite de chaque visite de terrain. Ils ont permis, nous dit la coordinatrice, de modifier très rapidement certains faits, comportements ou stratégies identifiés par les chercheurs comme pouvant avoir un impact négatif sur la perception de l’organisation. « C’est dorénavant une dimension qui est intégrée dès le début de chaque projet. » (p.69)

Il ressort de cette étude que si MSF semble en général bien perçue (mais là n’est pas le propos central de l’ouvrage) par les populations, son identité spécifique telle que l’organisation la définit reste en réalité mal connue d’elles. A titre d’anecdote, l’auteure nous rapporte qu’au Cameroun, « la plupart des personnes interrogées pensait que MSF était une organisation chinoise. » (p.49) Plusieurs constats allant dans le même sens amènent néanmoins les chercheurs à conclure, par exemple, à la nécessité pour MSF d’aller vers davantage de cohérence dans ses prises de position publique et dans sa manière de communiquer.

La première partie de l’ouvrage, qui constitue la synthèse de cette étude, se termine sur une série de recommandations et plusieurs questionnements restés en suspens. Ils trouvent un éclairage complémentaire dans la seconde et dernière partie de l’ouvrage. Celle-ci se présente sous forme d’articles de contributeurs extérieurs, des chercheurs et praticiens tels qu’Abby Stoddard et Antonio Doni ni ou d’acteurs ayant participé ou ayant été associés à l’étude comme Bruno Jochum, ancien directeur des opérations de MSF Suisse.

Au final, la recherche a permis de récolter un matériau empirique très riches, qu’évidemment un exercice de synthèse ne peut restituer que partiellement. Les résultats issus de ces analyses circonstanciées permettent de livrer des « opinions » (ou des réponses) émises par les enquêtés, selon les contextes étudiés, sur ce que l’aide humanitaire et l’action de MSF sont ou devraient être à leurs yeux. Le matériau récolté a déjà fourni beaucoup d’informations et de résultats pertinents. Certes, il gagnerait encore à être exploité selon une enquête qualitative. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un bel exemple d’une organisation réfléchissant sur elle-même et qui a su mobiliser pour ce faire un véritable appareil de recherche. Si, à l’heure actuelle, l’identité de MSF n’est pas toujours connue et comprise des populations, l’étude a néanmoins déjà permis aux personnels de MSF d’y être sensibilisés (p.67), dans l’ensemble de ses sections. La diffusion de cet ouvrage, déjà traduit en arabe, bientôt en anglais et en espagnol, a déjà suscité beaucoup d’articles dans la presse au Moyen-Orient. On sera ravi d’avoir un retour sur l’évolution des représentations des populations telle que perçue par MSF suite à la mise en place des recommandations issues de ce travail.

L’auteure avait donc tort d’anticiper la critique lorsqu’elle écrit « cette réflexion peut paraître biaisée parce qu’il s’agit d’un exercice où une organisation réfléchit sur elle-même. » (p.22) Il nous semble en effet utile d’apporter un éclairage « théorique »: cette étude est ce que l’on appelle une recherche-action situationnelle, par opposition à une recherche « classique », dans laquelle le chercheur, par définition, a une position impliquée qui n’est donc pas neutre. Ici, les objectifs de la recherche sont opérationnels, l’enjeu étant de répondre à la demande d’un acteur social, l’organisation MSF. A partir de l’identification du phénomène à étudier, la perception de l’action humanitaire et de MSF, le but est que l’organisation puisse modifier certaines de ses pratiques afin d’améliorer la façon dont les projets sont mis en place et perçus sur le terrain (p.22). Si les objectifs scientifiques annoncés  au départ ont dû quelques fois être revus à la baisse, on doit néanmoins en conclure que la mission est réussie.

Sabrina Ferstler, Revue Humanitaire, no. 31, avril 2012

MSF se découvre dans l’oeil des autres

Stupéfaction chez Médecins sans frontières (MSF), l’organisation humanitaire de médecins et journalistes créée en France en 1971, qui compte désormais 19 associations et près de 27 000 collaborateurs dans plus de 60 pays. Une recherche menée pendant trois ans par cette ONG dans 11 pays d’intervention, parmi lesquels le Cameroun, le Liberia, le Guatemala, le Kirghizstan et l’Irak, montre que les principes fondateurs d’indépendance, de neutralité et d’impartialité sur lesquels repose MSF sont en réalité ignorés par une part non négligeable des patients, des autorités et des collaborateurs interrogés.

Cette association privée, dont les médecins « revendiquent au nom de l’éthique médicale universelle et du droit à l’assistance humanitaire, la liberté pleine et entière d’exercer leur fonction », et s’engagent «  à maintenir une totale indépendance à l’égard de tout pouvoir, ainsi que de toute force politique, économique ou religieuse », se découvre maintenant dans le regard des personnes consultées – « organisme basé en Arabie Saoudite et financé par une œuvre de charité musulmane », « compagnie privée chinoise  », ou encore « organisation exigeant le port d’une arme pour pénétrer dans ses structures médicales »… Ces perceptions, relatées dans un ouvrage récent, amènent l’organisation à mettre en garde. Ces représentations que le public se fait de l’organisation invitent MSF à des efforts en termes de communication. Cela est d’autant plus nécessaire que l’action humanitaire évolue dans un contexte international volatil, et régi depuis 2001 par la guerre contre le terrorisme. Or, alors que chaque acteur serait censé se positionner sur l’échiquier géopolitique et religieux, des idées telles que l’associatif apolitique ou l’aconfessionnalisme, caractéristiques de MSF, sont parfois difficiles à comprendre. D’où l’intérêt de les expliciter pour améliorer l’accueil et l’acceptation de l’ONG sur le terrain.

Juliette Galeazzi, Sciences Humaines, no. 237, mai 2012

 

Médecins Sans Frontières se confronte au regard des populations du Sud

L’ONG Médecins Sans Frontières a analysé la perception des divers acteurs en lien avec elle dans 11 pays durant 4 ans. L’étude vient d’être publiée

L’ouvrage Dans l’œil des autres. Perception de l’action humanitaire et de MSF propose de réfléchir à l’aide humanitaire sous l’angle de la perception des populations, des acteurs politiques, religieux, institutionnels, ou encore des collaborateurs locaux.

À l’origine du projet, un drame: l’assassinat de cinq collaborateurs de Médecins Sans Frontières (MSF) en juin 2004 en Afghanistan. L’ONG se voit contrainte de quitter le pays, alors qu’elle y est présente depuis 25 ans. La question de la perception de ses actions, de sa neutralité ou encore de son indépendance financière, dans les pays où elle intervient commence à faire son chemin. Dès 2007, une recherche est lancée dans onze pays pour savoir comment l’ONG est perçue par les populations, les acteurs politiques, religieux, institutionnels, les collaborateurs locaux… Une mine d’informations qui remettent en question certaines pratiques de MSF et montrent l’importance d’une bonne communication. Entretien avec Caroline Abu-Sada, coordinatrice de l’Unité de recherche de MSF à Genève et directrice de l’étude « Dans l’oeil des autres » qui résume 4 ans d’enquête de terrain.

Votre enquête a donné lieu à une publication qui vient de sortir. Pourquoi rendre publique votre autocritique ?

Nous voulons faire preuve de transparence sur nos moyens, notre manière de fonctionner, nos limites, nos dilemmes internes aussi. Je crois que l’une des qualités de MSF, c’est de savoir se remettre en question. Sa liberté de ton lui a permis aussi, lors du tsunami, d’être la seule ONG à refuser les dons qui arrivaient en masse.

C’est l’une des rares organisations à n’avoir jamais été entachées par de gros problèmes, même si nous sommes dépendants aussi de la perception humanitaire générale, par exemple lors du scandale au Tchad de l’Arche de Zoé (ndlr: association qui enlevait des enfants pour les faire adopter en France).

Quelles ont été vos surprises en menant cette recherche de terrain? Et comment est perçu MSF de manière générale?

Une de nos hypothèses à avoir explosé, c’est la méconnaissance de notre indépendance financière, alors que l’on croyait que cette information était acquise.

De manière générale cependant, j’ai été surprise de l’image positive de MSF et étonnée du niveau d’acceptation. Imaginez un instant, par exemple, une ONG turque s’installer devant la gare de Cornavin pour venir en aide aux sans-papiers… Reste que les projets verticaux, qui ne traitent que d’une seule maladie, ne sont généralement pas compris. D’ailleurs aujourd’hui les programmes ont une approche plus globale. La perception change aussi en fonction des moments et des équipes sur place. L’aide humanitaire en général, pendant la guerre en Irak en 2008, était vue comme représentant la politique impérialiste occidentale qui vient s’accaparer les matières premières. Alors que dans les années 90, notre intervention dans le Kurdistan irakien était très bien acceptée.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de perceptions erronées?

Au Niger, par exemple, les gens voient les traits du logo comme de côtes, car MSF s’occupe de la malnutrition. A l’ouest du Kenya, c’est un homme avec une lance venu détruire le kala-azar, une maladie négligée de la région. Quant à l’autocollant l’interdiction d’armes, les traits qui biffent le fusil ne sont parfois même pas vus. D’ailleurs, lorsque nous étions au Kenya, des militaires armés sont entrés dans la cour de l’hôpital, ce qui n’aurait jamais dû être toléré.

Votre personnel local est peu informé sur MSF, alors que c’est un relais essentiel auprès de la population, des autorités…

En effet, très peu de gens prennent le temps de leur expliquer les principes de MSF. Le personnel international lui-même d’ailleurs a des difficultés à expliciter les notions d’impartialité et de neutralité à leur propre staff ou lors de négociations. Pourtant, quand les collaborateurs sont informés, ils trouvent davantage de sens à leur travail. Ils deviennent fidèles à MSF, alors que d’autres organisations leur proposent de meilleurs salaires.

La notion de dépendance est une critique récurrente. Comment transmettre le savoir de l’ONG lorsqu’elle se retire?

Il n’y a pas de standard. Parfois nous ne répondons qu’à l’urgence, comme dans le cas de la Côte-d’Ivoire. Nous arrivons et repartons rapidement. En République démocratique du Congo, par contre, on a remis un gros hôpital au Ministère de la santé sur un délai de 3 ans, mais nous savions que la qualité risquait de baisser, et que la gratuité des soins n’était pas garantie… Ces questions ne seront jamais résolues.

Suite à vos rapports, de nouvelles stratégies ont-elles été mises sur pied?

Oui, nos recommandations opérationnelles ont été rapidement suivies. Les équipes sur le terrain font systématiquement attention aux enjeux de perception. Par exemple au Niger dans l’hôpital de Zinder où nous avons implanté un centre de réhabilitation nutritionnel, nos collaborateurs, des Nigériens de Niamey, étaient perçus par la population comme trop différents culturellement. Des réunions ont dès lors été organisées pour bien expliquer notre programme aux autorités locales. Les expatriés s’informent aussi aujourd’hui sur cet enjeu de perception qui permet clairement l’amélioration de nos projets.

Des intervenants extérieurs à MSF apportent leur contribution dans votre livre. Certains estiment que l’aide humanitaire doit être repensée?

Oui, mais ils proposent peu de solutions. Je pense qu’en termes de réponse aux urgences et face aux maladies négligées, MSF tiendra une place essentielle encore pendant de nombreuses années.

Aline Andrey, L’Événement syndical, no. 8/9, 22 février 2012

« En 40 ans, le terrain humanitaire a changé »

Médecins sans frontières fête ses 40 ans. Une période durant laquelle le visage de l’action humanitaire a beaucoup changé

Directeur général de Médecins sans frontières Suisse depuis juin 2011, Bruno Jochum a derrière lui une longue expérience de terrain. Au moment où l’organisation fête ses 40 ans, il constate que le travail des humanitaires devient de plus en plus compliqué. Au cours des prochains jours, l’organisation présentera son action au public à travers des expositions et une conférence.

Qu’est-ce qui a changé depuis que Médecins sans frontières a été créé?

Le 11 Septembre, la guerre contre la terreur et l’engagement des puissances occidentales dans pas mal de conflits ont changé la perception que les gens ont des humanitaires. Nous devons lever la confusion qui existe entre l’action médicale indépendante et les opérations menées par les Etats pour pouvoir accéder aux populations qui ont besoin de soins. Mener une action médicale demande désormais une négociation préalable plus construite. La plus-value de l’action humanitaire internationale doit être constamment défendue et promue.

Quel a été l’impact des nouvelles technologies sur votre façon de travailler?

Aujourd’hui, nous devons être plus attentifs à notre communication. Le public n’est plus segmenté. Avec l’internet, le citoyen suisse et le combattant rebelle qui est à l’autre bout du monde ont accès aux mêmes informations. Ce que nous disons est forcément entendu par les personnes avec qui l’on négocie. Cela a un impact sur nos prises de parole. Mais il y a aussi des effets extrêmement bénéfiques. Sur le plan de l’organisation médicale, par exemple, on peut suivre des patients à distance.

Quelle est votre plus grande déception?

L’instrumentalisation de l’action humanitaire par les Etats à d’autres fins que la seule assistance aux populations. Cela pèse énormément sur la perception des humanitaires à travers le monde. Ce n’est pas un hasard si nous sommes de plus en plus ciblés dans des contextes « insécures ». Trop souvent, nous sommes vus comme le prolongement d’une action politique ou militaire. Nous avons aussi des inquiétudes par rapport à l’évolution de certaines législations nationales qui tendent à rendre criminelles des actions d’assistance humanitaire dans des zones contrôlées par des groupes d’opposition. On n’en perçoit pas encore les effets pratiques mais c’est une tendance sur laquelle il faut être extrêmement vigilant.

Et en ce qui concerne l’engagement financier des Etats dans l’aide humanitaire?

Il y a un véritable retour en arrière. A cause de la crise économique, certaines politiques sont remises en cause. Je pense notamment aux fonds alloués au traitement contre le sida et la tuberculose en Afrique australe. Beaucoup de personnes ne pourront pas être mises sous traitement en 2012 et 2013. Cela tombe à un moment où il y avait des stratégies médicales assez prometteuses. Et c’est précisément à ce moment-là qu’un coup de frein est donné. En ce qui nous concerne, c’est le public qui nous soutient. C’est ce qui nous permet d’être réactifs et indépendants.

Quelle est la situation qui vous préoccupe le plus aujourd’hui parmi les cas urgents que vous avez à gérer?

La situation en Somalie. Nous sommes face à une grave crise nutritionnelle et l’assistance internationale est de plus en plus réduite. Le Kenya a fermé ses frontières aux réfugiés. Ce n’est pas le seul pays à réagir ainsi. Nous pourrions aussi évoquer l’attitude de l’Europe par rapport aux réfugiés libyens. C’est un conflit dans lequel elle s’est engagée pour des raisons politiques qu’on ne juge pas. Mais aujourd’hui, elle répond de façon extrêmement timide aux demandes des populations contraintes à se déplacer.

Alain Jourdan, Tribune de Genève, 5 décembre 2011